Un pêcheur à la ligne doit réunir le calme à la patience et à la résignation ; trois qualités, je dirai trois vertus qui semblent pourtant incompatibles avec l'ardente passion qui le consume. Regardez-le, les pieds dans l'eau, la nuque dévorée par le soleil, le visage et les mains harcelés par des moustiques ; il ne bronche pas ; immobile comme un Terme, le bras tendu, les yeux cloués sur un bouchon qui le fascine, le magnétise, il en attend anxieusement un frémissement pour donner, lui-même, signe de vie. Ne lui parlez pas ; il restera muet ; ou bien il vous répondra à voix basse, par quelque monosyllabe qui voudra dire poliment, car il est très poli : « Allez-vous-en ; laissez-moi tranquille ! » Le bouchon seul a droit d'interpellation ; et encore est-ce par signes.
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