Hippocampe
Extrait 2
Princes de la confiance. Quand les femelles déposent leurs
œufs dans le mâle,
Pour qu'il les porte et leur donne naissance, ils sont l'idéal
social-démocrate de la reproduction.
Trop fragiles pour la culpabilité, mais assez visibles
Pour que l'œil jaloux de la moule songe à la beauté et à l'amour.
Parmi les ombres des hommes, les corpuscules des hippocampes
s'assèchent,
Perdent leur transparence, deviennent grossiers et émoussés.
Entre tes deux doigts, tu les émiettes, beauté et amour,
En ce qui n'est pas beau, en ce qui — tu as oublié quand —
a cessé d'aimer.
Manteau
Te souviens-tu de l'archiviste qui s'est suicidé
Pour une feuille mal rangée ?
Des trois bibliothécaires jamais revenues des magasins ?
De l'étudiant en histoire qui mordit le professeur au cou
pendant un examen
Parce qu'il ne se rappelait pas le prix d'une soupe de
pommes de terre en mai 1889 ?
Du perroquet qui cria sans arrêt Stalingrad, sexe libre,
souveraineté ?
Mais il y a une autre mémoire, avec laquelle tu ne retiens rien.
Un manteau fait par personne, qui ne peut appartenir à personne.
Mais tu peux l'emprunter pour t'y réchauffer, y faire des rêves.
Pour être un invité dans ta propre maison. Locataire d'une deuxième
personne du singulier.
Avec la première mémoire, tu essaies en vain de te souvenir de tout.
Mais à la seconde, qui te tire du néant, tu songes rarement.
Pierre
Personne n'entend ce que la pierre garde en elle-même.
Imperceptible, ce n'est qu'à elle, comme la douleur.
Prise entre le cuir de la chaussure et la plante du pied.
Quand tu t'en allèges, les feuilles virent dans les allées dénudées.
Ce qui était ne sera plus jamais ;
Et des tas d'autres signes en décomposition.
L'odeur des hôpitaux tout près. Tu poursuis ta marche muette.
Ce que tu gardes en toi-même, personne ne l'entend.
Tu es l'unique habitant de ta pierre.
Tu viens juste de la laisser tomber.
Hippocampe
Extrait 1
Êtres de lumière liquide, vagabonds des courants sous-marins,
Étudiants en danse du ventre, fiancées dévouées aux volontés
de l'océan.
Des dieux phéniciens oubliés ont gonflé de leur dernier souffle
Des corpuscules de verre, pour qu'ils brillent comme des
clepsydres vides.
Leurs queues espiègles s'entortillent dans les mailles des
pêcheurs,
L'oscillation de leurs ailettes dessine des coussins d'éternité
dans le rêve inquiet d'un noyé.
…