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Citations de André Dhôtel (617)


– Je te préviens seulement, dit l'homme, que pendant la journée, on t'interdit de boire plus d'un litre. Le soir tu te débrouilles comme tu veux.
– Je suis d'accord, dit Jacques qui considéra ses vêtements.
– On te procurera une défroque, dit l'autre. Tu couches ici ?
– Oui, dit Jacques.
Cela lui semblait soudain une nécessité de se laisser aller au gré des circonstances, d'autant mieux qu'elles étaient étrangères à la Saumaie.
Il lui semblait qu'à force de trimer comme un abruti dans un village perdu il retrouverait Viviane grâce à un détour imprévisible.
Ses premiers contacts avec les trois ouvriers qui jouaient aux cartes furent d'une simplicité extrême. Des hommes renfrognés, patients qui jugeaient le nouveau venu sans rien dire.
– T'as pas mangé ? Tu vas manger avec nous.
On sortit d'un placard boiteux du pain, du saucisson et deux litres de rouge.
– Demain c'est toi qui paieras.
Pas la moindre curiosité. L'un de ces hommes pouvait être un hors-la-loi, et semblait le considérer comme tel :
– Ici, tu seras camouflé, dit-il.
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Il repartit au long des rues, sans manger, ni boire, charmé par le bruit des avenues et les étalages des magasins. Vers le soir il arriva devant la gare de l'Est. Il murmura : « Seigneur ! », et se hâta d'aller prendre un billet pour Aigly.
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– Quand même ces orages qui vous tombent dessus...
Crépart s'était avancé. Il s'écria :
– Comme si vous compreniez quelque chose à la mécanique. Moi, chaque fois que Paralet vient faire regonfler ses pneus, j'ai un court-circuit dans la pompe. Je ne vais pas tuer Paralet pour ça.
– Paralet, en voilà encore un qui aurait pu laisser la Rosalie tranquille, dit Gustave.
– La Rosalie fait le mal partout, dit Carrier qui se raccrochait à son idée pour échapper à une conversation où tout s'embrouillait.
– Puisqu'on vous répète qu'elle est fiancée à Augustin, répliqua Eustache. Vous n'allez tout de même pas l'empêcher de mener une vie convenable et d'épouser celui qu'elle a choisi, à cause de je ne sais quels flirts, comme en ont toutes les filles, et parce que les orages font ce qu'ils veulent et pas ce que vous voulez.
Augustin avait un air si désespéré que Carrier jeta par terre sa casquette et dit :
– Merde, si tu veux nous débarrasser de la fille, grand bien pour toi, mais ne viens pas te plaindre. Seulement il faudrait savoir si c'est vrai.
– Si c'est vrai ! s'écria Gustave avec indignation. Rosalie ! Rosalie !
Il avait appelé avec une telle vigueur que des gens sortirent de leurs maisons et revinrent vers l'école. Rosalie ouvrit ses volets.
– Alors, lui cria Eustache, c'est pour quand le mariage ?
– Dans un mois, dit Rosalie sans hésiter.
– Avec Augustin ! s'écria Carrier.
– Bien sûr avec Augustin, répondit-elle. Avec qui voulez-vous que ça soit ?
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Il se passa bien peu de temps avant la gare de l'Est. Toutefois il crut vivre comme une longue aventure.
Ce n'était pas que la durée eût changé. Plutôt une vision sans fin.
Dans les yeux de Rosalie qui le fixaient il lui sembla que descendaient des flocons de neige, au travers desquels s'apercevait la campagne lointaine de la Saumaie, une perspective de collines telles qu'il les avait vues dans son enfance, rayonnantes de beauté. Une folie. Il était hanté par l'immobilité de la jeune fille qui restait tout près de lui (elle le voulait), et ignorait sa présence. Un charme impossible à rompre. Rien ne comptait que ces regards fixés dans une telle absence de pensée qu'ils n'étaient plus que des lumières inconnues.
Rosalie se tourna brusquement et descendit sur le quai. Jacques ne s'était pas aperçu que la rame venait de s'arrêter. Gare de l'Est.
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...un peu plus tard comme il avait acheté des cigarettes au bureau de tabac, il s'était retourné pour ainsi dire vers elle qu'il avait senti cette fois derrière son dos et qui n'était pas là, qui ne serait plus jamais là.

Aucune tristesse dans ce plus jamais. Bien au contraire une clarté vive, comme lorsqu'on arrive dans un pays lointain, et qu'on a l'étonnement d'être loin pendant un temps. Ce lointain pour Viviane et lui-même devait durer toujours.
Il sortait parfois avec son confrère, mais il était le plus souvent seul. Il ne cherchait pas une compagnie. Il regardait les passants, les affiches. Et puis au coin d'une rue, Viviane arrivait au milieu des passants, masquée par les passants, et aussitôt elle se mettait à son pas, un peu en retrait.
Des idées, se disait-il. Ces imaginations d'ailleurs se dissipaient en trois secondes. Il n'y prêta aucune attention, et il estima que c'était mieux de ne pas se défendre de tels souvenirs. Il avait raison de rompre avec une histoire qui n'était qu'un mensonge, mais il lui semblait plus honnête de songer encore de temp à autre à Viviane, avec une indifférence aimable, pour ne rien dramatiser enfin.
Une autre fois dans un coin du jardin du Luxembourg il s'assit sur un banc, et se mit à lire un journal. Aussitôt Viviane s'assit à côté de lui. Même elle lui parla. Elle dit :
– Je ne t'ai pas trahi.
Il secoua vivement son journal.
– Comment tu ne m'as pas trahi ?
Il songea qu'il était idiot et reprit sa lecture. Alors elle passa derrière le banc et regarda le journal par-dessus son épaule. Elle parla encore :
– C'est intéressant les faits divers.
– Tu trouves ? Pourquoi c'est si intéressant ?
– Parce qu'on n'y comprend rien.
Il se retourna brusquement. Derrière lui il n'y avait qu'un buisson de fusains. Il se leva et gagna, à travers le jardin, le boulevard Saint-Michel. Il oublia complètement cette petite rêverie.
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Ç'avait été ce qu'on appelle un beau mariage. Beaucoup de gens de la Saumaie assistèrent à la cérémonie de l'église et furent invités à un vaste lunch à l'Hôtel des Postes.
On pensa un moment que la présence de campagnards susciterait quelques chansons et peut-être un modeste désordre. Il n'en fut rien. Tous se montrèrent parfaitement dignes et graves. Eustache, Gustave et tant d'autres étaient à l'aise dans leurs habits de fête et très naturellement soucieux de modérer leurs propos, aussi bien que les plus huppés de Bercourt.
Rosalie, la sœur de Viviane, fut très remarquée parce qu'elle portait une robe flambante, mais sa tenue était irréprochable. Les Aumousse montraient un respect distant pour Jacques et le père Soudret.
On avait l'impression d'une comédie bien jouée, mais il en est toujours ainsi pour les cérémonies de ce genre. En de telles occasions, si l'on ne se déchaîne pas, on se tient sur son quant-à-soi. Il n'y a pas de milieu. Du moins c'était l'opinion de la dame des Ponts et Chaussées.
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Une heure plus tard Eustache s'occupait à pousser un veau entre les rejets d'une mauvaise haie. Il le mena ensuite au travers du petit pré qui donnait sur la cour de la ferme. À peine eut-il fait vingt pas qu'on cria derrière lui :
– Eustache, ramène-moi ce veau ou je te casse la figure.
– Une simple farce, mon cher Gustave, répondit Eustache.
Mais Gustave, franchissant la haie à son tour :
– Et le canard que tu m'as fauché avant-hier ! Comme si tu n'allais pas m'embarquer ce veau dans la carriole du marchand qui va passer dans un quart d'heure. Elle est au bas du village la carriole.
– Je t'en aurais tiré un bon prix, assura Eustache.
– Un bon prix pour moi ? Comme si tu ne l'aurais pas empoché, crapule.
Eustache et Gustave tenaient deux petites fermes voisines vers le haut d'Hersigny. Ainsi que presque tous les exploitants de la Saumaie, ils tiraient bénéfice de leurs vergers, de quelques champs et d'un peu d'élevage sans parler des parcelles de bois. Ils devaient travailler assez dur avec leur famille et ils s'entraidaient à toute occasion, s'étant même associés pour l'achat d'un tracteur.
Deux vrais amis, qui ne cessaient de se jouer des tours, pas pour l'intérêt, pour le simple plaisir de se raccommoder après une dispute. Sans doute éprouvaient-ils le besoin de monter des comédies. Ce pouvait être une des manifestations de ce caractère que l'on disait appartenir aux gens de la Saumaie. En tout cas il ne se passait pas de mois que l'un d'eux ne trouvât le moyen de s'approprier des volailles, des œufs ou quelques outils de son compère. Dans la saison il arrivait que Gustave s'avisât juste à l'aube de cueillir les cerises d'un arbre chez Eustache, quitte à prétendre que c'étaient les sansonnets qui avaient tout ratissé.
– Comment aurais-je pu attraper toutes les cerises ? demandait Gustave.
– Montre-moi donc un seul noyau, ripostait Eustache. Un noyau attaché à la queue comme ils les laissent après l'arbre.
– Quand la cerise est mûre, tout tombe. Et puis, ils sont affamés cette année et ils avalent les noyaux.
– Moi je vais te faire avaler les noyaux.
Cela continuait pendant un quart d'heure, jusqu'à ce que Gustave ou Eustache éclate de rire. Puis ils s'en allaient comme des frères boire un verre chez l'un ou chez l'autre, méditant une nouvelle farce pour l'avenir. Une farce c'était aussi nécessaire que la pluie ou le soleil. Cela rendait le monde un peu plus incompréhensible sans doute.
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Editions Phébus, page 191 :
Ils regardèrent les étoiles. On n'était plus aux environs du village, mais dans un pays lointain, où il y avait plusieurs vies parmi lesquelles on pouvait choisir la plus belle.
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Editions Phébus, page 104 :
Le printemps prend toujours un aspect inattendu. Rien ne le prépare visiblement, et soudain dans l'herbe sèche il y a des violettes; et une anémone unique s'ouvre dans le sous-bois. Les arbres gardent leur air de mort. Le fourmillement de feuilles minuscules est encore une résurrection tremblante à laquelle les arbres eux-mêmes n'ont pas l'air de croire.
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Editions Phébus, page 74 :
On n'attend jamais les événements les plus ordinaires, ceux qui sont attachés aux routines comme le soleil à nos greniers. On cherche le bien ou le mal, et c'est la surprise d'un jour simple, d'une lumière qui n'est que lumière avec tous les détails hasardeux qu'elle fait resplendir.
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Augustin, quand il pensait à Viviane, aurait presque oublié Rosalie. Mais il n'y avait pas la moindre ressemblance entre Viviane et Rosalie. Viviane, malgré sa timidité, était attachée à toutes les petites choses du terroir, tandis que sa sœur s'en fichait.
Viviane avait, si l'on en croyait les uns et les autres, le sérieux et la vive intelligence des enfants, destinée à aimer tout ce qu'elle voyait, chaque parole qu'elle entendait.
Elle garderait sûrement dans la misère comme dans le bonheur les mêmes regards purs et lointains.
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Viviane...
Il fallait annoncer la nouvelle aux gens de la Saumaie. Elle habitait maintenant chez ses parents qui s'étaient retirés à Bercourt dans une villa, mais elle revenait chaque semaine à Hersigny et dans les autres villages qu'elle parcourait à bicyclette.

Pourquoi elle tenait tant à faire ces promenades, pourquoi chacun était heureux de la voir et de lui parler, on ne pouvait l'expliquer.
Aucun garçon ne lui faisait la cour, quoiqu'elle fût gracieuse. Elle était, si vous voulez, comme une pluie d'été ou comme une belle neige. Un personnage presque aussi nécessaire que le facteur, à cela près qu'elle ne faisait pas de tournées régulières et qu'elle ne distribuait rien. Rarement une commission pour l'un ou pour l'autre.
Elle suivait quelquefois le ruisseau jusqu'à la rivière là-bas.
Enfin si personne n'était plus simple que cette fille, il y avait peut-être en elle quelque chose qu'on ne pouvait pas, qu'on n'osait pas et qu'il ne fallait pas dire.
« Quand même drôle », murmurait Augustin en montant la côte.
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Tout était dit, plus que dit, et cependant la vie changea pour Jérôme. Il eut beau savoir qu’Évelyne Dertucaillort l’ignorait absolument et que son sourire ne lui avait pas été adressé le moins du monde, il en garda le souvenir comme s’il en avait bénéficié au premier chef.
Que ce fût pour lui ou pour tout autre, rien ne pouvait changer la beauté du sourire ni empêcher qu’il eût existé.
Il en rêva toute la nuit, et le lendemain matin il n’y avait rien qui ne lui parût environné d’un bonheur céleste.
L’étrange conséquence fut qu’à partir de ce temps Jérôme lui-même se mit à sourire à tout propos, ce qui justement déclencha toute l’histoire.
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Ce soir-là, il était revenu à Bercourt en dehors de son service. Comme cela, pour boire un verre, pour se disputer, pour que la vie soit encore plus vide que nature. Mais il avait beau être un simple facteur stagiaire, le ciel et les bois dans le ciel au-dessus de Bercourt ça l'intriguait énormément.
Est-ce qu'il voyait vraiment le ciel que Rosalie voyait ?
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Il s'était bien battu. Pendant deux bonnes minutes, et c'était assez pour l'honneur et pour la joie de la grande paix qui s'ensuivait.
Bercourt demeurait silencieux et presque désert vers la fin de cet après-midi.
Oui, on lui avait crié de retourner dans sa Saumaie. Qu'est-ce qu'ils savaient de la Saumaie ? D'abord lui n'était pas soûl. Tout juste trois verres de rosé. Jamais il n'en buvait autant.
Mais ce jour-là, il lui fallait au moins ces trois verres avec la bagarre subséquente, pour fêter un magnifique désespoir d'amour qui l'avait soudain ressaisi.
La lumière de Dieu... Il suivit la rue d'un pas assez ferme et il alla s'asseoir dans le square juste en face de la pharmacie Soudret, pas sur un banc, sur une espèce de faux rocher au milieu des buissons de cotonéaster. Les bois mouillés pendaient au milieu du ciel, au-dessus des toits de Bercourt.
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On fit une visite bien entendu à M. et à Mme Aumousse. La femme très effacée. M. Aumousse garda un air de méfiance, malgré la satisfaction que devait lui donner une alliance avec une famille honorée dans Bercourt.

La maison était modeste. Pas de salon. Les Soudret furent reçus dans la salle à manger. Ils remarquèrent la sobriété d'un mobilier très ancien. Il y avait quelques belles faïences. « Où ont-ils trouvé tout cela ? » se demandait le père Soudret. M. Aumousse mena ses visiteurs dans le jardin. Un immense potager qu'il bêchait et cultivait sans aucune aide. Il leur montra les espaliers, les bourgeons à fleurs sur les branches, leur indiqua des planches où seraient des légumes inaccoutumés, crosnes et patates, releva les vitrages des couches où prospéraient toutes sortes de plantes. En bordure des allées quelques fleurs précoces. Mais le long de la maison poussaient des chardons énormes encore en herbe. « Pourquoi laisse-t-il tous ces chardons ? » se demandait le père Soudret.

Le mariage eut lieu au mois de mai. Les jeunes époux firent un voyage qui dura tout juste trois jours, car le père Soudret n'était pas solide et il fallait tenir le magasin. Pendant un mois ils demeurèrent à Bercourt, après quoi M. Jacques loua un appartement à Charleville en attendant qu'il pût se loger à Paris sans trop de frais. Il se rendait à Paris chaque semaine, mais passait la plupart de ses journées à Bercourt, revenant le soir à Charleville d'où Viviane ne bougeait pas. Enfin le bruit courut que Viviane avait quitté son mari.
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"Autour de lui, il distinguait les brins d'herbe, les cailloux comme si la moindre chose devait désormais s'inscrire en lui dans cette joie impossible à éteindre de la lumière matinale." (page 155 - édition Libretto)
"Maintenant il comprenait pourquoi Clémentine aurait tant voulu parle à Suzannah ne ne fût-ce que quelques instants. Mais il fallait que ce soit dans l'éveil étonnant d'une vérité incomparable." (page 157 - Libretto)
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Ne sommes-nous pas tous très malheureux d'être étranger à ce que nous aimons. Un visage nous donnerait l'éternité. Mais quel visage sur cette terre ?
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Oui, pour lui c'était Jeanne peut-être cette différence qu'il y avait entre vie et mort.
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Y a t-il même des histoires vraies, si l'on considère ce passage sans retour de nos vies ?
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