DE L’HOMME SEUL
Seul dans le tout, seul dans l’immensité,
Seul sur la terre
Et seul dans la cité,
Seul sur la Place et seul dans la tanière,
Et seul sous l’oripeau,
Seul dans la peau.
Écoutez !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’Amour, plein de fausseté,
Prend le miel, laisse la cire,
Et pèle pour lui la poire.
Écoutez !
Pour qu’il soit doux comme lyre
Il suffit de le couper.
Bien fait pacte avec le Diable,
Qu’il fraye avec Fausse-Amour,
Verge il donne pour le battre.
Écoutez !
Tel sans rien sentir se gratte
Qui enfin s’écorche vif.
L’Amour est de sale race ;
Sans glaive il tua mille hommes.
Je ne sais plus grand sorcier ;
Écoutez !
Du plus sage il fait un fol
Dès qu’il le tient dans ses rêts.
Il ressemble à la cavale
Qui tout un jour vous emporte
Sans vous donner nulle trêve ;
Écoutez !
Et vous traîne sur les lieues,
Sans souci de votre faim.
Je sais, pour moi, si l’Amour
Est aveugle ou s’il est bigle.
C’est le miel sur le venin :
Écoutez !
S’il pique moins fort qu’abeille,
Il est plus long d’en guérir.
Qui se règle sur la femme
En pâtit avec justice.
L’Ecriture nous enseigne,
Écoutez !
Malheur, malheur à vous tous
Qui ne vous en gardez point !
Marcabrun par Marcabrune
Fut produit sous un tel astre
Qu’il sait comme Amour dévide.
Écoutez !
Onc il n’en aima aucune
D’aucune il ne fut aimé.
// Marcabru (1110 -1150)
/ Traduit de l’occitan par André Berry
RONDEAU DE L’HOMME LASSÉ DE SOI
Extrait 3
J’ai beau vouloir te noyer dans les veilles,
Dans le travail, le plaisir et le vin :
Sous mon habit toujours tu te réveilles
Aussi présent, aussi banal et vain.
Hôte indiscret, en moi tu fais demeure ;
Toujours chassé tu ramènes toujours
Tes bas désirs et tes pauvres amours,
Et pas un être en qui te perdre une heure…
Quoi ! toujours toi !
SONNET DE LA BOUCHE VUE EN RÊVE
Ayant requis Paula de sa faveur première,
J’attendais que le somme eût porté son conseil,
Quand, bâillante, elle offrit sa bouche à la lumière,
Y tourna par sa glace un rayon de soleil.
À quelque fine église en gothique manière
L’intérieur, miracle ! était assez pareil ;
Les lèvres paraissaient la superbe portière
Qui s’ouvrait, découvrant le dévot appareil.
La langue y composait un lisse et mol dallage,
Le palais un plafond en ogival ouvrage,
Les dents étaient piliers étincelants d’émail.
À la voûte du chœur, de cramoisi tendue,
La luette semblait la lampe suspendue.
Toute la gorge, au fond, n’était qu’un haut vitrail.
SONNET DE LASSITUDE
Je suis las d’être au gîte et suis las d’être errant,
Je suis las de mon masque et de mon vrai visage,
Je suis las d’être fou, je suis las d’être sage,
Je suis las d’être instruit, et las d’être ignorant.
Je suis las de déplaire et las d’être attirant,
Et las d’être fidèle et las d’être volage,
Je suis las d’être jeune et je suis las de l’âge,
Et je suis las de vivre et las d’être mourant.
Je suis las d’être moi, seul dans ma solitude,
Et las de mes pareils, las de leur lassitude ;
Je suis las du hourrah, je suis las de l’hélas,
Las du temps qui recule et de l’heure indolente,
Las de la longueur longue et de la lenteur lente,
Las du lent, las du long, las du loin, las du las.
SONNET DU VIEUX MOI RENCONTRÉ
Par un soir de Toussaint, le long de la Garonne,
Comme je cheminais aux confins de l’effroi,
Là-bas, entre les joncs que la vase environne,
J’ai vu dans le brouillard surgir mon ancien Moi.
C’était bien son grand pas, son humeur fanfaronne,
Ses cheveux décoiffés, sa mise en désarroi :
« Où donc est, me dit-il, ta première couronne ?
Et ton lis de candeur ? et ta robe de foi ? »
Surpris, j’examinai l’étrange personnage :
Aussi pâle, aussi blond que moi dans mon jeune âge,
Assez fier, mais liant. Sans accepter sa main
Ni vouloir m’informer si de père ou de frère,
Si du présent moi-même était son caractère,
Embarrassé, confus, je suivis mon chemin.
SONNET DE LA JOCONDE RANIMÉE
Errant dans mon sommeil par cette galerie
Où de nuit et de jour sourit Mona Lisa,
Sur la bouche, soudain, de l’image chérie
D’un spontané transport ma bouche se posa.
Sa joue à mon toucher se fit tiède et fleurie ;
A son front vint un feu, son regard s’attisa ;
Un fin pleur remouilla sa paupière tarie ;
Sa lèvre reprit musc, soufflant : « Dolce cosa !
« Ah ! depuis cinq cents ans que, muette figure,
Je restais là figée en ma sèche peinture,
Sans que nul pour ma chair fit plus qu’un froid passant !
« Mais, en retour, prends-moi, toi qui crus à ma vie ! »
Elle m’ouvrait les bras, à son cadre ravie.
L’étoffe s’abaissait sur son sein frémissant.
je suis Apis, je suis le Minotaure,
je suis le Souffle que nul ne peut enclore,
moi qu aime être enfermé dans le cercle de vos chevaux,
le Souffle que le créateur a répandu
pour que la Forme vive. j'ai connu les Centaures,
et j'ai été le Dieu Mithra.
DE LA GLOIRE VAINE
Ô toi qui, de rien fait, de rien ne fais que rien,
Qui, né de moins que rien, dois mourir rien de rien,
Seras-tu plus que rien, quand, dans un monde-rien,
Cent millions de riens sauront que tu n’es rien ?
car Dieu n'a pas voulu que cette petite perle d'enfant
dans la fange ici-bas souillat ses pieds blancs :
Didette la haut s'en est allée,
maintenant les fleurs qu'elle cueille, ne se fltrissent jamais ...