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Citation de nadejda


L’essuyeur de tempêtes
L’expression « essuyer une tempête » remonte à la plus haute antiquité.
Si vous voulez qu’une tempête vous fasse de l’usage, entretenez-la convenablement. Et commencez donc par l’essuyer.
Possesseur d’une bonne tempête d’origine (en France, les meilleures proviennent de Brest et de ses environs), assurez-vous les services d’un essuyeur de qualité et ne lésinez pas sur le tarif.
Le procédé relève du bon sens : avant d’essuyer une tempête, il convient de la sécher ; il en va des tempêtes comme du reste.
L’essuyeur prend sa tempête, l’expose au soleil et attend qu’elle ait perdu son humidité. Il lui faut parfois, surtout en hiver, la transporter à des distances considérables, pour trouver le climat idéal — du Pas-de-Calais aux criques de Saint-Raphaël. N’importe, il va son chemin, emmenant sa tempête avec lui et ne cessant de la surveiller.
Lorsqu’il a enfin découvert le lieu propice, il donne un peu de «mou » à la tempête, afin de la laisser s’ébrouer à son aise. Puis, quand elle a atteint un degré de dessiccation suffisante, il l’étend bien à plat sur le sol (dans un endroit écarté, de préférence) et se met à l’oeuvre, muni de ses chiffons et de sa brosse à reluire. Une tempête de violence moyenne exige trois semaines environ pour être remise en état. Ensuite, il ne reste plus qu’à la libérer.

Mon grand-père beaujolais-la-pivoine n’essuyait pas les tempêtes à proprement parler ; il ne s’occupait généralement que des « grains », des bourrasques modestes, mais il les traitait de la même manière. une fois pourtant, entre Epineuil et Sainte-Agathe (j’avais sept ou huit ans), il me montra une tempête allongée sur une prairie et qu’il venait de « terminer ». Elle était tellement propre, briquée et transparente, que vous auriez juré qu’il n’y avait rien là, devant vous. J’écarquillais mes yeux d’enfant ; Beaujolais me dit ; « Elle va r’partir à l’attaque, maint’nant, quasiment toute neuve. »
Il me parlait avec émotion des jours où les tempêtes rénovées faisaient les quatre cents coups, où ça grondait et soufflait partout tandis que lui, dans une cabane de cantonnier, assistait à la sarabande. Il me parlait aussi des bergères qui venaient chercher protection auprès de lui, malgré sa barbe de vagabond, ses mauvaises façons et son goût pour la bouteille. Mais, comment ils passaient le temps, ensemble, à la faveur de la tempête « essuyée », je ne l’ai appris que plus tard, dans des circonstances qui ne se relient pas directement à cette chronique.
p 115-116
Texte paru dans Le Canard enchaîne, 11 juillet 1962

La suite de textes réunie sous le titre de "L'essuyeur de tempêtes" comprend aussi Le laveur d'eau, Les chasseurs d'horizons, Le ferreur de cigales, Le déménageur de forêts etc...



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