Alexane Guth

Il appréciait la voix de son Professeur, la manière dont il partageait son savoir, avec d’amples et éloquentes démonstrations. L’écouter avait quelque chose d’apaisant. Dans son ombre, il pouvait distinguer le bruissement de sa veste, chacune de ses respirations, la passion dévorante qui animait ses gestes tandis qu’il donnait son cours. Il aimait la relation qu’entretenait Hope avec sa classe, l’étincelle qui s’allumait dans ses prunelles sombres lorsqu’on lui posait une question, puis apparaissait dans ceux de l’élève quand la réponse, anticipée par Ever, était formulée.

La satisfaction qu’il lisait sur son visage, à l’instant où son raisonnement entrait en résonance avec celui de ses étudiants, n’avait pas de prix. Et puis, Hope Shiloy possédait une captivante façon d’enseigner. Expliqué avec ses mots, aucun des sujets qu’il abordait en cours ne semblait inintéressant ou inaccessible. Son discours parvenait à capter l’attention des plus sceptiques. Alors, assis dans l’ombre de son Professeur adoré, Ever s’imprégnait de ses paroles. Pour quelqu’un comme lui, il n’existait de place plus privilégiée que celle-ci, d’où il pouvait absolument tout étudier.

« Un jour, je lui prouverai que je suis capable de me débrouiller par moi-même. »

« Tiens, quelqu’un a oublié de protéger ses pensées… »

Un hoquet de stupeur s’étouffe dans sa gorge tandis que la voix railleuse de Koru s’insinue dans sa tête.

« Hé ! ça suffit d’épier mon esprit. »

— Ce n’est pas ta capacité à te débrouiller que je remets en doute, reprend l’animal avec sérieux.

— Quoi, alors ?

— Celle de te retenir de brûler les étapes. Crois-moi, j’ai aussi vécu cet âge où tout semble possible et où l’on se laisse gagner par son assurance. Devenir un Oracle accompli demande du temps. Tu as libéré de nouvelles facultés qu’il te faut maintenant apprivoiser. Tu devras être patiente et me faire confiance, d’accord ?

— Même quand le sort du monde est en jeu ?

— Surtout quand le sort du monde est en jeu.

Contre toute attente, son protégé n’émit aucune objection. Il ne sut s’il devait s’en réjouir ou s’en inquiéter : il n’était guère dans ses habitudes de renoncer, même temporairement, à l’idée qui lui trottait dans la tête. Depuis qu’il avait saisi ce fil, au cœur du bureau dévasté, rien ni personne n’avait pu le dissuader de se détourner du chemin vers lequel il le conduisait. Il se raccrocherait à cette piste, si mince fût-elle. Pourvu qu’elle lui apporte les réponses qu’il cherchait : de cela, Hope Shiloy était convaincu. Restait à déterminer pourquoi il n’avait pas eu besoin de lui opposer le discours qu’il avait soigneusement réfléchi, s’attendant à ce qu’il réplique quelque chose. Au lieu de ça, Ever était demeuré silencieux. Il admettait sa décision sans une once de protestation. Pourtant, la lueur dans ses yeux distants s’avérait sans équivoque : il se préparait.

« Tu ne nous vois pas encore, mais nous sommes constamment à tes côtés. Tu n’es pas seule. Tu as le droit d’avoir peur, de te sentir dépassée. D’être vulnérable. Toutes tes émotions sont légitimes, quelles qu’elles soient. N’éprouve aucune honte à les ressentir plus intensément, ou différemment, car telle est ta force. L’empathie est ta meilleure alliée, parce qu’elle te permet d’envisager ta mission avec humanité, et non comme une simple obligation. N’oublie pas : il y aura toujours une Étoile pour veiller sur les Oracles et les accompagner dans leur difficile tâche. Toujours. »

Il y a les gens prudents, et ceux qui s'exposent constamment au risque. Mais il existe en réalité une troisième catégorie que l'on sous-estime souvent. Ce sont les gens prudents qui finissent par prendre un risque.

— Tu te crois au-dessus de tout, n’est-ce pas ? grinça l’homme en comblant la distance qui les séparait.

Si le visage de l’inspecteur n’était plus qu’à quelques centimètres du sien, cela ne le décontenança nullement. Bien au contraire, il soutenait cet échange avec un défi presque animal.

— Tu penses que, juste parce que tu as résolu deux petites énigmes, ça fait de toi quelqu’un d’extraordinaire ?
— En un jour. Seul. Et avant vous, manifestement. Je me demande... combien d’entre vous a-t-il fallu pour arriver aux mêmes conclusions ?

Dans cet instant suspendu, l’enfant et son Étoile ne font qu’un.

— Je te cherchais sans relâche, à travers chaque époque, chaque réalité. Et je t’ai enfin trouvée.

Elle presse son front contre le sien, place ses petites mains de chaque côté de sa tête et ferme les yeux. En réponse à leur étreinte, les Orbes endormis émergent en contrebas et forment des dizaines de torsades qui s’entremêlent pour les entourer. Leur lumière iridescente inonde les lieux, célébrant cette complicité entre l’Oracle et l’Étoile.

« Le monde était gris...
Jusqu’à ce que je te trouve. »

Deux yeux sinistres scrutaient la fenêtre, fixés sur un point imaginaire. Dans l’obscurité de sa chambre, parfaitement immobile, une silhouette recroquevillée guettait. À l’intérieur, sa conscience bourdonnait. Par-delà ses mèches éparses, l’enfant visualisait l’image de son adversaire. La carte de sa projection mentale se déploya et dans la brume de son esprit se dessina un nouvel horizon.

— Rentrons, avait-il simplement déclaré. Soren doit sûrement s'inquiéter.
Avec le recul, je me sens un peu coupable. Il fait tout son possible pour nous préserver. Il nous a pris sous son aile sans rien demander en retour. Il écoute avec clémence, sans jamais nous interrompre. Il accepte même nos ombres les plus noires. Quand a-t-il noyé ses propres émotions, dans son éternel désir de protection ? À quel moment s'est-il oublié ?

— Rentrons, avait-il simplement déclaré. Soren doit sûrement s'inquiéter.
Avec le recul, je me sens un peu coupable. Il fait tout son possible pour nous préserver. Il nous a pris sous son aile sans rien demander en retour. Il écoute avec clémence, sans jamais nous interrompre. Il accepte même nos ombres les plus noires. Quand a-t-il noyé ses propres émotions, dans son éternel désir de protection ? À quel moment s'est-il oublié ?