Amandine Fairon

A tout autre,
Je crois pouvoir affirmer que cette lettre n'a aucune raison d'être. Elle ne comporte ni message chaleureux, ni rancœur cruelle. Elle pourrait être le poids matérialisé que j'enlèverais de ma poitrine. Ces mots pourraient également réclamer l'amour dont j'aurais manqué. Cependant, le ton que j'emploierais sonnerait faux, oubliant les années d'indifférence qui sont finalement venues me délivrer. A vrai dire, ma seule intention est que tu puisses apercevoir une dernière fois celle que je suis devenue.

(Page 13, incipit)

- Oooh l'artiste ! Descends de ton ciel. Viens voir ton chef-d'oeuvre. Viens la regarder de plus près, ton oeuvre ! Viens, je te dis ! Regarde à quel point elle arrive à se bousiller, celle que tu intitulais : L'Humanité.

Ces enfants m'impressionnent. Par leur force, leur courage, leur capacité à se relever. Je dois chaque fois m'accrocher pour entendre leurs révélations, qu'ils aient une ecchymose sur le visage, une déchirure au coeur ou trois grammes de crack dans les poches. Car, même s'ils s'imaginent bien la cacher, ils ont une panique lisible au fond des yeux. Ils sont tous victimes.

- Je veux voir ma fille ! Elle s'appelle Eva. Où est-elle ? Elle va bien ?
- Madame, je suis désolée, les médecins se chargent des patients. Pour le moment, nous n'avons pas d'informations à vous donner, répond poliment la secrétaire.
- Pas d'informations ? Mais enfin, c'est incroyable ! C'est ma fille ! Je m'inquiète !
Le grande blonde se retourne. Elle voit les gens qui patientent. Elle arrive alors près de Maris, toute tracassée :
- Que s'est-il passé ? Ils sont morts, c'est ça ?
- Je... je... Je ne sais pas, répond Marie d'une toute petite voix. Il y a eu une explosion. Le café était en feu. Des ambulanciers ont emmené les blessés ici. C'est tout ce que je sais.

Avoir le courage de refaire confiance, après tant de maux, c'est une force en plus qui m'a été donnée. Ce lien m'a permis d'exister. Grâce au regard et à la compréhension de l'autre. Si je suis, à présent, capable d'entrer en relation, c'est que je détiens un message nouveau, une force, une personnalité retrouvée. La promesse de garder la tête haute, d'affronter les problèmes tels qu'ils se présentent. D'être et de devenir.

Au fur et à mesure que je côtoie mes camarades démunis, j'arrive à me mettre en valeur, à oublier mes vêtements amples pour trouver mon identité de fille. Avec eux, j'ai pu découvrir que nombre de masques les plus beaux, les mieux décorés, cachent une âme brisée, figée et recollée. maladroitement, sans avoir pris le temps de panser la blessure.