Théâtre : le demi monde à la Comédie Française
Sur les indications du metteur en scène, Maurice ESCANDE, Lise DELAMARE et Magali de VENDEUIL répétent une scène de la pièce d'
Alexandre DUMAS Fils, "Le demi monde", dans laquelle elles interprètent repectivement la baronne Suzanne d'Ange et Marcelle, deux demi-mondaines. Pierre DESCAVES assiste à la répétition.
Je m'ennuyais. Voilà comment ça a commencé. Elle m'ennuyait, voilà comment ça a fini.
C’est que depuis que je vous ai vue, je ne sais comment ni pourquoi, vous avez pris une place dans ma vie, c’est que j’ai eu beau chasser votre image de ma pensée, elle y est toujours revenue, c’est qu’aujourd’hui quand je vous ai rencontrée, après être resté si longtemps sans vous voir, vous avez pris sur mon cœur et mon esprit un ascendant plus grand encore, c’est qu’enfin, maintenant que je vous connais, vous m’êtes devenu indispensable, et que je deviendrais fou, non pas seulement si vous ne m’aimez pas, mais si vous ne me laissez pas vous aimer.

Être aimé d'une jeune fille chaste, lui révéler le premier cet étrange mystère de l'amour, certes, c'est une grande félicité, mais c'est la chose du monde la plus simple. S'emparer d'un cœur qui n'a pas l'habitude des attaques, c'est entrer dans une ville ouverte et sans garnison. L'éducation, le sentiment des devoirs et la famille sont de très fortes sentinelles ; mais il n'y a sentinelles si vigilantes que ne trompe une fille de seize ans, à qui, par la voix de l'homme qu'elle aime, la nature donne ses premiers conseils d'amour qui sont d'autant plus ardents qu'ils paraissent plus purs. Plus la jeune fille croit au bien, plus elle s'abandonne facilement, sinon à l'amant, du moins à l'amour, car étant sans défiance, elle est sans force, et se faire aimer d'elle est un triomphe que tout homme de vingt-cinq ans pourra se donner quand il voudra. Et cela est si vrai que voyez comme on entoure les jeunes filles de surveillance et de remparts ! Les couvents n'ont pas de murs assez hauts, les mères de serrures assez fortes, la religion de devoirs assez continus pour renfermer tous ces charmants oiseaux dans leur cage, sur laquelle on ne se donne même pas la peine de jeter des fleurs.
Les femmes sont impitoyables avec les gens qu'elles n'aiment pas.
Enfin, on m'eût dit : vous aurez cette femme ce soir, et vous serez tué demain, j'eusse accepté. On m'eût dit : donnez dix louis, et vous serez son amant, j'eusse refusé et pleuré, comme un enfant qui voit s'évanouir au réveil le château entrevu la nuit.
Les lettres anonymes ont le grand avantage qu'on est pas forcé d'y répondre.
Si fort que l'on aime une femme, quelque confiance que l'on ait en elle, quelque certitude sur l'avenir que vous donne son passé, on est toujours plus ou moins jaloux. Si vous avez été amoureux, sérieusement amoureux, vous avez dû éprouver ce besoin d'isoler du monde l'être dans lequel vous vouliez vivre tout entier. Il semble que, si indifférente qu'elle soit à ce qui l'entoure, la femme aimée perde de son parfum et de son unité au contact des hommes et des choses. Moi, j'éprouvais cela bien plus que tout autre. Mon amour n'était pas un amour ordinaire ; j'étais amoureux autant qu'une créature ordinaire peut l'être, mais de Marguerite Gautier, c'est-à-dire qu'à Paris, à chaque pas, je pouvais coudoyer un homme qui avait été l'amant de cette femme ou qui le serait le lendemain.
Ce qui fait le mal en ce monde, ce n'est pas la méchanceté, c'est la bêtise .
« Manon était morte dans un désert, il est vrai, mais dans les bras de l'homme qui l'aimait avec toutes les énergies de l'âme, qui, morte, lui creusa une fosse, l'arrosa de ses larmes et y ensevelit son cœur ; tandis que Marguerite, pécheresse comme Manon, et peut-être convertie comme elle, était morte au sein d'un luxe somptueux, s'il fallait en croire ce que j'avais vu, dans le lit de son passé, mais aussi au milieu de ce désert du cœur, bien plus aride, bien plus vaste, bien plus impitoyable que celui dans lequel avait été enterrée Manon. »
Les chaînes du mariage sont si lourdes qu'il faut être deux pour les porter. Parfois trois.