Comment, accepter d’avoir été abandonné de la sorte, comme un vulgaire paquet encombrant, comment une mère peut-elle être à ce point dénuée d’amour maternel pour pouvoir écarter de sa vie sont propre enfant ? C’est elle cette génitrice abjecte qu’il haïssait de tout son être.

Du plus loin qu’elle s'en souvienne, elle avait toujours été habitée par un profond mal-être, luttant perpétuellement contre cette étrange sensation de solitude. Elle se sentait incomplète, comme si une part d’elle-même demeurait inexorablement manquante. Peut-être n’était-ce que le reflet d’une enfance chaotique partagée entre une mère tyrannique et un père esclave de sa femme. Elle avait grandi sous le joug d’un modèle familial castrateur et s’était promis de ne jamais reproduire ce schéma lorsqu’elle serait mère à son tour. Avec le temps, elle avait compris que ce moment n’arriverait jamais. Il ne lui revenait en mémoire que peu de souvenirs de son adolescence, si ce n’est la profonde amitié qui la liait à James, le fils de leur voisin, qui subissait quant à lui les affres incessantes d’un père violent. De leurs deux solitudes était né un lien indestructible, un soutien mutuel dans un quotidien destructeur. Elle n’avait plus aucun contact avec lui, tout leur passé commun s’évanouissait comme s’il n’avait été qu’une illusion. Quelque chose l’empêchait d’accéder à ses souvenirs, comme un black-out qui aurait noirci les cases de sa conscience. En quête de soi, elle s’était instinctivement dirigée vers des études de psychologie, pensant trouver des réponses à ses absences.
Lassée d’attendre un semblant d’affection qui ne viendrait jamais, Tamara avait vite compris qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même. Son père, d’un naturel passif et enclin à la dépression, était prisonnier de l’emprise de sa femme et n’avait, lui non plus, jamais été en mesure de lui apporter la stabilité auquel chaque enfant a droit. Heureusement il y avait James… Lui seul savait la rassurer et la comprendre, avec le recul il apparaissait clairement à Tamara qu’il l’avait sauvée d’elle-même. Elle était persuadée que sans cette rencontre providentielle, elle aurait été happée par ses propres démons.
Chris se retrouva encore une fois seul, un bout de papier insignifiant dans la main, avec la sensation étrange que personne ne lui viendrait jamais en aide, comme si son sort était déjà scellé, un martyr en devenir qui ne resterait pas en mémoire, un des nombreux élèves qui s’enfoncent dans les ténèbres sans que personne ne s’en aperçoive jusqu’à ce que...
Le bien et le mal, appliqués dans un contexte de rapports humains consentis ou non, demeuraient des notions plutôt nébuleuses puisqu'elle n'avait connu que lui à l'âge charnière où l'on cherche à s'identifier et se construire. Il avait été un terreau de perdition pour son âme.
Chris avait l’impression d’être son petit toutou, pourtant l’unique animal dans la pièce était Quarter, un animal des plus dangereux, de ceux qui rôdent autour de vous, aspirent votre force vitale puis vous sautent à la gorge, arrachant votre chair jusqu’à l’os.
– Mais à quoi ça t’avance de me faire du mal, pourquoi tu m’humilies sans arrêt ?
– Parce que je le peux. Tu vois, la vie c’est comme ça, il y a ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui se soumettent.
Les tueurs qui laissent des messages aussi forts agissent toujours pour une raison, cette cicatrice béante au fond de leur âme qui les pousse à l’action.C’est ce qui fait d’eux des psychopathes.
On ne peut faire disparaître ce qui nous définit, on peut faire taire la petite voix au fond de soi, mais lorsque le cri paraîtra de nouveau il n’en sera que plus dévastateur
Le passé ne vous quitte jamais vraiment, il distille son poison lentement et profite de la moindre faille pour s'engouffrer plus profondément encore.