Citations de Albert Memmi (67)
Tel est le drame de l'homme-produit et victime de la colonisation : il n'arrive presque jamais à coïncider avec lui-même.
La peinture colonisée, par exemple, balance entre deux pôles : d'une soumission à l'Europe, excessive jusqu'à l'impersonnalité, elle passe à un retour à soi tellement violent qu'il est nocif et esthétiquement illusoire. En fait l'adéquation n'est pas trouvée, la remise en question de soi continue. Pendant comme avant la révolte, le colonisé ne cesse de tenir compte du colonisateur, modèle ou antithèse. Il continue à se débattre contre lui. Il était déchiré entre ce qu'il était et ce qu'il s'était voulu, le voilà déchiré entre ce qu'il s'était voulu et ce que maintenant, il se fait.
Mais persiste le douloureux décalage d'avec soi.
Pour voir la guérison complète du colonisé, il faut que cesse totalement son aliénation : il faut attendre la disparition complète de la colonisation, c'est-à-dire période de révolte comprise.
En définitive nous allons nous trouver en face d'une contre-mythologie. Au mythe négatif imposé par le colonisateur succède un mythe positif de lui-même, proposé par le colonisé. Comme il existe, semble-t-il, un mythe positif du prolétaire opposé à son négatif. À entendre le colonisé, et souvent ses amis, tout est bon, tout est à garder, dans ses mœurs et ses traditions, ses actes et ses projets ; même l'anachronique et le désordonné, l'immoral ou l'erreur.
Tout se justifie puisque tout s'explique.
L'affirmation de soi du colonisé, née d'une protestation, continue à se définir par rapport à elle. En pleine révolte, le colonisé continue à penser, sentir, vivre et vivre contre et donc par rapport au colonisateur et à la colonisation.
Que des faits d’antisémitisme soient souvent des diversions colonialistes, des provocations, c’est vrai, mais que la tentation raciste soit constante chez les Arabes actuels, c’est non moins évident.
Au sein de la communauté tunisienne, il y a des problèmes spécifiques aux Juifs, posés par ma non-coïncidence avec les musulmans. Que nier ces difficultés, ne pas les voir, c’est fermer les yeux (ainsi pour le problème d’Israël ; ainsi pour le problème de la religion musulmane et de la part qu’elle prendra dans le futur état.
D'autre part, à la limite, les Européens d'Europe sont des colonisateurs en puissance : il leur suffirait de débarquer. Peut-être même tirent-ils quelques profits de la colonisation. Ils sont solidaires, ou pour le moins complices de cette grande agression collective de l'Europe. De tout leur poids, intentionnellement ou non, ils contribuent à perpetuer L'oppression coloniale.
Pour le colonisé, tous les Européens des colonies sont des colonisateurs de fait. Et qu'ils le veuillent ou non, ils le sont par quelque côté : par leur situation économique de privilégiés, par leur appartenance au système politique de l'oppression, par leur participation à un complexe affectif négateur du colonisé.
Le colonisé réagit en refusant en bloc tous les colonisateurs. Et même, quelques fois, tous ceux qui leur ressemblent, tout ce qui n'est pas, comme lui, opprimé.
La révolte est la seule issue à la situation coloniale, qui ne soit pas un trompe-l'œil, et le colonisé le découvre tôt ou tard. Sa condition est absolue et réclame une solution absolue, une rupture et non un compromis.
La dépendance est bien l'un des ressorts les plus puissants et les plus efficaces de l'activité humaine
Mais la langue doit non seulement exprimer l’âme singulière de la nation, mais aussi répondre aux nécessités quotidiennes, nationales et internationales.
Le visage actuel des jeunes nations porte encore autant l’empreinte de leur passé colonial que de leur histoire propre. On parle toujours le français dans les anciennes colonies françaises, l’anglais dans les anciennes colonies anglaises et le portugais au Brésil.
Obscurément, je sentais que je pénétrerais l’âme de la civilisation en maîtrisant la langue.
Les fleurs éclosent en leur saison
Les poussins éclosent à leur heure
La mort attend au rendez-vous.
pour m’alléger du poids du monde, je le mis sur le papier
Le curieux sujet du livre qui est aujourd’hui offert au public, c’est justement l’impossibilité d’être quoi que ce soit de précis pour un juif tunisien de culture française
Mais quels privilèges, quels avantages matériels méritent que l'on perde son âme ?»(p 148).
«Celui qui n'a jamais quitté son pays et les siens ne saura jamais à quel point il leur est attaché «(p 139),
«Un homme à cheval sur deux cultures est rarement bien assis» (p 128),
«Qu'est-ce que le fascisme, sinon un régime d'oppression au profit de quelques-uns ?» (p 70),
«La promotion des médiocres n'est pas une erreur provisoire, mais une catastrophe définitive» (p 58),