Interview de Aloysius Chabossot par Vera Sayad pour le Tremplin des Auteurs diffusée le 14 et le 17/01/14 sur Radio Lez'Arts.fr
Il faut bien reconnaître qu'en règle générale les mecs estiment qu'une fois dans les murs l'affaire est entendue. Adieu le romantisme en carton-pâte des premières heures, bonjour les chaussettes sales qui traînent dans le couloir, le lavabo plein de dentifrice, les soirées télé sans décrocher un mot, les vacances chez les beaux-parents pour économiser. À ce compte-là, je préfère encore rester seule et m'offrir un Kinder sur pattes quand l'envie m'en prend.
Bon, pour comprendre comment la mère de deux adorables enfants, tout à fait saine d'esprit, peut sérieusement envisager de confier sa progéniture tant aimée à un type inconnu, sans doute plus à l'aise à charrier des sacs de cinquante kilos de ciment qu'à réchauffer un petit pot au micro-ondes, il faut revenir quelques temps en arrière, et, tant qu'on y est, que je raconte un peu ma vie.
Quelle serait l'expression la plus adéquate pour décrire la situation ? Un paquebot transatlantique avec des rames ? Voilà, c'était le mot juste. Pour qualifier le pétrin dans lequel je barbotais, "galère" aurait semblé un tantinet simplet. Avec des trous dans la coque, le paquebot, s'il vous plaît, et délesté de tous ses canots de sauvetage, tant qu'à faire.
Mes années d'expérience et les différents témoignages que j'ai pu recueillir auprès de mes copines plus avancées que moi dans leur parcours sentimental m'ont amenée à développer un point de vue particulièrement original sur la condition féminine. Pour faire simple, je considère qu'il existe deux événements traumatisants dans la vie d'une femme. Premièrement, le mariage : on signe un contrat dont chaque terme bafoue le Code du travail avec un cynisme révoltant et on se retrouve pieds et mains liés à un patron qui se fiche pas mal de la condition ouvrière du moment qu'il en profite. Deuxièmement, la grossesse, dégringolade ultime : on se dilate, puis on devient flasque. La femme, transformée en mère de famille, se consacre mollement au bien-être de la descendance et du géniteur dans une ambiance de bonheur tiédasse et, pour tout dire, soporifique, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'une ville silhouette ratatinée.
Elle voulait jouer à la mère copine-confidente, mais ça lui allait très mal, j'avais juste l'impression de passer un interrogatoire avec Kaa, le python perfide du Livre de la jungle.
La chanson dit « les histoires d’amour finissent mal, en général ».
Mais le « général » n’est là que pour la rime.
Là, c'était différent. Déjà, on était pas dimanche. Puis elle était très bien cette salle à manger : spacieuse, bien éclairée. Certes, les meubles étaient plutôt moches, construits en bois sombre avec des pieds torsadés, dans le plus pur style « rococo ». (Devinez qui avait tenu à les choisir, arguant un goût sûr pour les « belles choses » que j'étais loin, selon lui, de posséder?) Pour autant, je n'avais pas envie de me priver de l'usage de cette jolie pièce à cause du fantôme de l'autre disparu qui trônerait en bout de table, occupé à distribuer ailes, cuisses et blancs de poulet jusqu'à la nuit des temps ! Ce serait lui faire trop d'honneur.
En temps normal, ce n'est déjà pas une sinécure, ce genre de boulot. Nous, les femmes, on sait de quoi on parle, les témoignages pullulent. Certaines d'entre nous laissent dans cette quête une bonne partie de leur vie, d'autres ne trouvent jamais. Il y a aussi celles qui préfèrent se consacrer à une mission humanitaire à l'autre bout de la planète pour éviter d'y penser, ou alors qui s'enferment dans un couvent et trouvent en la personne du petit Jésus le mari idéal : gentil, toujours dispo, pas envahissant pour un rond. Mais, avouons le, coté bagatelle, l'idée laisse quand même à désirer.
C’est héréditaire la folie, tu sais ! Tu te souviens du fils des Moullard, qui habitent juste en face ? À l’école, il montait sur les tables pendant la classe et à la récréation, l’instituteur était obligé de l’enfermer pour qu’il ne montre pas son kiki à tout le monde. Et bien le mois dernier, il a été arrêté par la police alors qu’il courait tout nu dans la rue en criant : « Je suis un renard ! » À présent, il est à Sainte-Anne, chez les fous, et ton Bertrand, il n’est pas loin d’aller le retrouver, crois-moi !
Quoi qu’il en soit, les toquards à la petite semaine, c’est bien fini pour moi : il est temps de passer à autre chose, de se faire enfin plaisir. Désormais, c’est moi et moi seule qui prends les rênes de ma destinée, et je peux vous dire qu’il va y avoir du changement ! La stabilité à tout prix ? Ce n’est plus ma priorité ! Place au coup de foudre, le vrai, le gros éclair qu’on se prend en pleine tronche, l’amour passionnel et sans limites, les grands horizons du sentiment, le pétage de plombs voluptueux !