Alexandra Ott

Peut-être que, parfois, aimer quelqu'un signifie que vous devez le laisser partir.

Ma mère me prend par la main et m'attire vers elle.
- Certaines personnes ne vont pas apprécier que tu deviennes Sentinelle, c'est vrai. Ces sentiments ne disparaitront pas comme cela. Ni maintenant, ni même si tu gagnes. Il y aura toujours des villageois qui estimeront que tu as privé leur fils d'une chance, et ils ne vont pas sauter de joie.
- Donc c'est vrai, ils me détestent.
- Écoute. Je ne te dis pas cela pour t'effrayer. Quoi que tu décides, ton père et moi te soutiendrons. Néanmoins, tu dois comprendre une chose. J'espérais que nous n'en arriverions pas là, mais je crains que ce soit une possibilité.
Elle inspire à fond, puis reprend :
- Tu dois savoir que, si tu remportes cette compétition, cela affectera le regard que les villageois porteront sur toi pour le reste de ta vie - pour le meilleur chez certains, pour le pire chez beaucoup. Ce soir, ce n'étaient peut-être que des garçons qui faisaient les fous. Mais quoi qu'il en soit, ce ne sera pas la dernière fois qu'on cherchera à te faire peur, et la prochaine risque d'être pire. Tu dois te préparer à toutes les éventualités.

Je rêve de devenir Sentinelle depuis que je suis en âge de comprendre les récits de mon père. Il rentrait toujours de mission les poches pleines d'astrales - ces jolies fleurs en forme d'étoile dont nous avons tant besoin dans ma famille - et d'écailles de dragon, il me racontait ses voyages, dans les montagnes, au-dessus des océans... Il m'expliquait comment il avait soigné des renards des glaces ou des viresouffles, comment il avait pisté des licornes et chevauché des dragons, et tant d'autres aventures encore.

p.23

- [...] parfois j'ai l'impression d'être un dragon, tu vois ?
- Euh, non, explique-moi.
- Eh bien, les dragons... ils ont besoin de voler parce qu'ils ont en eux quelque chose d'à la fois sauvage, puissant et intrépide. On ne peut pas les garder en cage. Moi, des fois, j'ai l'impression que le village est une cage, et que j'ai besoin de plus de liberté.

p.256

- Oskar est souffrant, révèle-t-il tout bas. Il va sans doute s'en remettre, mais il a décidé de prendre sa retraite.
Je n'aurais pu espérer apprendre meilleure nouvelle, même si l'annonce de cette retraite devrait sans doute me peiner. Oskar est un homme bon, un des plus proches amis de mon père, aimé de tout le village. Il va sans dire que je ne lui souhaite pas d'être malade.
Mais je mentirais si je prétendais que mon cœur ne danse pas sauvagement dans ma poitrine, faisant vibrer tous mes membres d'euphorie. En tant que doyen des Sentinelles, Oskar était le seul susceptible de prendre sa retraite sous peu. C'est l'occasion dont je rêve depuis toujours, et ma famille ne peut pas se permettre d'attendre beaucoup plus longtemps.