Alfredo Bryce-Echenique : noctambulisme aggrave
Olivier BARROT se trouve dans le salon Agha KAHN du domaine royal d'EVIAN pour présenter le
roman autobiographique d'
Alfredo Bryce ECHENIQUE, "Noctambulisme aggravé". L'animateur raconte le canevas
du roman face à des femmes assises dos à la caméraï
Il était habitué au système : du lundi au jeudi, quatre jours avec sa mère. Du vendredi au dimanche, trois jours avec son père. [...] Sa mère l'aimait beaucoup le jeudi, parce que le lendemain elle le verrait partir, et son père était très généreux le dimanche, parce que le lendemain, il devrait retourner chez «elle».
Julius,enfoncé dans un divan....suivant des yeux Juan Lucas qui récupérait, sur la commode, un porte-clés en or, des stylos en or, un portefeuille aux initiales en or, si l'on veut, enfin de quoi faire rêver un pickpocket , dommage qu'il n'aille jamais où ils étaient ou, comme c'est logique, vice versa. P.239
Aliaga, un grand de seconde, lui avait fait un croche-pied et poussé au moment précis où il allait marquer un but devant Morales; et puis il l'avait traité de pédé.Et lui il en pleurait de rage mais que faire? s'il le frappait c'était un péché."Pauvre Julius, intervint Susan,prenant un air trés préoccupé.Et qu'as-tu fait?" "Rien.Je lui ai dit que je ne pouvais pas le frapper parce que j'allais faire ma première communion, mais j'ai appelé Bosco qui est mon ami et qui est en troisième, et il lui a cassé la figure."
J'étais tombé amoureux d'elle, de sa peau de pêche bronzée toute l'année, de sa silhouette à vous réveiller un mort, de sa longue et rousse chevelure, de ses sourcils et de ses yeux très noirs à Lima, un soir que je chantais dans une fête à l'université catholique où elle était "Miss Faculté", ou quelque chose comme ça, et moi une sorte de Nat King Cole en espagnol, et à force de viens plus près de moi, plus près, plus près encore, je finis par tant la rapprocher de moi que je n'ai pas encore réussi à l'écarter complètement, bien que plus de mille ans, bien plus encore aient passé depuis ce temps-là, ce qui fait que je crois pouvoir répondre à l'auteur de ce boléro que oui, il semble bien que l'amour existe dans l'éternité.
Je m'obstine: si tu restes ferme encore un moment, tu sortiras du tourbillon. C'est quelqu'un qui est sorti d'un tourbillon différent, mais enfin d'un tourbillon, qui te le dit. Je ne suis certainement pas un modèle, mais je ne me sens pas pire que mon prochain. D'ailleurs, tout comme toi, au fond je suis un timide qui se bat, bien que dans mon cas l'affaire s'aggrave parce que depuis quelque temps j'ai remarqué que, un peu prématurément peut-être, je commence à me faire des poils blancs sur les testicules.
L'après-midi ils partaient tous dans la Mercedes et allaient jusqu'à Palomar ou au match de football que vingt-deux métis, avec vingt-deux tenues différentes et toutes sortes de chaussures, même pieds nus, improvisaient sur des terrains vagues au bord de la route. p.81
Juan Manuel Carpio, mon amour,
Fatiguée et sans entrain, j’ai marché dans les rues. Un musicien aveugle jouait ‘A kiss is just a kiss’. Le soleil a semblé vouloir se montrer. Et surtout on sent que les rues sont tristes. Ta présence si tendre, si attentive, si patiente me manque terriblement. Alors je suis entrée dans un café pour être avec toi, comme tu as toujours été, comme jamais tu n’as été, comme tu es et comme tu seras.
Ca me déplait de commencer cette correspondance, parce que la correspondance, c’est de la distance et que les mots sont des misérables qui dès qu’on n’y prend garde s’emparent de la situation. Des puissants de merde, qui nous enveloppent. Comme j’aimerais être plutôt enveloppée par ta belle et douce présence d’amour. Dans la simplicité et la gaucherie d’une tasse de café au petit matin.
Je t’aime, tu me manques, je me sens mal, je te serre dans mes bras, je t’adore,
Ta Fernanda.
Mais bien entendu, Tarzan, c’est elle, cela a toujours été elle, et maintenant c’est comme si Tarzan venait de découvrir la voracité totale de chaque cellule vivante de la forêt vierge. C’est comme si Tarzan commençait enfin à mûrir, une bonne fois pour toutes, pour s’occuper de ses gosses parmi les frondaisons et les eaux tourbillonnantes et leurs habitants dévorateurs, comme la hyène, ou venimeux, comme la tarentule. Et c’est maintenant comme si Tarzan avait pris conscience d’être l’objet de milles horribles et pervers affûts à la Rambo et que, s’apercevant que son cri dans la forêt n’a pas encore l’énergie suffisante, qu’il manque de férocité ou d’huile de foie de morue, appelez ça comme vous voudrez, il venait de s’inscrire dans un gymnase.
Et tu n’ignores pas tout ce qu’une amygdalite peut avoir comme conséquences pour Tarzan en pleine forêt vierge : de se faire dévorer par un lion jusqu’à perdre à tout jamais un honneur, une fierté et des convictions jusque-là très fermes.
[...] Mía et moi finîmes par travailler nuit et jour à notre premier projet. Et bien sûr, un jour nous riions comme des fous, et le lendemain nous étions fâchés à mort, pour un oui ou pour un non, ou parce qu'elle essayait d'interrompre, au moins quelques heures, notre séance de travail, je l'accusais de manquer de sérieux, et alors elle me traitait d'esclavagiste, ce à quoi je répondais que moi, ce que je savais faire, c'était gagner ma vie à la sueur de mon front, alors que toi, oligarque de merde, même quand tu es à demi morte de faim tu continues à être née pour être une millionnaire et une grande propriétaire pourrie [...].