Alice Hérisson

Alors que je bois une gorgée, je sens une main se poser sur mon genou, surpris, je manque de m’étouffer avec le breuvage glacé.
- qu’est que c’est ?
- Ah excusez moi, je croyais que c’était un tabouret
- Pas de problème, vous avez un peu raison. On me prend souvent pour un meuble.

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Mais qu’est-ce qu’ils ont, les hommes ces temps-ci ? Un pas en avant, trois pas en arrière…
Et les femmes alors ? À toujours tout remettre en question. Le monde est un peu plus libéré, plus avancé, d’accord, mais les humains ils sont toujours aussi cons, eux.
C’est sûr que c’est quand même mieux qu’il y a deux cents ans. À l’époque, avec les mariages arrangés, pour moi, c’était chômage technique.
Maintenant, il y a du boulot. Trop peut-être.
En tout cas, je suis content que ça marche pour ces deux-là. Et ouais, je sais, j’ai beau faire ça depuis une éternité, je m’attache quand même.

— Tu veux savoir pourquoi on est tous là ? Parce qu’on est seul, merde ! Vous ne pouvez pas comprendre ça tant que vous ne l’avez pas vécu ! Vous avez déjà oublié ce que c’était la solitude ? Vous, la secte des gens maqués, heureux, ceux qui ont tout bon et tout compris ! Tiens, écris ça, sur ton calepin de gratte-papier. Je pointe du doigt son carnet : « Alice, vingt-sept ans, déclare : “La solitude, ça pue. Le speed dating, ça pue aussi, mais c’est un moyen comme un autre de t’échapper de ton quotidien.” »

J’ai vingt-sept ans, je voulais me marier jeune pour avoir l’air encore fraîche sur les photos, dans ma robe en dentelle Delphine Manivet. Neuf mois plus tard, je devais tomber enceinte pour ne pas galérer à perdre mes kilos de grossesse, même si je sais que les premières années sans sommeil avec un nouveau-né et l’angoisse qu’il meure par ta faute te les font perdre rapidement. En un battement de cils, mes doux rêves de bague et de poussette se sont envolés, tout ça pour une voisine sexy et disponible.

Mon vrai problème. Le point noir. La cata. Je suis le pire des séducteurs, une catastrophe ambulante, le cauchemar de mes amis maqués. Une hécatombe vivante. En fait, pour faire simple, je perds tous mes moyens dès que je croise le chemin d’une fille qui me plaît. Je suis quelqu’un de plutôt à l’aise, de plutôt bavard en général, mais dès qu’il s’agit d’aller parler à une fille en soirée, c’est foutu, je deviens muet, comme Bernardo dans Zorro
.

Le désir, vaste sujet ! L’imagination n’est pourtant pas un problème pour moi. Pendant que ma relation se délitait tout doucement sans faire de bruit, j’ai eu cette idée de bande dessinée qui a germé dans ma tête. Je n’arrêtais pas d’y penser. Depuis des années, j’avais mis de côté mes projets artistiques, pas très motivée à l’idée de manger de la vache enragée. L’appel du confort est parfois plus fort.

Laissez-moi m’abreuver de potions magiques pour remplir ce vide. Juste un instant, me perdre dans l’alcool pour lâcher prise, enfin. La méditation et les asanas demandent trop de patience pour apaiser mes angoisses. Un léger pétage de plombs, quelques black-out pour me faire peur, si c’était mon remède pour mieux rebondir ? En effet, comment rencontrer l’amour quand on est au bout du rouleau ?

J’étais nulle en cours sauf en dessin. J’avais un don, c’est indéniable, mais la comparaison était faible face à mes trente camarades de classe. J’étais persuadée que, derrière les murs de mon lycée, il y avait des milliers d’artistes en herbe qui réalisaient de bien meilleures créations. Notez au passage la confiance en soi niveau zéro… Je rêvais de faire les Beaux-Arts.

Il voulait connaître la gloire, mais pour la bonne cause. Il voulait prêcher la bonne parole pour le tri des poubelles, l’utilisation des ampoules économiques. Les ethnies oubliées, les Inuits du Grand Nord, je m’en foutais pas mal. Je n’avais d’yeux que pour lui. Mes oreilles attentives et mes yeux brillants d’admiration l’ont touché.

Ma mère, c’est pas une femme, c’est un tsunami. Quand elle déboule quelque part, elle retourne tout et puis se tire. Et tout ça en gardant le sourire. Le problème avec elle, c’est qu’elle n’a jamais vraiment été une mère, c’est plutôt moi qui devais la surveiller. Et l’engueuler de temps en temps.