Alberto Carlo Carpiceci

La grande Pyramide nous apparait ainsi, et l'on dit la même chose du Sphinx, comme un gigantesque idéogramme exhumé du passé, dans lequel nous "déchiffrons" l'escalier par excellence qui mène à l'éternité. C'est le verbe qui se manifeste, la voix première de l’Éternel qui se manifeste, lorsqu'au commencement du Temps il dit à son image : "Viens à moi".

LA PLANÈTE ÉGYPTE

Les anciens Égyptiens nous semblent porteurs d’une civilisation supérieure venue d'un autre monde. Dans la période où les peuples de la terre sortaient péniblement de l'âge de pierre, avec des cultures de même niveau, le peuple égyptien naît adulte. Très tôt, il franchit les limites des possibilités humaines d’il y a six mille ans, comme formé par des expériences vécues dans un autre monde pourvu déjà d'une civilisation avancée.
Ainsi commence sur la terre arrosée par le Nil, une expérience unique. En quelques siècles, celle-ci se développe vertigineusement, en créant des œuvres artistiques et scientifiques très en avance sur leur temps. La réalisation de la pyramide de Khéops, alors que 1’on connaissait ni le fer ni la roue, reste aujourd’hui un mystère. Nous sommes encore plus déconcertés en considérant qu’avant la réalisation de la Grande Pyramide, les Égyptiens avaient une technique et une organisation capables d’endiguer sur des milliers de kilomètres les crues du Nil et de transformer la terre marécageuse et le désert en un nouveau paradis terrestre ! En considérant les durées de développement des autres peuples, dont certains sont demeurés à l’ère néolithique jusqu’à nos jours, on a le sentiment que le peuple de la «planète Égypte» a deux mille ans d’avance sur l’histoire du monde.
Les armes utilisées dans cette colossale entreprise sont l’eau et le feu, le Nil et le soleil ; armes forgées, perfectionnées par ce peuple ancien pour que par la destruction causée par ces deux éléments la terre devienne plus fertile : c’est la vie même de l’Égypte. Les hommes collaborent avec Isis et Osiris pour recréer la vie, pour rendre à la terre l’aspect du paradis, un paradis terrestre qui se rattache au paradis céleste. L’Égypte n’est pas la Terre Promise: c’est la terre créée par l’homme jour après jour, année après année, en une œuvre qui se renouvelle sans fin et où la Créature se confond avec son Créateur. Il n’y a plus de solution de continuité entre les dieux et les hommes, les dieux sont parmi les hommes ; leur visage est le même que celui de l’homme, ou que celui des animaux qui l’entourent dans le ciel et sur la terre; leurs mains sont invisibles et infinies, comme sont infinis les rayons du soleil. Dans chaque morceau de la terre d’Égypte il y a l’eau et le feu cosmiques, la mort et la résurrection, l’essence humaine et l’essence divine.
Nil et Soleil tracent deux anneaux sans limites qui parcourent tout l’univers de ce monde et de l’autre, ils sont la voie le long de laquelle l’homme nouveau de la «planète Égypte» trouve son devenir et la raison de son voyage éternel.
Pour nous hommes du IIe millénaire, il est encore possible de retrouver cet ineffable équilibre entre la voie de l’Eau et la voie du Feu, en nous laissant emporter sur une barque à voile en Haute-Égypte. Il est encore possible de retrouver ce pont invisible qui nous unit aux sources de notre histoire, de retrouver la profonde émotion qu'éprouvait notre ancêtre lorsque, il y a cinq mille ans, il écoutait le chant qui s’élevait, au début de l’année, avec la crue du Nil: « Viens eau de la vie qui jaillit du ciel, viens eau de la vie qui jaillit de la terre. Le ciel brûle et la terre tremble à l’arrivée du Grand Dieu. Les montagnes de l’Occident et de l’Orient s’ouvrent, le Grand Dieu apparaît, le Grand Dieu s’empare du corps de l’Égypte. »