Il me semble que j'écris toujours la même chose. Je tourne en rond dans Saint-Jambe et dans l'écriture. L'écriture, qui commande un arrachement à soi, avale mon énergie, me jette à terre. J'en viens à penser que c'est peut-être cela que l'on demande aux écrivains, de s'amputer d'une partie de leur vie, de se priver de la part d'eux-mêmes qu'ils empaillent en la mettant sur le papier. Peut-être leur rôle est-il précisément d'extraire le suc de leur existence pour le déverser sur des pages. Alors un jour peut-être, je serai une vraie écrivaine. En attendant, je préfère les discussions sur le triste sort des cireurs de chaussures durant la Révolution française que l'on peut avoir à la Librairie Saint-Jean-Baptiste. Je préfère rencontrer des copistes misanthropes qui écoutent du jazz en se foutant royalement des clients incultes. Je préfère rencontrer des gens comme moi, des gens incertains, des gens qui tournent en rond, des gens qui se sous-estiment.
C'est une maison qui n'a l'air de rien, de dehors. Lorsqu'on entre, c'est crasseux, au début, mais crasseux magique, crasseux qui évoque les greniers des contes de notre enfance.
Nos poubelles, ces artefacts peu reluisants de nos existences, brossent pourtant d'éloquents portraits de nous-mêmes.