* « Je trouve ça très joli, objecta-t-il. Mais je ne vois pas… ajouta-t-il, frappé par ce détail, enfin, comment pouvez-vous faire quoi que ce soit avec des ongles si longs ?
Qu’entendez-vous par “quoi que ce soit » ? demanda Delia avec un étrange sourire.
- Je ne sais pas. La cuisine, le ménage, les courses, la couture… ce que font les femmes.
- Mais je ne fais plus rien de tout ça ’ » Elle lâcha un petit rire et dégagea doucement sa main. « J’y mets un point d’honneur et mes ongles en témoignent.
*- Et soit dit en passant, tu devrais te débarrasser de cette cravate avant que Jacky la voie. Les artistes n’en portent jamais ici, c’est réservé aux hommes d’affaires.
- Tu crois vraiment ?
Absolument. De toute façon, ça te donne trop l’air d’un universitaire. Jacky n’a pas envie de rencontrer un professeur, il a envie de rencontrer un génie. En fait, tu devrais porter un jean et un pull noir.
Bon, d’accord. » Alan avait ri. Après tout, il n’avait rien à perdre. Il avait ôté sa cravate rayée et l’avait roulée en boule dans sa poche.
« Ah ! et tant que tu seras à la galerie, il faudra jouer le type silencieux mais doté d’une forte personnalité. Sois taciturne. Et ne signe rien.
- Tu veux dire que Mr Herbert est un escroc ? avait demandé Alan.
- Non, non. Jacky est un homme absolument charmant et quelqu’un de très gentil. Je l’adore.
- Ah bon ? avait dit Alan qui, cette fois-ci, était parvenu à chasser la jalousie irrationnelle qui perçait dans sa voix.
- Mais évidemment, c’est aussi un marchand d’art. Alors s’il te donne un contrat, contente-toi de dire que tu aimerais le montrer d’abord à ton avocat.
- En d’autres termes, je lui laisse entendre que je ne lui fais pas confiance. »
« Non, pas du tout. Il te respectera pour ça. »
* Alan Mackenzie avait passé une semaine bizarre. Il avait l’impression d’avoir fait une longue randonnée dans la nature, comme lorsqu’ il était enfant, en camp de vacances, à gravir euphorique des pentes arides avant de redescendre, épuisé, dans des marais bourbeux. Les moments d’euphorie avaient concordé avec ses rendez-vous avec Delia, sa capacité retrouvée à conduire et une autre vente à la galerie. Mais il y avait aussi eu les moments de marasme : les maux de dos persistants, la jalousie obsessionnelle, un désespoir grandissant au sujet de son travail et la réapparition soudaine et gênante de Jane dans sa vie.