C'est de ce moment qu'il devient le Rustique, et qu'il donne à ses travaux cette grandeur de caractère, cette hauteur de vues qui ont fait de lui un homme unique dans notre art, un nouveau venu qui parle un langage jusqu'alors inentendu. Ce n'est pas à dire que Millet soit le plus grand de nos peintres. Mais je voudrais faire comprendre que, pour la saveur et l'originalité de la pensée, il n'a pas eu de précurseurs.
L'écho des campagnes, les églogues, les durs labeurs, les inquiétudes, les misères, les sérénités, les passions de l'homme voué au sol, il saura tout traduire. Et le citadin s'apercevra un jour qu'on peut « faire servir le trivial au sublime » et faire surgir, des actes les plus ordinaires de la vie, un noble et grand spectacle.
Si vous voyiez comme la forêt est belle! J'y cours quelquefois à la fin du jour et après ma journée, et j'en reviens à chaque fois écrasé. C'est d'un calme, d'une grandeur épouvantables, au point, que je me surprends ayant véritablement peur. Je ne sais pas ce que ces gueux d'arbres là se disent entre eux, mais ils se disent quelque chose que nous n'entendons pas, parce que nous ne parlons pas la même langue, voilà tout. Je crois seulement qu'ils font peu de calembours.
C'est en 1859 que Millet achève son tableau de l'Angélus du soir. Dans cette peinture d'une conception vraiment nouvelle, Millet veut être musical. Il prétend faire entendre les bruits de la campagne et jusqu'au tintement des cloches. « C'est la réalité de l'expression qui peut rendre tout cela », disait-il.
Millet, le peintre des paysans, est né le 4 octobre 1814, au hameau de Gruchy, commune de Gréville, canton de Beaumont (Manche). Il était le second enfant de Jean-Louis-Nicolas Millet, cultivateur, et de sa femme légitime Aimée-Henriette-Adélaïde Henry. L'aînée des enfants était une fille (Émilie) qui plus tard épousa un habitant du hameau, nommé Lefèvre. Sa grand'mère fut sa marraine. Elle le nomma Jean, du nom de son père, et François, parce que c'était un grand saint qu'elle aimait et dont elle invoquait souvent la protection. Saint François d'Assise, l'infatigable contemplateur des choses de la nature, était, en effet, un patron bien choisi pour l'homme qui, plus tard, devait être l'amant le plus passionné de l'oeuvre de Dieu.
Je suis venu à Paris avec mes idées toutes faites en art, et je n'ai pas jugé à propos de les modifier. J'ai été plus ou moins amoureux de tel maître et de telle forme d'expliquer l'art, mais je n'ai rien modifié au fond. Vous connaissez mon premier dessin fait au pays, sans maître, sans modèle, sans guide : il est encore là dans mon atelier; je n'ai jamais fait autre chose depuis. Vous ne m'avez jamais vu peindre que dans l'ombre : c'est la demi-teinte dont j'ai besoin pour me rendre la vue perçante et me débrouiller le cerveau; ça a été mon meilleur maître.
Mais il faut bien le dire : Millet était de son temps. Paysan voué aux durs travaux de la terre, il avait sans cesse au coeur la compassion, la pitié pour les misérables des campagnes. Il n'était ni socialiste ni idéologue, et pourtant, comme tous les penseurs profonds et aimant l'humanité, il souffrait des souffrances des autres, et il avait besoin de les exprimer. Pour cela, il n'avait qu'à peindre le vrai paysan à son travail.
La mer était pour François Millet un sujet d'études et de sensations profondes. Il aurait voulu en reproduire la grandeur et l'épouvante. Il lui était resté des tempêtes de l'Océan un souvenir qui dura jusqu'à la fin de sa vie.