« Gourmandises » de Amit Chaudhuri
Traduit de l'anglais (Inde) par Annick le Goyat
Tout empreints de chaleur et d'intimité, les poèmes réunis dans « Gourmandises » explorent le plaisir frivole et la nostalgie d'Amit Chaudhuri pour les friandises de l'enfance.
« Coupable » de Reginald Dwayne Betts
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié
Ces poèmes sont à la fois chants d'amour et cris de désespoir où le mot prison est maintes fois répété mais aussi les silences et le vide persistant entre les hommes et les chiffres et les lois.
« L'Aube américaine » Joy Harjo
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié
Pour célébrer les noces du deuil et de la paix de l'âme, de l'horreur et de l'aurore américaines, Joy Harjo revient sur les terres de ses ancêtres par « la Piste des Larmes ».
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"Les saisons et les heures n'ont pas d'existence absolue ; elles se définissent les unes par rapport aux autres."
Car pour un étranger comme pour un étudiant, la pièce où l'on se réveille et s'endort finit par devenir votre meilleur ami, la seule chose avec laquelle on établit une relation à la fois naturelle et structurelle, dont l'air et la lumière se mêlent à vos propres pensées, qui vous offre son espace profond, sans équivoque, aussi bien de jour que dans l'obscurité, quand la lumière a été éteinte, que l'on revient à soi.
Calcutta est une ville de poussière. Quand on se promène dans ses rues, on voit sur les trottoirs des monticules de poussière hauts comme des dunes, où chiens et enfants restent assis à ne rien faire, tandis que des ouvriers en sueur défoncent le macadam à coup de pioches et de marteaux-piqueurs. Sans cesse on démolit les routes, soit pour la construction du nouveau métro soit pour tout autre raison obscure, comme le remplacement d'une canalisation qui ne marche pas par une autre qui ne marche pas mieux. Calcutta se met alors à ressembler à une oeuvre d'art contemporain dénuée de sens et de fonction, mais qui continue d'exister pour quelque raison esthético-ésotérique. Partout des tranchées et des tas de poussière donnent à la ville l'air d'avoir été pilonnée. Les vieilles maisons aux murs apaisés s'effritent en lente poussière, leurs portails jadis rutilants sont désormais rouillés. Du plafond des bureaux s'écaille la poussière; les bâtiments tombent en poussière, les routes se font poussière. Sans cesse, sous l'action arbitraire du vent, la poussière s'érige en formes nouvelles surprenantes, des formes sur lesquelles les chiens et les enfants restent assis à ne rien faire. Jour après jour, sans un murmure, Calcutta part en poussière, et jour après jour, Calcutta renait de sa poussière.
Ma mère n’est pas une personne religieuse ; nous ne sommes pas une famille religieuse. Mais les dernières années, nous avions essuyé quelques déboires financiers. Si la souffrance nous accorde un savoir spirituel, l’insécurité nous rend pour le moins superstitieux. Je pensai qu’elle avait raison de rechercher la protection de Lakshmi, déesse de la richesse et du bien-être.
(Picquier Poche, p.175-6)
Dans ce monde brièvement saisi par le passant à travers une porte entrouverte, une certaine lumière, un certain espace, le gris de la pierre et de la nuit, un certain équilibre entre lumière artificielle, pierre et obscurité coexistent presque pour l'éternité, et ce sont les étudiants, avec leurs diverses nationalités et caractéristiques, leurs voix et leurs accents, leurs différences d'habitudes et leurs efforts d'adaptation, leur sens du grotesque et leur maîtrise de la réalité qui, en vérité, disparaissent et sont étrangement niés dans leur existence; si bien que plus tard, si le passant se souvient de ce qu'il a vu, les étudiants semblent plus flous, plus colorés, plus incertains, touchants même, mais sans cesse à la lisière de sa vision, alors qu'il lui est possible, clairement et sans équivoque aucune, de se remémorer la dignité et le silence de cette porte et de l'univers qu'elle abrite.
"A Bombay le grand souci, c'est l'argent -ai-je dit-, et à Delhi, c'est le pouvoir - débitant comme un perroquet ma sagesse de bazar. Peut-être qu'à Delhi aujourd'hui, c'est à la fois l'argent et le pouvoir. Quant à Calcutta ...
- Le souci de Calcutta, c'est : "Est-ce que vous mangez à la maison ce soir ?", dit-il.
Il faisait écho, mot pour mot, à ce que ma mère me dit - ou dit à ma femme et moi - à chaque fois que nous sortons le soir. [...]
Très peu de gens reviennent à Calcutta aujourd'hui, si ce n'est qu'être avec leurs parents.
"Ces rues n'ont jamais été miennes". En un sens, ce fut vrai pour mes parents aussi. Bien sur ils furent propriétaires de leur vie à Malabar Hill, et en décidèrent comme ils l'entendaient, avec une ouverture d'esprit qui ne cessa de me combler. Moi même je n'ai jamais entièrement possédé mon temps ici. Mais quand à Bombay, après la retraite de mon père, la vie commença à se déliter, il fut intéressant de voir qu'ils ne firent pas la moindre tentative pour s'y opposer. Ils avaient l'habitude de partir.
C'est à ce moment-là, se souvenait l'Amiral, que s'était posée la question de savoir ce que cela voulait dire, d'être "indien". Jusque-là, la question n'avait guère inquiété Jayojit ou l'Amiral Chatterjee, sinon à des moments de crise ou de choix politique, comme un conflit e frontière ou des élections par exemple, ou à l'occasion de célébrations populaires, quand il semblait justifié de se moquer de "l'indidanité", ne serait-ce que pour se différencier de la multitude.
Même en Inde, Calcutta était devenue un objet de risée. Et cette lente modification était fascinante : foyer "culturel" d'autrefois, cette ville admirée par son excentricité et son anticonformisme se voyait ridiculisée par des frimeuses comme Delhi et Bombay, pour son côté démodé et dépassé, pour sa main-d’œuvre gangrenée par les syndicats, pour son éthique du travail sans cesse ralentie, sa politique d'opposition systématique.
Sans cesse, sous l'action arbitraire du vent, la poussière s'érige en formes nouvelles surprenantes, des formes sur lesquelles les chiens et les enfants restent assis à ne rien faire. Jour après jour, sans un murmure , Calcutta part en poussière, et jour après jour, Calcutta renaît de sa poussière.