AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Alberto Manguel (445)


Ce matin, en regardant les livres sur mes étagères, je me disais qu'ils n'ont pas conscience de mon existence. Ils ne prennent vie que parce que je les ouvre et tourne leurs pages, et pourtant ils ne savent pas que je suis leur lecteur.
Commenter  J’apprécie          91
Il y a des livres que nous parcourons dans l'allégresse, oubliant chaque page lue sitôt tournée la suivante; d'autres que nous lisons avec révérence , sans les oser ni approuver ni contester; d'autres qui se bornent à nous renseigner et excluent d'avance nos commentaires; d'autres encore que, parce que nous les aimons si fort et depuis si longtemps , nous ne pouvons que répéter , mot à mot, car nous les connaissons, au sens propre, par cœur. Et il y en a beaucoup encore qui tiennent de tous ceux-là et qui, au lieu de susciter le silence (respectueux ou ravi), nous aiguillonnent, nous prennent aux épaules, exigent de nous que nous réagissions par une opinion, une réflexion, une question, un souvenir, un désir.
Commenter  J’apprécie          90
Comment Pinocchio apprit à lire

p. 16 Lucignolo décrit le pays des joujoux en ces termes : « Il n’y a pas d’école, là ; il n’y a pas de maîtres ; il n’y a pas de livres… Voilà le genre d’endroit qui me plaît ! C’est comme ça que devraient être tous les pays civilisés ! » Les livres sont très justement associés, dans l’esprit de Lucignolo, avec la difficulté, et la difficulté (dans le monde de Pinocchio comme dans le nôtre) a acquis un sens négatif qu’elle n’a pas toujours eu. L’expression latine per adua ad astra, par la difficulté atteignons les étoiles, est presque incompréhensible pour Pinocchio (comme pour nous) puisqu’on est censé pouvoir tout obtenir au moindre coût possible.

p. 21 Cette expérience superficielle de la lecture qu’est celle Pinocchio est exactement opposée à celle d’un autre héros errant, ou plutôt une héroïne. Dans l’univers d’Alice, le langage est rendu à la richesse de son ambiguïté essentielle et n’importe quel mot (si l’on en croit Humpty-Dumpty : « Par gloire j’entends dire « un bel argument sans réplique » » peut être contraint de dire ce que son utilisateur veut dire. Bien qu’Alice refuse des affirmations aussi arbitraires (« Mais gloire ne signifie par bel argument sans réplique », objecte-t-elle), cette épistémologie à l’usage de tous est la règle au Pays des Merveilles. Alors que dans le monde de Pinocchio le sen d’un mot imprimé est dépourvu d’ambiguïté, dans celui d’Alice la signification de « Jabberwocky », par exemple, dépende de la volonté du lecteur. (Il peut être utile de rappeler ici que Collodi écrivait à une époque où les règles de la langue italienne était fixées pour la première fois à partir d’un choix entre de nombreux dialectes, alors que l’anglais de Lewis Carroll était fixé depuis longtemps et pouvait être ouvert et mis en question avec une relative sécurité).

p. 23 Il existe un ardent paradoxe au cœur de tout système scolaire. Une société doit impartir à ses citoyens la connaissance de ses codes afin qu’ils puissent y devenir actifs ; mais la connaissance de ces codes, outre la simple capacité de déchiffrer un slogan politique, une publicité ou un manuel d’instructions primaires, donne à ces même citoyens celle de mettre la société en question, de découvrir ses défauts et de tenter de la changer. C’est dans le système qui permet à une société de fonctionner que gît le pouvoir de la subvertir, pour le meilleur ou pour le pire. De sorte que le professeur, la personne chargée par cette société de révéler à ses nouveaux membres les secrets de ses vocabulaires communs, doivent de fait un danger, un Socrate capable de corrompre la jeunesse quelqu’un qui doit, d’une part, continuer inlassablement à enseigner et, de l’autre, se soumettre aux lois de la société qui l’a placé à ce poste d’enseignant – se soumettre jusqu’à s’autodétruire comme ce fut le cas pour Socrate. Un enseignant est toujours pris dans ce double nœud : enseigner de manière à apprendre aux étudiants à penser par eux-mêmes, enseigner en fonction d’une structure sociale qui impose sa loi à la pensée. L’école, dans le monde de Pinocchio et dans la plupart des nôtres, n’est pas un terrain d’entraînement où devenir meilleur et plus accompli, mais un lieu d’initiation au monde des adultes, avec ses conventions, ses exigences bureaucratiques, ses accords tacites et son système de castes. Il n’existe pas d’écoles pour anarchistes et pourtant, en un sens, tout professeur devrait enseigner l’anarchisme, apprendre aux étudiants à s’interroger sur les règles et les règlements, à chercher des explications aux dogmes, à faire face à des obligations sans céder aux préjugés, à exiger l’autorité de ceux qui sont au pouvoir, à trouver, à trouver un endroit d’où ils puissent exprimer leurs propres idées, même si cela signifie une opposition et même, en définitive, l’élimination du professeur.
Commenter  J’apprécie          90
L’une des expériences communes à la plupart des vies de lecteurs est la découverte, tôt ou tard, d’un livre qui mieux que tout autre favorise l’exploration de soi-même et du monde, qui paraît inépuisable en même temps qu’il concentre l’intelligence d’une manière intime et singulière sur les détails les plus minuscules.
Pour certains lecteurs, ce livre est un classique notoire, une œuvre de Shakespeare ou de Proust, par exemple ; pour d’autres, c’est un texte moins connu, sur lequel les avis divergent mais dont, pour des raisons secrètes ou inexplicables, l’écho résonne en profondeur. Dans mon cas, au cours de ma vie, ce livre unique a changé : pendant des années, ce fut Les Essais de Montaigne ou Alice au pays des merveilles, Fictions, de Borges ou Don Quichotte, Les Mille et Une Nuits ou La Montagne magique. Maintenant que j’approche des soixante-dix ans prescrits par l’auteur des Psaumes (Ps XC, 10), le livre qui englobe pour moi toutes choses est la Commedia de Dante.
Commenter  J’apprécie          80
Sans doute l'un des principaux charmes de ces monstres fabuleux tient-il à leurs identités multiples et changeantes. Enracinés dans leur histoire personnelle, les personnages de fiction ne peuvent être encagés entre les couvertures de leur livre, si bref ou si vaste qu'en puisse être l'espace. [...]
À la différence de leurs lecteurs, qui vieillessent et jamais ne redeviendront jeunes, les personnages de fiction sont, en même temps, ceux qu'ils étaient quand nous avons lu leurs histoires pour la première fois, et ceux qu' ils sont devenus au fil de nos lectures successives.
Commenter  J’apprécie          80
La biologie nous dit que nous descendons de créatures de chair et de sang mais nous avons la conscience intime d'être les fils et les filles de fantômes d'encre et de papier.
Commenter  J’apprécie          80
Je soutiendrais que les bibliothèques publiques riches de textes tant virtuels que matériels, sont un instrument essentiel de la lutte contre la solitude. Je défendrais leur place en tant que mémoire et expérience de la société. (p. 27)
Commenter  J’apprécie          80
La vérité, c'est que je ne peux pas me rappeler un temps où je ne vivais pas entouré de ma bibliothèque. A six ou sept ans, j'avais assemblé dans ma chambre une Alexandrie minuscule, une centaine de livres de formats divers sur toutes sortes de sujets. Par simple goût du changement, j'en modifiais sans cesse la disposition. Je décidais, par exemple, de les ranger par tailles, de sorte que chaque étagère ne contînt que des volumes de même hauteur. Je devais découvrir bien plus tard que j'avais un prédécesseur illustre, Samuel Pepys qui, au XVIIe siècle, avait pourvu ses livres les moins hauts de petits talons, afin que tous leurs dos forment, au dessus, une belle ligne horizontale*1.

1. Pepys a légué au Magdalene College, Cambridge, exactement trois mille volumes numérotés du plus petit au plus grand.

(II- Un ordre, p.47-48 ; et Notes)

Commenter  J’apprécie          80
"Ceux qui savent lire voient deux fois mieux", écrivait le poète attique Ménandre au IVe siècle avant J.-C.
Commenter  J’apprécie          80
"Les conversations avec Borges étaient ce qu'à mon avis devaient être toutes les conversations : elles traitaient de livres et de l'horlogerie des livres, de la découverte d'auteurs que je n'avais pas encore lus et d'idées qui ne m'étaient encore jamais venues à l'esprit ou que je n'avais qu'entraperçues de façon hésitante, à demi intuitive, et qui, par la voix de Borges, brillaient et étincelaient dans toute leur splendeur généreuse, et d'une certaine manière, évidente."
Commenter  J’apprécie          80
Mais la lecture au lit n'est pas qu'une distraction ; on y trouve une intimité d'une espèce particulière. Lire au lit est une activité égocentrique, immobile, libre des conventions sociales habituelles, cachée au monde et qui, parce qu'elle a lieu entre les draps, dans le domaine de la luxure et de l'oisiveté coupable, a un peu de l'attrait des choses interdites.
Commenter  J’apprécie          70
Ce n’est que bien plus tard que j’ai découvert que poser des questions pouvait être autre chose, proche de l’émotion d’une quête, la promesse d’une chose qui se précisait en chemin, une succession d’explorations qui progressait dans un échange entre deux personnes et n’exigeait pas de conclusion. Il est impossible de surestimer l’importance d’avoir la liberté de telles interrogations.
Commenter  J’apprécie          70
J’appris bientôt que la lecture est cumulative et se développe selon une progression géométrique : chaque nouvelle lecture s’ajoute à ce que le lecteur a lu auparavant.
Commenter  J’apprécie          70
Alberto Manguel
S'il y a de l'espoir, il doit venir de l'éducation, de l'imagination, du pouvoir de concevoir un monde meilleur. Aujourd'hui , que reste-il de la possibilité d'une démocratie au sens moderne ? Il y a une façon de penser empoisonnée et qui empoisonne. Nous sommes dans ce climat empoisonné qui ne croit pas à la vérité, ni des sciences, ni des arts, qui ignore les avertissements que les scientifiques nous ont fait de changer notre vie.
Si nous voulons continuer à avoir une vie, il faut changer ou nous suicider. J'ai le sentiment que nous allons vers un suicide collectif.
Commenter  J’apprécie          70
Si les livres sont nos comptes rendus d'expériences et les bibliothèques nos dépôts de souvenirs, un dictionnaire est notre talisman contre l'oubli. Ni un mémorial du langage, ce qui sent la tombe, ni un trésor, ce qui implique quelque chose de fermé et inaccessible. Conçu dans l'intention d'enregistrer et de définir, un dictionnaire est en soi un paradoxe : d'un côté, il accumule tout ce qu'une société crée pour sa propre consommation, avec l'espoir d'une compréhension commune du monde; de l'autre, il assure la circulation de ce qu'il amasse afin que les mots nouveaux ne soient pas abandonnés dans le froid. (p. 117)
Commenter  J’apprécie          72
Une bibliothèque nationale doit garantir la liberté de jouir de ces plaisirs-intellectuel, créatif, empathique- afin que quiconque le souhaite puisse être tenté d'aller au-delà de ce qui est offert, de ce qui est apparent, de ce qu'il est convenu de considérer comme bon. Pour atteindre ce but, beaucoup de choses sont nécessaires. Argent, travail, imagination, et un constant dialogue social, et plus encore d'imagination, plus de travail et plus d'argent. Les gouvernements doivent être amenés à comprendre l'importance du rôle que joue une bibliothèque nationale dans le maintien d'une société sous la forme d'une entité cohérente, interactive et résiliente, et fournir les fonds correspondants. Une bibliothèque nationale peut, je crois, être une sorte d'atelier de création et un endroit où sont conservés des documents où les futurs lecteurs pourront trouver des idées afin d'imaginer des mondes meilleurs. (p. 148)
Commenter  J’apprécie          70
Marguerite Duras a dit qu'elle lisait rarement sur les plages ou dans les jardins, expliquant qu'on ne peut pas lire sous deux lumières en même temps,celle du jour et celle du livre, mais plutôt à la lumière électrique, avec la pièce dans l'ombre et la page seule éclairée.
Commenter  J’apprécie          70
Pour Kipling, les enfants étaient des héros qui parfois- mais pas toujours- devenaient des adultes acceptables, et c'était dans l'enfance que l'on pouvait trouver les plus grandes qualités-et parfois les pires défauts- d'un individu. (p. 60)
Commenter  J’apprécie          70
C'est curieux, cette façon dont un lecteur façonne son propre texte en remarquant certains mots, certains noms qui ont pour lui une signification privée, dont lui seul perçoit l'écho, et qui échappent à tous les autres.
Commenter  J’apprécie          70
Mais, parfois, cet ordre ne me satisfaisait pas et je réorganisais les livres par sujets : les contes de fées sur une étagère, les récits d'aventures sur une autre, les ouvrages scientifiques et relations de voyage sur une troisième, la poésie sur une quatrième, les biographies sur une cinquième. Et parfois, juste pour varier, je groupais mes livres par langues, ou par couleurs, ou en fonction de mon attachement envers eux. Au Ier siècle avant notre ère, Pline le Jeune décrivait les joies de sa maison de campagne et, notamment, une pièce ensoleillée où "un mur est garni d'étagères comme une bibliothèque où ranger les livres que je lis et relis". J'ai pensé parfois à me constituer une bibliothèque qui ne comporterait que mes volumes les plus manipulés.
Et puis des groupes se formaient dans les groupes. Ainsi que je l'apprenais alors, sans pouvoir l'exprimer avant longtemps encore, l'ordre engendre l'ordre. Sitôt établie, une catégorie en suggère ou en impose d'autres, si bien qu'aucune méthode de catalogage, sur étagères ou sur papier, n'est jamais close. [...] Il n'existe pas de catégories ultimes dans une bibliothèque.

(II- Un ordre, p.49-50)
Commenter  J’apprécie          70



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Alberto Manguel (1233)Voir plus

Quiz Voir plus

Arnaldur Indridason ou Camilia Läckberg

L’enfant allemand ?

Arnaldur Indridason
Camilia Läckberg

10 questions
66 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}