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Critiques de Anaïs Llobet (202)
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Des hommes couleur de ciel

L'identité à travers l'exil et l'actualité



Il n'existe pas de mot dans la langue tchétchène pour désigner l'amour entre deux personnes du même sexe. Oumar, émigré aux Pays-Bas, découvrira que son désir pour les hommes connaît une réalité et peut même être désigner : il est homosexuel. Mais il est aussi tchétchène. Comment vivre sa vie entre le poids de ses origines et son nouveau droit à la liberté, surtout quand celle-ci est dynamitée par l'islamisme qui gangrène sa famille ?



Nous sommes à La Haye en 2017. Une bombe explose dans un lycée : « vingt enfants tués. Un homme qui pose une bombe à l'heure du déjeuner, pour tuer des écoliers dans un pays en paix ». L'effroi envahit les hollandais. La terreur a encore frappé.



Très vite, un élève est soupçonné. Il s'agit de Kirem Akhmaïev. D'origine tchétchène, ce jeune garçon a rejoint, accompagné de sa mère Taïssa et son cousin Makhmoud, son frère aîné, Oumar, qui avait pu s'exiler quelques mois plus tôt aux Pays-Bas pour y suivre des études et fuir son pays ravagé par la guerre qui le brûle depuis tant d'années.



Oumar le solaire, sociable et intégré, et Kirem, éteint et renfermé, englué dans une idéologie qui petit à petit le détruit, appâté par Makhmoud le fanatique.

La professeure de russe de Kirem est tchétchène elle aussi. Mais contrairement au jeune garçon, celle-ci cache ses origines de peur de l'amalgame avec les exactions terroristes dont s'est si souvent rendu célèbre son pays. Son passé la rattrape. Pourquoi n'a-t-elle rien vu venir ?



Alissa Zoubaïeva, c'est son nom, a pu elle aussi se réfugier à La Haye, ville internationale et cosmopolite, promesse de tous les possibles, fuyant la violence de son pays. Écrasé par l'ogre russe, la « kkheram », cette idée de la peur plus forte encore que notre mot « terreur » semble inscrite dans la culture tchétchène. Villes détruites, maisons dévastées, peuple brisé. On vit souvent entre deux murs en ruine dans ce pays du Caucase, où les habitants ne sont pas de type caucasien comme l'entend l'Occident. Leur religion étouffée, opprimés pour ne pas être assez russe, les Tchétchènes s'enlisent dans une révolte sans fin face au puissant maître colonisateur, qui ne laissera jamais de liberté à ce territoire grand comme un confetti de son empire. Intérêt stratégique, géopolitique, arrogance des puissants.



La terreur sera son arme de résistance. Métro, aéroport, immeuble, prise d'otage du théâtre de la Doubrovka en 2002, ou celle de l'école de Beslan en 2004 et ses 334 morts dont 186 enfants. Les Tchétchènes deviennent célèbres de par leurs attentats. La montée des islamismes achèvera le portrait de ce petit territoire musulman.



C'est pour toutes ces raisons qu'Alissa cache ses origines et se jette dans une intégration effrénée, quitte à renier sa culture, marquée encore au corps par son passé de frayeur.

La Tchétchénie la rattrape. Elle se sent coupable de n'avoir pas repéré l'isolement de Kirem et son endoctrinement extrémiste. La police a besoin d'elle. Elle se fera traductrice., quitte à passer dans les yeux de sa conscience, pour une « Iamartkho », une traître, bafouant le code d'honneur de sa culture : la loi du silence



Oumar, La Haye fut son refuge, s'échapper de la guerre, mais s'échapper aussi des conventions. Il se fera appeler Adam, pour s'intégrer plus facilement, mais aussi et surtout pour se dédouaner aux yeux « des règles ancestrales ». C'est plus facile pour porter un pantalon moulant ou illuminer sa peau de poudre claire.



Oumar est homosexuel mais il ne le sait pas, car aucun mot dans sa langue ne désigne ces personnes qui l'attirent et lui ressemblent : il les a vu un jour à la télévision tchétchène, nommées par le présentateur « stigal basakh vol stag », Des hommes couleur de ciel.

Sont-ce les couleurs du « rainbow flag » fièrement arboré sur le fronton de la mairie hollandaise ? Symbole de la liberté pour tous les homosexuels, ce drapeau sera l'étendard de son émancipation.



Contre les traditions qui l'écrasent, la honte qui le menace et le silence qui le condamne, Oumar deviendra Adam.

« Un Tchétchène homosexuel doit vivre caché ou mourir ». Une fois son secret révélé, sa « fragilité incandescente » suffira-t-elle à le sauver des griffes de son passé. Entre un code d'honneur mortifère, un frère assassin, un cousin fanatique, Oumar pourra-t-il être libre et « vivre une vie vierge de tout déterminismes » avec pour ambition la liberté d'exister.



À la fois pudique et sociologique, le récit d'Anaïs Llobet fascine et séduit. de sa plume sensible elle arrive à relier les questions d'identité, les mutations que vous imposent l'exil et la tragédie de l'homosexualité dans une culture qui ne la reconnaît pas, le tout dans un contexte de terrorisme fictif mais parfaitement vraisemblable. Journaliste pour l'AFP à Moscou pendant cinq ans, elle connaît son sujet et sait nous le raconter. Sensible et juste !



Vous pouvez retrouver ma chronique sur mon blog le conseil des libraires Fnac :
Lien : https://www.fnac.com/Des-hom..
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Des hommes couleur de ciel

Émigré aux Pays-Bas, Oumar Akhmaïev y cache tout de même son attirance pour les hommes car dans son pays d’origine les « hommes couleur de ciel » sont synonymes de honte et même condamnés à mort par leur propre famille. Alissa Zoubaïeva, sa professeure de russe dissimule également ses origines tchétchènes afin d’éviter les amalgames avec les terroristes responsables des tristement célèbres prises d’otages du théâtre de la Doubrovka en octobre 2002 et de l’école de Beslan en septembre 2004. Lorsqu’une bonne explose dans leur lycée à La Haye et que le principal suspect du massacre s’avère être d’origine tchétchène, leurs racines et leurs secrets sont très vite passés au peigne fin…



Ce deuxième roman d’Anaïs Llobet invite à suivre trois exilés tchétchènes vivant à La Haye, dans un endroit prônant donc certes des valeurs de liberté, mais qui s’avère cependant incapable d’effacer les fractures identitaires liées à l’exil. Au fil des pages, le lecteur saisit très vite les difficultés de cette intégration qui ne permet pas d’oublier les drames vécus dans leur propre pays, d’échapper aux valeurs de leur culture d’origine ou d’éviter les amalgames liés à leur nationalité, voire même de ne pas tomber dans le piège de l’islamisme qui gangrène une partie de leur communauté…



Outre une enquête qui invite à découvrir les responsables de cet attentat qui plonge les hollandais dans la terreur, Anaïs Llobet aborde surtout de nombreux thèmes délicats avec beaucoup de vraisemblance, allant de l’homosexualité au terrorisme, en passant par l’exil, la tolérance, la différence, l’intégration, l’islamisme, l’amour, les racines et la quête identitaire. Des sujets importants et parfaitement abordés !
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Au café de la ville perdue

14 rue Soleil.



L'histoire de l'île de Chypre à travers le destin d'une maison abandonnée qui revit sous la belle plume d'Anaïs Llobet et le récit de la famille qui l'occupait, c'est toute l'histoire tragique de cette île tiraillée entre Grecs et Turcs qui défile sous nos yeux.

Un roman poignant pour raconter cette "île minuscule aux immenses douleurs".

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Des hommes couleur de ciel

La Haye. Pays-Bas.



Un attentat dans un lycée.



Un élève d'origine tchétchène serait à l'origine du massacre.



Un livre fort, très fort. Un livre témoin de notre époque. Un livre témoin d'une humanité toute entière. de notre inhumanité.



Un livre qui fait beaucoup réfléchir.



Il parle de l'intégration, de la différence, de l'intolérance, du déracinement. de la différence. de la suspicion.



Ce livre m'a énormément parlé. Qui m'a ébranlé. Il traite également de l'homosexualité, de la possibilité d'être soi-même ou pas lorsque notre culture, notre société, notre famille ne le tolère pas. Il parle de s'autoriser ou pas à vivre lorsque notre culture nous dicte que nous sommes une sorte d'erreur.



Aujourd'hui et maintenant, et ici, oui nous avons des droits. Mais ailleurs ? Mais demain ? Notre humanité ne tient qu'à un filet et Anaïs Llobet nous le rappelle douloureusement dans un ouvrage plein de finesse, d'émotion et de vérités difficiles à entendre.



C'est le roman de notre drôle d'époque où la liberté ne s'exerce pas de la même manière selon les êtres. Ou l'amour ne sauve pas de tout. Lecture oh combien douloureuse. Oh combien primordiale.



Ce livre va me rester dans la tête longtemps. Il m'a blessé. Il m'a douloureusement ouvert les yeux. Il frappe le coeur et l'esprit. Il fait mal. Il est ce que la littérature a de meilleur à offrir, véritable.



Un roman salutaire. Important. Un livre qui marquera 2019.



Un cri silencieux.



Ce sont les plus déchirants.



Les plus marquants.




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Des hommes couleur de ciel

Des Hommes couleur de ciel, et des femmes couleur de l’ombre. Quelle que soit différence, l’écart à ce qui est considéré comme la norme, parce que la nationalité d’origine pèse de tout le poids de l’amalgame, ou que les choix amoureux n’aillent pas dans le sens de ce qui est dicté par la religion, la souffrance est là, omniprésente, lourde de mise en scène et de dissimulations, encombrée de non-dits et de malentendus, lestée du prix du silence.



Lorsque les bombes explosent à l’heure du repas dans la cantine du lycée, Oumar s’abrite derrière l’alibi d’un rendez-vous amoureux avec Alex, dans un café où tous apprennent la nouvelle de l’attentat. Et cependant il se retrouve au poste de police avec son cousin, prêt à le tuer pour avoir trahi les textes sacrés. Quant à Kirem, le frère d’Omar, il a disparu, mais ne fait pas partie des victimes.



C’est ainsi qu’Alissa est mêlée à l’affaire, pour ses talents de traductrice tchétchène, elle qui a caché ses origines en laissant croire qu’elle était russe.



La terre d’accueil peut se révéler bien cruelle, car elle n’efface jamais le passé. Le renier expose à des conflits de loyautés inextricables et le révéler ne peut qu’aboutir à l’isolement.



Les événements fictifs qui font le coeur du récit sont hautement vraisemblables, et l’analyse psychologique des conséquences de la fuite quand elle est devenu inévitable pour rester en vie et finement décrite. On souffre avec ces personnages malmenés et condamnés à se cacher.





Roman riche d’une actualité que l’on aimerait désuète, ce qui est loin d’être le cas, l’écriture est juste et sensible.
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Au café de la ville perdue

Une destination peu commune pour ce roman qui se déroule sur une quarantaine d’année. Un tout petit territoire , qui fait peu parler de lui et pourtant, l’histoire l’a peu épargné. Il s’agit de la petit île de Chypre marquée par les difficultés de cohabitions de deux communautés, les chypriotes grecs et les chypriotes turcs. La scission qui a conduit à une partition du territoire a été responsable d’une guerre sanglante et de l’installation d’une haine héréditaire inaccessible à toute négociation.



Nous suivrons l’histoire chaotique de l’île à travers le destin de deux familles et de l’amour impossible d’Aridné et de Ioannis, renouvelant le drame des Montaigu et des Capulet.



Très intéressant sur le plan historique, car ce conflit durable et violent n’a pas été très médiatisé. La situation complexe de l’’île sous-tend pourtant un contexte politique particulier, opposant la Turquie et la Grèce.



Par contre l’histoire familiale est difficile à suivre. Les nombreux personnages et les époques se mêlent, en une confusion que l’auteur tente de dissiper en restituant, jusqu’à la fin du récit, la place respective de chacun.



Lecture mitigée donc, appréciée pour les connaissances historiques et politiques, moins pour l’histoire romanesque.
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Des hommes couleur de ciel

C’est le second roman d’ Anaïs LLOBET. » Des hommes couleur de ciel « est le récit de la douleur de l’exil, publié aux éditions de l’Observatoire en ce début d’année 2019.

Anaïs Llobet est journaliste. En poste à Moscou pendant cinq ans, elle a suivi l’actualité russe et effectué plusieurs séjours en Tchétchénie, où elle a couvert notamment la persécution d’homosexuels par le pouvoir local.

La Haye – Pays-Bas – 2017

L’innommable vient de se produire. Le pays est sous le choc. Un attentat vient d’avoir lieu au sein d’un lycée.

p. 11 : » Pendant un instant, Hendrik ne put détacher son regard du téléphone. Les notifications s’enchaînent. Un attentat. À La Haye, sa ville. Il se prit la tête entre les mains. Une bombe. Dans le lycée où travaillait Alissa. «

Mais ce que Hendrik ne sait pas, c’est que Alissa, sa fiancée, a pris le nom d’Alice à son arrivée en France. Elle n’est pas d’origine russe, comme elle le prétend. Elle est tchétchène. Elle est Alissa Zoubaïeva.

p. 86 : » Mais Hendrik ne savait pas qu’Alice s’appelait Alissa, qu’elle venait d’une petite enclave saignée à blanc par deux guerres. Avec lui, elle était hollandaise, d’origine russe. «

Vingt-deux enfants tués et deux professeurs. La ville s’est arrêtée. Ses habitants anéantis par la douleur.

p. 17 : » Les Pays-Bas avaient fermé leurs portes, ils avaient barricadé leurs fenêtres. Le cœur des gens s’était glacé malgré la chaleur. On avait tué leurs enfants. «

L’auteur de cet acte est un lycéen, scolarisé dans ce même lycée. En apprenant qu’il est d’origine tchétchène, Alissa fait immédiatement le rapprochement : Kirem Akhmaïev. Ils partageaient la même origine, même si Alissa le cachait. Malgré ses airs de tolérance et d’ouverture, les Pays-Bas était comme tous les pays européens depuis les attentats terroristes perpétrés par des islamistes radicaux : méfiants et suspicieux envers toute la communauté musulmane.

p. 25 : » C’était un enfant étrange, la copie inversée de son frère, Oumar, qu’elle avait eu en cours deux ans auparavant. Ils avaient beau se ressembler comme deux gouttes d’eau, leurs personnalités étaient diamétralement opposées. Autant son frère était solaire, affectueux, toujours prêt à participer et à distribuer les copies, autant Kirem se faisait très vite oublier, et détester. «

Professeure de russe, Alissa est rapidement interrogée par les autorités, comme traductrice d’une part, puis suspectée de ne pas avoir décelé les projets de son élève Kirem en ne signalant pas son comportement étrange.

Oumar est arrêté devant les yeux de son nouveau petit ami, Alex, alors qu’ils partagent innocemment un café en terrasse. Alex est impuissant devant cette arrestation musclée. Il ne comprend pas pourquoi les forces de l’ordre l’appellent Oumar. Il s’est présenté à lui sous le nom d’Adam, d’origine jordanienne.

En salle d’interrogatoire il reconnait son ancienne professeure de russe : Madame Zoubaïeva. Elle leur sert d’interprète. Mais comment leur expliquer qu’il est innocent ? Que ce n’est pas lui qui est à l’origine de cet acte atroce ?

p. 56 : » Il pourrait leur dire qu’il a un alibi : cette main sous la table. Mais s’il parle de l’homme avec qui il a bu un café, il risque plus que des années perdues dans une cellule étouffante. La honte pour toujours, la mort à coup sûr. «

Lorsque l’on est un « homme couleur de ciel » en Tchétchénie, on risque sa vie. C’est pourquoi leur mère, Taïssa, a préféré s’exiler en Europe, pour protéger son fils. Maltraité depuis son plus jeune âge par son cousin Makhmoud, Oumar devait quitter le pays, pour vivre. Mais son jeune frère est resté des années sous l’influence de ce cousin violent.

p. 141 : » Kirem disait souvent à son frère :

-Oumar, tu ne peux pas comprendre Makhmoud. Tu n’as pas vécu la même chose que nous. Tu n’as pas connu l’injustice de l’occupation russe, la brutalité des milices du nouveau président tchétchène. Tu n’as pas vu nos mosquées pilonnées, tu ne vois pas les bombes qui continuent à tomber sur nos frères syriens, tu n’entends pas leurs hurlements. Non, tu ne sais rien. Alors tais-toi et écoute Makhmoud. «

Le lecteur est immédiatement plongé dans l’horreur, dès les premières lignes. Anaïs Llobet fait évoluer ses personnages de telle sorte qu’une ambiguïté s’installe. La responsabilité de cet acte est multiple, et c’est qui donne toute la puissance au récit. L’écriture journalistique est efficace et crée une tension permanente. L’expérience du terrain de l’auteure apporte une vision très concrète du conflit opposant la Tchétchénie et la Russie, et les conséquences d’un exil douloureux. C’est également l’histoire d’une famille musulmane aux multiples cicatrices et gangrenée par l’islamisme. Une lecture très forte et marquante, et un témoignage assez rare pour être souligné, des conséquences de ce conflit, vite oublié par les pays occidentaux.
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Des hommes couleur de ciel

Conter le droit à la différence de manière romanesque est une gageure difficile. L'auteure relève ce défi de décrire l'amour et son revers le plus cruel : la haine. de soi, de l'autre. Deux frères, deux visions d'un monde pour l'un où tout est possible, pour l'autre sans issue.



"Est-ce que les gens naissent égaux en droits

À l'endroit où ils naissent"



La force du récit est de décrire la culpabilité de ceux qui n'ont rien vu à force de se nier eux-mêmes, loin d'imaginer que parfois l'intégration est impossible tant ils se battent eux-mêmes pour y parvenir. Conter l'indicible de ce qui a été laissé derrière soi parfois dans l'espoir d'un avenir meilleur, d'un monde meilleur. L'humain reste ce qu'il est : complexe face à ses contradictions, capable d'empathie, de jugements à l'emporte-pièces. du meilleur comme du pire.



Le texte est court, dense, fort en émotions. Il interroge sur l'identité, les origines, l'espoir et sa perte, l'amour, sa force, son impuissance à endiguer la rage, la peur, la frustration de ceux qui ne trouvent pas leur place.



C'est un roman touchant, troublant. Combien de Oumar se rêvant Adam ? Simplement jeunes, heureux, rêvant d'insouciance, sont ramenés à l'entrave que peut-être parfois la culture. Ces jeunes hommes, transfuges d'une culture où il est question d'honneur pour les hommes, de force et de larmes pour les femmes, tentent de s'ancrer dans un nouveau sol, nourris aux valeurs de celui qui leur a donné vie.



Peut-on se choisir une patrie, oublié d'où l'on vient ? le hasard choisi où l'on voit le jour, en est-il de même en ce qui concerne la voie que l'on choisit pour se construire ailleurs ?



Trois personnages liés par un destin tragique, leur exil, leurs choix pour s'intégrer. Ne pas se révolter devant les clichés, les incompréhensions, adopter la bonne attitude pour s'intégrer, douloureux parcours que celui du migrant qui doit renoncer à ce qui l'a construit. Alissa devient Alice, Oumar créé Adam, Kirem s'accroche à son histoire, refuse le monde qui l'entoure.



Un roman bouleversant qui se lit d'une traite, vous emporte dans un tourbillon d'émotions. L'existence n'est pas que grisaille, les hommes couleurs de ciel ont choisi l'amour de la vie.

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Des hommes couleur de ciel

****



Des bombes viennent d’exploser dans un lycée de La Haye. A l’heure du déjeuner, tous les élèves se ruaient à la cantine quand l’horreur a frappé. Une vingtaine de morts, des élèves, des professeurs... Mais qui a bien pu commettre un tel massacre ? Quel monstre a pu ôter la vie à des êtres innocents ? Alice, professeur de russe dans ce même lycée se rend sur place et va découvrir une catastrophe bien plus grande encore que ce que toutes les caméras divulguent...



Les hommes couleur de ciel est le deuxième roman fort réussi d’Anais Llobet. Journaliste, on sent dans son écriture l’urgence et l’essentiel d’un récit choc. Avec des mots choisis, elle a un style épuré et direct.



L’histoire qu’elle a décidé de nous raconter est dure, émouvante et elle donne juste.

On ressent tout autant la peur d’Oumar que la haine de Kirem. On accepte l’ambivalence de ces jeunes réfugiés, perdus entre la liberté et les valeurs anciennes, entre un avenir possible et des racines à respecter.



Oumar est particulièrement attachant. Ce jeune garçon, écartelé entre une enfance traumatisante et un avenir incertain, nous entraîne avec lui sur le long chemin de l’exil. De ses blessures, de ses silences, on comprendra qu’être soi-même est une richesse, qu’elle se gagne parfois au prix d’une vie, d’une cellule de prison ou d’un mensonge...



Merci aux 68 premières fois pour ce magnifique partage !
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Au café de la ville perdue

Le mariage impossible



Pour son troisième roman, Anaïs Llobet s'est installée à Chypre. En suivant une famille au destin brisé, elle nous raconte le drame d'un pays toujours déchiré. Celui d'une impensable réconciliation.



Il fallait bien un jour qu'Anaïs Llobet s'arrête à Chypre. Car, comme dans ses deux premiers romans, Les mains lâchées et Des hommes couleur de ciel, elle a choisi de mêler son métier de journaliste à celui de romancière pour retranscrire la réalité, la mettre en perspective, lui donner chair en l'habillant de personnages qui racontent leur histoire.

Oui, cette île déchirée, que se disputent chypriotes turcs et grecs, était faite pour elle. Et son poste d’observation ne pouvait être mieux choisi, le Tis Khamenis Polis, le café de la Ville perdue. C'est là que Giorgos a rassemblé les souvenirs de Varosha, la ville devenue fantôme après l'invasion turque de 1974. Le vieil homme a accroché au mur la carte de la ville, «épinglant tout autour les photos d'anciens habitants, pour la plupart décédés. L'une d’elles était encadrée, avec une fleur séchée glissée entre le bois et la vitre: Eleni, dont le regard ne quittait jamais Andreas derrière le comptoir.»

Car Giorgos, même s'il ne faut pas croire toutes les histoires qu'il raconte, est le garant de la mémoire familiale et au-delà de cette ville vouée à accueillir les touristes du monde entier. Les hôtels poussaient alors comme des champignons et les plus grandes stars d'Europe et d'Hollywood s'y pressaient. On y a même tourné des films comme Exodus, avec Paul Newman.

«L'armée turque, en 1974, n'a pas mené une invasion, mais deux. La première, le 20 juillet, a été déclenchée cinq jours après un coup d'État perpétré contre le président Makarios, événement téléguidé depuis Athènes et qui, selon Ankara, menaçait la sécurité des Chypriotes turcs. Les troupes turques ont alors déferlé sur l'île avant de ralentir leur progression à la faveur d’un cessez-le-feu. Le 23 juillet, les bombes ont plu sur Varosha. (...) Le 14 août, les tanks turcs ont repris leur marche. Le lendemain, Varosha était abandonnée à l'ennemi. C'était une conquête précieuse, une otage ravissante. L'armée turque l'a enveloppée d’un manteau de ferraille et a placé son cœur sous cloche. Les mois suivants, beaucoup de réfugiés ont tenté de se faufiler dans Varosha pour récupérer les bijoux enterrés à la hâte dans le jardin, les albums photos oubliés sur les étagères. Aucun n'est revenu vivant.»

Anaïs Llobet a choisi un excellent système narratif pour nous permettre de comprendre les enjeux d'un conflit qui s'éternise. Elle alterne les chapitres qui se déroulent au moment de son enquête, de l’écriture du livre et ceux qui nous replongent dans les années 60, au moment où s'érigeait la station balnéaire, au moment où Ioannis, le fils de Giorgos choisissait pour épouse Aridné, une chypriote turque. Une union qui sera scellée malgré les mises en garde et les réticences des deux familles. Et en 1964, le couple emménage au 14, rue Ilios. Cette maison dont la journaliste a choisi de consigner l'histoire afin qu'elle ne disparaisse pas, maintenant qu'elle a été vendue, détruisant par la même occasion le rêve de l'habiter à nouveau une fois le conflit résolu.

En nous livrant la chronique de ces années difficiles, de 1964 à 1974, qui vont déboucher sur un conflit ouvert, Anaïs Llobet raconte d'abord celle du mariage impossible, de la promesse intenable de faire cohabiter chypriotes grecs et orthodoxes et chypriotes turcs et musulmans. À l'image d'une mer en furie qui sape une falaise, Giorgos ne va pas manquer une occasion de harceler Aridné jusqu'au drame, jusqu'à l'éclatement de ce couple symbolisant le pays. «Chypre ressassait sa douleur, refusait de panser ses plaies. Les check-points auraient dû faire office de points de suture mais ils ne suffisaient pas. Les deux faces de l’île continuaient à vivre comme si l'autre n'existait pas.»


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Des hommes couleur de ciel

Un attentat dans un lycée de La Haye a fait une vingtaine de morts.

Parmi les acteurs du drame, bourreau et victimes, une professeure de russe qui cherche à s’intégrer de toutes ses forces et à tout prix, et deux frères Tchétchènes.



Anaïs Llobet nous propose une lecture différente, troublante, de ces attentats qui nous sont devenus si douloureusement familiers ces dernières années.

En nous faisant saisir la difficulté immense d’échapper totalement à sa culture d’origine, le poids des valeurs et du regard de ceux qui nous ont précédés, son livre permet de se mettre à la place de l’autre, même si l’autre est à l’opposé de ce que nous sommes, de comprendre les mécanismes, de saisir ce qui aurait pu nous demeurer à jamais hérmétique.

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Des hommes couleur de ciel

Un attentat meurtrier vient d'être commis dans un lycée de La Haye : vingt-deux élèves et deux professeurs sont morts sous les fracas de deux bombes posées dans le réfectoire.



Un tchétchène est suspecté d'être à l'origine du massacre...Pourrait -il que ce soit Adam (qui s’appelait Oumar dans son pays d’origine) ou bien Kirem, son jeune frère, qui s’est volatilisé ? Alissa, professeure de russe, est chargée de traduire les interrogatoires d'Adam, qui fut son élève, mais aussi les rédactions que Kirem s'obstinait à écrire en tchétchène va tenter de résoudre ce mystère et cette question : pourquoi diable Adam garde-t-il le silence alors qu'il pourrait très bien se disculper ?



La journaliste Anaïs Llobet a longuement écumé la Russie et la Tchétchénie, ce pays tristement célèbres pour avoir persécuté des milliers d’homosexuels. l’homosexualité , tabou passible de mort dans la communauté tchétchène.



Au lieu de se lancer dans la rédaction d' un essai ou bien d' un récit didactique de ces terribles agissements, elle a préféré tisser une bien belle fiction autour de trois individus d’origine tchétchènes vivant à La Haye : les deux frères Oumar et Kreml, et leur professeur de russe, Alissa, qui tente de cacher ses origines, notamment à son compagnon.



Cet exil aux Pays-Bas, pays des libertés et des institutions européennes est-il vraiment le graal, d’autant que rien ne préparait ces protagonistes à cette liberté.



Avec une intrigue pleine de rebondissements et parfaitement construite, Anaïs Llobet aborde plusieurs thématiques passionnantes autour de l’exil et de l’arrachement à ses racines, comme la quête d’identité, la tolérance, l’intégration stigmatisation des différences culturelles, la fragilité de la vie face à la violence des actes et bien évidemment d’homosexualité, le sujet et moteur principal de la souffrance de cet Adam / Omar , obligé de cacher à ses proches ce qui fait partie intégrante de lui.



Sans pathos ni didactisme, Anaïs Llobet fait de ces "hommes couleur de ciel "(le nom que l’on donne aux homosexuels en Tchétchénie) le témoignage percutant et intense d'une (in)humanité dans son ensemble.



Un des livres profondément marquants de cet hiver littéraire, et qui pourrait bien faire réfléchir tous ceux qui auront le courage et la chance de le lire …
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Des hommes couleur de ciel

Après Les mains lâchées, un premier roman remarqué à propos d’un tsunami qui dévastait les Philippines, voici Des hommes couleur de ciel qui nous fait vivre un attentat perpétré par des Tchétchènes à La Haye et confirme le talent d’Anaïs Llobet.



La scène s’est malheureusement répétée ces dernières années. Un homme pénètre dans un établissement scolaire lourdement armé. Il fait exploser sa bombe au milieu de la cantine provoquant des dizaines de morts. Comme à chaque fois qu’une telle nouvelle arrive, chacun cherche à savoir s’il ne connaît personne susceptible de compter parmi les victimes. C’est le cas d’Adam qui fréquente cet établissement de La Haye, aux Pays-Bas et qui découvre l’horreur devant un écran de télévision. « Chacun y allait de sa rumeur, consultant avec frénésie les réseaux sociaux, assurant que la police avait trouvé plusieurs bombes dans les poubelles du Parlement, qu’on déminait à l’instant un tram entier. Ils parlaient pour ne pas entendre les rues silencieuses. Adam envoyait convulsivement des messages à Kirem, à sa mère, et même à Makhmoud. Il imaginait le pire. Il commençait à accepter le pire. »

Le pire n’étant pas en l’occurrence qu’il connaisse des victimes, mais que Kirem soit impliqué dans l’attentat. Kirem, ce frère qu’il n’arrive pas à joindre.

L’autre personne qui s’inquiète en apprenant la nouvelle est Alissa, la prof de russe. Également d’origine tchétchène, elle ne peut imaginer une seconde que ce soit son élève qui ait commis l’irréparable. Certes Kirem était «un enfant étrange, la copie inversée de son frère, Oumar, qu'elle avait eu en cours deux ans auparavant. Ils avaient beau se ressembler comme deux gouttes d’eau, leurs personnalités étaient diamétralement opposées. Autant son frère était solaire, affectueux, toujours prêt à participer et à distribuer les copies, autant Kirem se faisait très vite oublier, et détester. Il avait un regard coulissant, furtif. »

L’enquête, qui va vite progresser, mène directement à eux. Alors qu’Alissa est «réquisitionnée pour assurer les traductions, Oumar est arrêté et incarcéré. Quant à Kirem, il demeure introuvable. Le filet va aussi se resserrer autour du cousin Makhmoud. Quand il arrive à la prison, ce garant des traditions familiales va découvrir un «autre» homme, maquillé, portant un jean moulant et un tee-shirt violet presque rose.

Depuis qu’il arrivé aux Pays-Bas, Oumar a découvert un monde occidental bien différent de ce qu’on lui avait raconté, à la fois plus dur, sans concessions, et plus ouvert, plus libre. À mesure qu’il s’intégrait, il ressentait la soif de laisser son orientation sexuelle s’épanouir. Se faisant appeler Adam, sa gueule de beau ténébreux avait enchaîné les relations, même s’il savait parfaitement que ces «hommes couleur de ciel» étaient non seulement rejetés par leur famille, mais condamnés à mort.

Alors que les interrogatoires commencent, l’appartement d’Alissa est perquisitionné. «Lorsqu'elle arriva devant son palier, elle fit immédiatement un pas en arrière. Il n'y avait plus de porte. Le sol était jonché de débris. Le sol était jonché de débris. Un petit carré en plastique reflétait la lumière du plafonnier: c'était son prénom internationalisé et son nom impossible à changer. Alice Zoubaïeva. Fardeau et héritage, peine et honneur. Elle imagina les policiers défoncer sa porte, marcher sur son nom sans s'en rendre compte.»

Anaïs Llobet a trouvé un angle très original pour traiter de la question des attentats en mettant en scène ces différentes «strates d’intégration». De l’enseignante qui entend gommer ses origines et répond non quand ses élèves demandent si elle est d’origine tchétchène à ceux qui ont fui le pays sans jamais oublier ni leur religion, ni leurs traditions, ni même leurs code d’honneur familial et voient l’occident comme une zone où mécréants et déviants s’épanouissent. On se rappelle alors des frères Tsarnaïev posant leur bombe durant le marathon de Boston.

Au-delà de l’explosion dans l’établissement scolaire, ce sont bien les déflagrations sur la famille et les proches que la romancière met en avant. Loin de tout manichéisme, elle nous fait toucher du doigt la complexité du problème, nous rappelle que tout exil est un déchirement et nous démontre brillamment qu’au «nom d’Allah, de l’Islam, de nos pères, de la justice et des morts à venger, des enfants qui meurent dans les caves de Tchétchénie et sous les bombes de Syrie», ou encore de «cette déviance occidentale» on peut très vite s’aveugler.

Un roman fort, en droite ligne de Les mains lâchées et qui conforme tout le talent d’Anaïs Llobet.




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Des hommes couleur de ciel

Un roman poignant sur l'exil, l'identité, le poid d'un pays, d'une famille. Oumar et Kirem sont frères, tchétchènes ayant fuis la guerre avec leur mère pour s'installer aux Pays Bas. Oumar travaille tandis que Kirem se traîne péniblement au lycée. Un jour, un attentat est commis dans l'enceinte de la cantine scolaire où étudie Kirem. Il est rapidement suspecté...Un récit terrible mettant en exergue le fait que, dans certains endroits et pour certaines personnes, il est plus facilement acceptable d'être terroriste qu'homosexuel. Terrible vraiment.
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Des hommes couleur de ciel

Mon premier coup de coeur de 2019 et je ne m'y attendais absolument pas. Je ne suis pas une lectrice de livres sur la guerre, les conflits etc.... Je me suis lancée en lisant le résumé qui m'a intrigué mais la photo de couverture me laissait supposer un roman où la violence était très présente et j'évite les récits en comportant, surtout lorsqu'elle est inutile.....



Et bien j'ai été fauchée dès les premières lignes, les premières pages, comme soufflée par une déflagration mais une déflagration littéraire. On est très vite immergée dans cette aventure, oui aventure, car il n'y a pas un moment où l'on est pas pris par les mots, par l'histoire, par les histoires, par les personnages.



Il ressort de ce récit beaucoup de thèmes : l'exil en premier car c'est ce qui lie les protagonistes. Etre arrachés à ses racines, à une violence et une douleur qui vous lient à votre pays, qui a imprégné vos jours, vos nuits mais aussi votre esprit.



Une quête de l'identité : qui est-on, qui devient-on quand on quitte un pays en guerre, devient-on un autre  ou reste-t-on à jamais ancré dans ses racines ?



Identité sexuelle également : comment assumer celle-ci lorsque votre éducation,  votre religion, vos racines vous condamnent. Chacun a gardé en soi ses préceptes et s'adapte ou non à la nouvelle vie qui s'offre à lui.



Anaïss Llobet a habilement mêlé les destins de trois personnages : deux frères Oumar et Kirem, presque jumeaux physiquement et une professeur de russe, Alissa, vivant tous les trois à La Haye aux Pays-Bas, un pays de liberté, mais il n'est pas toujours facile de s'adapter à une liberté à laquelle rien ne vous préparait. Pour chacun c'est une affaire personnelle.



L'exil se vit seul. (p172)



Oumar décide de mener une double vie, se transformant en Adam pour devenir celui qu'il est réellement, Alissa elle est devenue Alice, cachant ses origines dans le lycée où elle travaille mais aussi à son compagnon, faisant le choix de naviguer entre les deux cultures. Kirem lui refuse toute intégration.



Ne plus être ce que l'on a été car exilé, ne plus avoir les mêmes convictions, peut-on s'affranchir de l'éducation reçue ou reste-t-elle profondément ancrée en soi. Un roman dans lequel les personnages posent des questionnements qui ne peuvent laisser indifférent.



Trois positions, trois destins disséqués principalement à travers les récits d'Oumar et d'Alice, qui oscillent dans les choix à faire, partagés entre passé marqué par le conflit qui opposent la Russie et la Tchétchènie, présent où les doutes s'installent et futur que l'on décide de s'octroyer.



Il est également question des choix : a-t-on toujours le choix ? Peut-on finalement choisir d'être soi, peut-on choisir sa vie ?



C'est un vrai coup de coeur dans tous les critères : écriture, construction du récit avec une pression et une enquête qui nous tiennent en haleine jusqu'au bout, style limpide, clair. Des personnages loin d'être stéréotypés, tout en nuances, en fragilité.



Je n'en dis pas plus.... je vous laisse découvrir qui sont ces Hommes couleur de ciel, joli titre qui cache bien des souffrances.
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Au café de la ville perdue

"L'eau des vagues cingle son visage, avale ses cris. Il lutte, puis finit par se taire. Une infirmière s'approche pour l'éloigner du bord, le mettre à l'abri. Il voudrait lui dire que ça ne sert à rien. Son port d'attache n'existe plus, Varosha n'est plus qu'un mot brodé de barbelés. (p174)"



Ce troisième roman est pour moi la confirmation du talent d'Anaïs Llobet. Après Des Hommes couleur de ciel que j'avais beaucoup aimé, elle nous convie sur l'île de Chypre où elle vit et qu'elle a choisi comme toile de fond  pour évoquer son thème de prédilection : l'exil mais également la perte, l'arrachement à ses racines, réussissant, une fois de plus, à nous entraîner dans un récit qui mêle habilement histoire, famille, politique et amour.



Ce j'ai particulièrement aimé c'est l'originalité de la construction utilisée par l'auteure mêlant sa propre histoire, celle d'une écrivaine en recherche des éléments nécessaires à la rédaction de son prochain roman (personnages, lieux, complexité géo-politique d'une terre divisée entre plusieurs pays et cultures : grecque, turque et chypriote) et cela sur plusieurs générations. Installée au café Tis Khamenis Polis (le café de la ville perdue) tenu par Andreas et sa fille Ariana, elle comprend que c'est dans ce lieu qu'elle va trouver l'inspiration et la trame de son récit, parmi ces gens qui ont vécu cette tranche d'histoire ou qui en sont les descendants, devenant ainsi les acteur(trice)s d'une occupation territoriale par la force et les porteur(se)s des sentiments de chaque camp.



Au fil des échanges avec Ariana elle va trouver sa source d'inspiration à

travers un lieu qui n'est plus qu'une ruine, une maison située au 14, rue Ilios à Varoscha, ville fantôme depuis l'invasion turque en 1974. Elle va y planter la lignée de ses occupants (comme le montre l'arbre généalogique sous forme d'un figuier figurant au début du livre et qui est bien utile je dois l'avouer) pour évoquer le drame d'un pays divisé, déchiré entre plusieurs communautés, celle d'Ariana, intimement mêlée à l'histoire de son pays et d'une ville aujourd'hui disparue.



Une nouvelle fois Anaïs Llobet explore le domaine de l'exil mais cette fois-ci quand celui-ci n'est pas au-delà des mers mais sur sa propre terre, quand l'arrachement à ce que vous avez de plus cher est à quelques kilomètres, derrière des barbelés infranchissables, sous la surveillance de l'armée d'occupation sans possibilité d'y retourner, un lieu où tout a été abandonné dans la précipitation, figé dans le temps et disparaissant peu à peu.



Une exploration pour laquelle elle a choisi de prendre le chemin le plus complexe et qu'elle réussit parfaitement à maîtrisé donnant à son récit un intérêt à multiples niveaux. L'histoire d'un conflit, des ressentiments des différentes communautés, de leurs confrontations anciennes et actuelles mais également comment s'élabore son roman permettant ainsi de voir les différentes étapes de sa construction, les pistes envisagées, les notes prises pour la cohérence de son récit, mais également les impasses où l'auteure se trouve parfois par manque d'éléments ou de pistes pour aborder des faits dont les blessures et cicatrices sont encore apparentes. Alors elle observe, questionne, écoute et comprend que c'est dans le café Tis Khamenis mais également grâce aux liens qu'elle noue avec ses occupants qu'elle parviendra à imaginer et comprendre ce qui anime encore certains.



C'est une histoire ou l'amour tient le rôle principal car nous sommes dans le bassin méditerranéen et la tragédie n'est jamais loin : tragédie humaine mais également amoureuse, celle d'un pays perdu, de rivalités et de pouvoirs pour arriver sous le couvert de double jeux à assouvir sa jalousie, où les silences et les absences hantent encore les lieux et ceux qui y sont restés. Comprendre son attachement à une terre, trouver sa place, être romancière et transmettre les dédales d'un conflit complexe, faire le lien entre réalité et fiction afin de dresser un portrait cohérent de l'attachement à une terre, d'une île convoitée par son emplacement stratégique.



L'originalité de la forme, de la construction peut dérouter dans un premier temps mais elle m'a séduite au fil des pages car cela a rejoint ma curiosité à savoir comment un roman se construisait. Je me suis attachée aux différents personnages, surtout féminins représentantes qui sont ici les figures emblématiques de la force, même quand elles sont bafouées,  leur ténacité à perpétuer les traditions de leurs racines, qu'elles soient turques, grecques ou chypriotes, endossant parfois le lourd fardeau de l'étrangère mais également à découvrir 



Je ne connaissais que peu de choses sur l'histoire de cette île et ai trouvé, à travers une forme romanesque, une histoire où la douleur de l'arrachement à une terre se transmet de génération en génération, même si d'autres quartiers ont été construits, ils ne remplaceront jamais, dans le cœur de ceux qui les ont habités, le lieu originel qui leur a été arraché. A travers la quête d'un lieu c'est la quête de soi-même à travers ses racines et quand un arbre est arraché c'est également ses racines que l'on arrache rendant la disparition définitive. 



"Certes, grâce à Giorgos, Ariana et peut-être aussi Andreas, j'étais parvenue à m'approcher au plus près de Varosha. Mais la contrepartie m'apparaissait de plus en plus insurmontable : cette obligation d'ériger mon roman en linceul pour le 14, rue Illios, d'être fidèle à ses murs et son jardin même si mes personnages s'y sentaient à l'étroit. (p177)"



J'ai beaucoup aimé pour l'originalité de sa construction, pour la manière dont l'auteure évoque à travers l'histoire d'un pays une histoire familiale brisée, son attention aux silences, aux blessures inavouées et à l'attachement à une terre perdue.
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Des hommes couleur de ciel

Nous sommes aux Pays - Bas , à la Haye précisément et l’impossible vient de se produire , il y a eu un attentat dans un lycée .

Comment peut on tuer des enfants dans un pays en paix ? , la question est posée .

Et l’enquête commence , très vite , on s’oriente sur deux frères d’origine tchétchène, et pour faciliter le déroulement de celle - ci , on demande à leur professeur de russe de traduire quelques textes en tchétchène leur appartenant .

Alicia , c’est le prénom de l’enseignante , voit sa vie voler en éclats , elle - même est d’origine tchétchène mais elle l’a soigneusement caché .

Elle veut tellement s’intégrer qu’elle n’a pas osé dire exactement d’où elle venait , elle a dit qu’elle était russe tout simplement.

Ce livre parle d’attentat mais surtout pose des questions sur l’integration , sur l’exil .

Et puis il y a l’histoire de cet adolescent Oumar - Adam pour ses amis néerlandais qui ose pour la première fois vivre son homosexualité , ce qui est impensable sur son pays d’origine.

Les conséquences vont être terribles pour lui , certes il a quitté son pays mais pas sa communauté .

Très beau livre que Ces hommes couleur de ciel .

Je vous le recommande chaleureusement.
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Des hommes couleur de ciel

Les hommes couleur de ciel, en Tchétchénie, ce sont les homosexuels.

Des renégats, des vermines, maudits par la société et par leur famille.

Alice est prof de Russe à La Haye. Elle cache ses origines tchétchènes.

Un de ses élèves est tchétchène.

Un jour, une bombe explose au réfectoire de leur collège.

24 morts.

Un roman percutant qui se lit très vite.

Il se lit comme une enquête.

On sent qu'Anaïs Llobet est journaliste.

Son écriture est incisive et parfaitement maîtrisée.

Ses personnages sont authentiques.

Elle nous parle d'exil, de terrorisme, d'islamisme, d'identité, d’homosexualité.

Le tout avec tact, vraisemblance et sensibilité.
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Au café de la ville perdue

Après des études d'architecture à Londres, Ariana revient à Chypre. Elle cristallise alors toute la lourde histoire familiale autour du 14 rue Ilios, la maison que ses grands-parents ont dû abandonné lors de l'invasion turque. Elle est obnubilée par cette ville fantôme et cherche par tous les moyens à faire revivre ses murs. Quand une journaliste française se présente et cherche à écrire sur Varosha, Ariana y voit l'occasion de retracer l'histoire de cette maison, et de ne jamais oublier...



Je ne sais pas pourquoi j'ai repoussé la lecture de ce roman. Il est aurait été tellement dommage de ne pas partir à la rencontre de la famille d'Ariana, parcourir les rues de Varosha et découvrir la difficile histoire de Chypre...



Avec une grande habileté, Anaïs Llobet déroule le fil d'un récit à la fois illuminé par l'amour et obscurcit par l'intransigeance et l'intolérance.

Pour beaucoup, un chypriote n'existe pas : il est forcément grec ou turc... Alors, quand Ioannis tombe amoureux d'Aridné, les deux camps s'affrontent. Pour le meilleur mais aussi pour le pire.



Les époques s'entrecroisent, les personnages aussi. Et petit à petit, ceux qui agaçaient finissent par nous émouvoir, et ceux qui attendrissaient font tomber les masques.

Comme dans toute guerre, il n'y a jamais un côté blanc et un côté noir, il n'y a pas de bons ou de méchants. Il y a des hommes et des femmes, blessés, meurtris, qui s'enferment dans le silence des mots ou agissent avec leurs poings.



Entre amour et amitiés, obligation de mémoire et volonté d'avancer, ces chypriotes ont surtout besoin de croire en leur avenir et de faire à nouveau entrer la lumière...
Lien : https://lire-et-vous.fr/2023..
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Des hommes couleur de ciel

Je referme ce roman avec le coeur serré. Serré parce que je ne connais que trop ce sentiment de fratrie qui fait que l'on préférera toujours supporter sur nos propres épaules les problèmes qu'a déclenché celui ou celle qui porte notre sang plutôt que de voir celui ou celle-ci condamné à en payer les conséquences.

Oumar, ici, porte toutes les espérances de la famille. Né en Tchétchénie, il a subi durant les premières années de sa vie les assauts militaires de la Russie, caché dans une cave avec sa mère, son frère Kirem et son cousin Makhmoud. Envoyé aux Pays-Bas pour obtenir son baccalauréat et revenir au pays une fois son diplôme en poche, il va s'apercevoir que ce que l'on attend de lui n'est pas en accord avec sa personnalité la plus intime.

Sa famille le rejoint aux Pays-Bas.

Et voilà qu'un attentat est perpétré dans le lycée où il a étudié et où Kirem est élève. C'est là aussi qu'enseigne Alissa, elle aussi Tchéchène qui cherche à masquer ses origines en enseignant le russe.

C'est tout le problème de l'intégration qui éclate aux yeux du lecteur: est-il possible de faire table rase du passé, de toutes ces années de malheur pour coller au prototype même du "bon immigré"? Comment accorder le libéralisme occidental aux rigueurs de la pensée orientale?



Un récit inspirant, passionnant, qui lève des questions fondamentales quant au vivre ensemble interculturel.



Lu dans le cadre des 68 premières fois.
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