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Citation de Woland


[...] ... Ils repartirent, franchirent les portes ; puis ils furent projetés sur la droite : le fourgon avait pris un brusque virage à gauche, vers la grande route.

La secousse précipita l'un contre l'autre Nerjine et Guerassimovitch. Chacun regardant, essayant de reconnaître l'autre. Ce n'était pas seulement la bousculade à l'intérieur du panier à salade qui les rapprochait ainsi.

Ilya Khorobrov, retrouvant un peu de courage, lança dans l'obscurité :

- "Ne vous en faites pas, les gars, ne regrettez pas de partir. Est-ce qu'on peut appeler ça une vie, l'existence à la charachka ? On prend le couloir et on tombe sur Siromakha. Un type sur cinq est un indicateur. On n'a même pas le temps de lâcher un pet aux cabinets que le "protecteur" est déjà au courant. Voilà deux ans qu'ils ne nous laissent pas de dimanche, les salauds. La journée de travail a douze heures ! On leur donne toute notre cervelle pour vingt grammes de beurre. Ils nous ont interdit de correspondre avec nos familles, eh ! bien, qu'ils aillent se faire voir ! Et le travail, c'est un véritable enfer, dans son genre !"

Khorobrov se tut, indigné.

Dans le silence qui suivit, dominant le ronronnement régulier du fourgon qui roulait sans heurts sur l'asphalte de la route, on entendit la réponse de Nerjine :

- "Non, Ilya Terentitch, ça n'est pas l'enfer. Ca n'est pas l'enfer ! L'enfer, c'est là où nous allons. Nous retournons en enfer. Et la charachka est ce qu'il y a de mieux, de plus élevé dans l'enfer, c'en est le premier cercle. C'était presque le paradis."

Il n'ajouta rien de plus car il sentait que ce n'était pas nécessaire. Ils savaient tous que ce qui les attendait était incomparablement plus dur que la charachka. Ils savaient tous qu'ils se souviendraient de la charachka comme d'un rêve doré. Mais en ce moment, pour soutenir leur courage et le sentiment qu'ils avaient que leur cause était juste, il leur fallait maudire la charachka pour qu'aucun d'eux n'eût de regret, pour qu'aucun ne se reprochât un pas trop précipité.

Et Khorobrov insista :

- "Non, les gars, mieux vaut du pain et de l'eau que du gâteau et des ennuis."

Toute leur attention concentrée sur les tournants que prenait le fourgon, les zeks restaient silencieux.

Oui, ce qui les attendait, c'étaient la taïga et la toundra, les records de froid d'Oimyakon, les mines de cuivre du Djezkazgan. Ce qui les attendait, c'étaient le pic et la brouette, les rations de famine de pain spongieux, l'hôpital, la mort. Rien que le pire.

Mais la paix régnait dans leur coeur.

Ils étaient habités par l'intrépidité de ceux qui ont tout perdu, une intrépidité qu'on n'acquiert pas facilement mais qui dure.

Trimballant sa cargaison de corps entassés, le camion gaiement peint d'orange et de bleu traversa les rues de la ville, passa devant une gare et s'arrêta à un carrefour. Une voiture marron aux chromes étincelants attendait elle aussi que le feu passât au vert. A l'intérieur se trouvait le correspondant du quotidien progressiste français "Libération" qui se rendait au stade Dynamo pour assister à un match de hockey. Le correspondant lut sur le camion :

Myaso
Viande
Fleisch
Meat

Il se souvint d'avoir déjà vu plus d'un camion semblable à celui-ci dans divers quartiers de Moscou. Il prit son carnet et nota avec un stylo marron, comme sa voiture :

"Dans les rues de Moscou, on voit souvent des camions bien astiqués et répondant à toutes les exigences de l'hygiène, qui vont livrer des produits alimentaires. Il faut bien reconnaître que l'approvisionnement de la capitale est excellent." ... [...]
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