Dans mon métier, tempérance est mère de clergesse. Je fais donc preuve d’une présence digitale calculée et maîtrisée. Vous allez me dire : quel rapport avec cette manie du nettoyage numérique en pleine nuit ? J’y viens. Régulièrement, j’efface certaines choses relayées ou likées. Je ne poste presque rien. Seulement, je me rends compte que je peine à sabrer les échanges de messages. C’est un tort, peut-être ! À quoi bon conserver ces historiques de conversations ? À rien !
Bref, il se reposait. Après trois mois difficiles passés au sein d’une organisation antifa, les congés étaient les bienvenus. Les vacances de ski pointaient à l’horizon. Plus que dix jours et l’Autriche, ses pistes, son Stroh et ses bonnets C seraient à lui. Pas question de remettre ça, cette fois-ci. Pourtant, il hésitait encore quant au jour du départ, son fidèle Sicaire était mal en point depuis quelques jours. Une blitzgrippe, sans doute.
Je ressens toujours ce sentiment étrange et idiot lorsque je vois un Juif en Allemagne. Allez savoir pourquoi ! Plus de soixante-dix ans après. L’envie de me griller une cigarette me prend. Ici, en plein air, c’est encore autorisé.J’aimerais bien faire semblant de penser un peu au boulot. Être dans mon rôle et passer en revue le déroulé des trois derniers jours : contacts intéressants, présentations prometteuses et futurs « nouveaux amis ».
— Saint Val ? demanda la voix qui n’avait d’outre que la tombe.
— Oui, répondit-il.
— Je pense qu’on m’a marabouté, siffla le Sicaire.
— Pourquoi tu dis ça ?
— C’est comme si on m’enfonçait des pieux dans les articulations, ach, lâcha-t-il avec son accent issu de Germains.
— J’arrive. Tu veux que je te monte un truc ?
— Oui, un désenvoûteur.
Il paraît qu’à la Saint-Barnard le temps est au rangement de placards. Peut-être ! Ce qui était en revanche certain ce jour-là, c’est qu’à voir la moue de Serpentes – alias Grand-Papa pour les intimes, que l’on surnommait le Vieux quand il était absent – les vacances de Saint Val étaient remisées à la Saint-Glinglin.
J’approche la cinquantaine, ça doit être ça. Ce ne sont plus les événements qui me coûtent, c’est mon corps qui trinque. Il n’y a encore pas si longtemps de cela, j’enchaînais avec facilité les semaines chaotiques et les variations de rythme. Je résistais aux invasions du temps, aux assauts de l’imprévu.
Voyez comment les choses arrivent : sur les uns le bonheur tombe graduellement, sur les autres il s’abat comme une masse. » Je suis veinard et je ne pense plus qu’à m’endormir.Même en bon Français, on ne peut le nier, les trains ICE3 allemands sont hyper rapides.
J’ai vécu à l’étranger, parfois au milieu des bombes. J’ai l’œil pour ces choses-là. Je me demande si ce ne sont pas les deux jeunes Juifs isolés qui excitent mon angoisse, ce rabiot de vigilance. Et soudainement, je comprends. Le reichsmark me tombe.
Je ne me trouve pas particulièrement beau. D’ailleurs, les seules fois où j’ai pu croire que j’avais suffisamment de charme, c’était parce qu’on me l’avait dit. Je sais bien, moi, que je ne suis pas James Bond. Et pourtant.
J’ai l’impression d’être un linge que fracasse une vieille lavandière sur un lavoir à grands coups de batte.