Cette femme, adulée, entourée d'une foule de prétendants sans cesse renouvelée, avait pourtant succombé à cette solitude qui taisait son nom.
Suicidée.
Dans sa chambre d'hôtel.
Une balle dans la bouche.
Certains, parmi ses adorateurs les plus zélés, l'imitèrent en apprenant la nouvelle.
Le lieutenant Karpowsky se fraya un chemin à travers la meute de journalistes qui, au pied de l'immeuble, interviewaient les habitants.
Des bribes de conversations lui parvinrent.
...à cause de l'odeur, j'ai appelé les pompiers et...
...malade, il retenait sa gamine prisonnière de...
...sang, du sang partout...
Karpowsky pesta.
Encore une affaire qui promettait.
Il grimpa l'escalier, croisa les photographes de la médecine légale, pâles et décomposés.
Sur le palier, une jeune femme attendait.
Elle tenait en laisse un dogue allemand. L'animal gronda, les babines retroussés. Sa maîtresse lui administra une tape sur le museau.
"Sage, Bastet !"
Elle l'alpagua.
"C'est vous le légiste ?"
Karpowsky se dégagea.
"Non, pas du t..."
Elle le coupa.
"Non, parce que moi je collectionne les photos d'autopsies de célébrités, j'ai même celle de Paris Hilton, tu veux les voir ?"
Désarçonné, Karpowsky bredouilla.
"Mais enfin, elle n'est pas morte !"
La fille sourit.
"ça c'est toi qui le dit !"
Karpowsky, gagné par l'exaspération, faillit l'empoigner mais le chien gronda sourdement en guise d'avertissement.
Immeuble de cinglés.
Il se détourna, pénétra dans l'appartement.
L'odeur était épouvantable.
La vérité est implacable, incontestable, décevante par essence puisqu'elle exclut l'idée même de choix.
A l'opposé, le mensonge apparaît pittoresque, équivoque, naturellement ouvert à la spéculation, à l'imagination et au délire.
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