François Truffaut est à l'honneur de cette Grande table : cinéaste majeur de la Nouvelle Vague et auteur de 21 longs métrages, il a aussi été critique aux Cahiers du cinéma aux côté de son père spirituel
André Bazin et de la bande des Jeunes Turcs :
Jean-Luc Godard,
Claude Chabrol, Jacques Rivette et
Eric Rohmer.
Pour en parler, Axelle Ropert, journaliste, scénariste et réalisatrice. Elle a contribué au livret du coffret DVD "
François Truffaut, la passion cinéma" (Arte Editions, disponible à partir du 17 novembre) contenant 8 films restaurés, dont "La Mariée était en noir" ou "L'Enfant sauvage".
Olivier Père est quant à lui directeur général d'Arte France Cinéma et directeur de l'Unité Cinéma d'Arte France. C'est lui qui a coordonné l'édition du coffret.
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L'accent ne constitue pas, chez Pagnol, un accessoire pittoresque, une note de couleur locale, il est consubstantiel au texte et, par là, aux personnages. Ses héros le possèdent comme d’autres ont la peau noire. L'accent est la matière même de leur langage, son réalisme.
Aussi, le cinéma de Pagnol est tout le contraire de théâtral, il s'insère par l'intermédiaire du verbe dans la spécificité réaliste du cinéma.[...] Pagnol n’est pas un auteur dramatique converti au cinéma, mais l'un des plus grands auteurs de films parlants.
L'image peut être floue, déformée, décolorée, sans valeur documentaire, elle procède par sa genèse de l'ontologie du modèle; elle est le modèle. D'où le charme des photographies d'albums. Ces ombres grises, ou sépia, fantomatiques, presque illisibles, ce ne sont plus les traditionnels portraits de famille, c'est la présence troublante de vies arrêtées dans leur durée, libérées de leur destin, non par les prestiges de l'art, mais par la vertu d'une mécanique impassible; car la photographie ne crée pas, comme l'art, de l'éternité, elle embaume le temps, elle le soustrait seulement à sa propre corruption.
[Extrait de la préface de François Truffaut]
[Le jeu d’Orson Welles dans Othello] Il s’agit, pour le personnage qu’il incarne, de marcher vers la caméra mais pas dans l’axe, de se déplacer comme un crabe, en regardant de l’autre côté ; le regard ne va presque jamais dans les yeux du partenaire, mais au-dessus de la tête, comme si le héros wellesien ne pouvait dialoguer qu’avec les nuages. p28-29
[ ] Tournant le dos au côté solennel à la Eisenstein ou au côté académique et guindé à la Laurence Olivier, refusant de verser dans le ‘genre noble’, OW a moins cherché à faire un chef d’œuvre qu’un film vivant. En filmant Othello comme un thriller, c’est-à-dire en le rattachant à un genre populaire, OW, me semble-t-il, s’est rapproché davantage de Shakespeare. p31
Le film de peinture est une symbiose entre l'écran et le tableau comme le lichen entre l'algue et le champignon. S'en indigner est aussi absurde que de condamner l'opéra au nom du théâtre et de la musique.
Le passé est un présent qui s'est perdu, le futur est un présent qui doit naître, et qui doit donc mourir. Seul le présent réel est éternel.
Eugène Green
Platon dit que l'amour est une espèce de folie qui nous permet de voir les Idées à travers le désir que provoquent en nous leurs ombres : au moyen des corps nous cherchons à nous unir à l'esprit. Le cinéaste aussi est pris d'une sorte de folie quand il se met à capter des éléments du monde. Mais cette fureur froide lui permet de rendre appréhensible le frémissement de la présence réelle.
Eugène Green - Penser le cinéma
Le Van Gogh d'Alain Resnais n'est pas seulement une présentation nouvelle de l’œuvre du peintre: le film est lui-même une œuvre.
[Extrait de la préface de François Truffaut]
Orson Welles avait tourné La Dame de Shanghai pour montrer aux gens d’Hollywood qu’il était capable de faire un film normal, or il démontra le contraire, et d’abord à ses propres yeux ! [ ]
C’est ainsi que Macbeth, avec lequel il retrouve liberté, pauvreté et génie, intacts, inaugure la trilogie shakespearienne d’Orson. Personne n’a mieux parlé de ce film que Jean Cocteau : ‘Le Macbeth d’OW est d’une force sauvage et désinvolte. Coiffés de cornes et de couronnes de carton, vêtus de peaux de bêtes comme les premiers automobilistes, les héros du drame se meuvent dans les couloirs d’une sorte de métropolitain de rêve … ‘ [ ]
Dans Macbeth, le principe de l’univers clos fonctionne parfaitement ; l’humidité artificielle suite sur les bâches, [ ] la machine à faire la fumée envoie un brouillard qui diffuse et dramatise la lumière [ ]. P29
Maintenant que l'écran sait accueillir, sans les trahir, d'autres théâtres que comiques, rien n'interdit de penser qu'il puisse également les renouveler en déployant certaines de leurs virtualités scéniques. Le film ne peut, ne doit être, nous l'avons vu, qu'une modalité paradoxale de la mise en scène théâtrale, mais les structures scéniques ont leur importance, et il n'est pas indifférent de jouer Jules César dans les Arènes de Nîmes ou à l'Atelier; or certaines œuvres dramatiques et non des moindres, souffrent pratiquement depuis trente ou cinquante ans d'un désaccord entre le style de mise en scène qu'elles requièrent et le goût contemporain. Je pense en particulier au répertoire tragique.
Aussi sot que ses censeurs, mais à rebours, Pagnol se figure que "le cinéma n'a pas d'importance". Incapable de dégager de sa formation théâtrale ce que son génie a de purement cinématographique, il réintroduit là où il n'a que faire le théâtre filmé.