POÉSIE CARAÏBES Découverte anthologique (France Culture, 1982)
Une compilation des émissions « Albatros », par Claude Herviant, diffusées les 18 juillet, 25 juillet et le 1er août 1982 sur France Culture. Invités : André Laude, René Depestre, Florence Alexis, Daniel Maximin, Jean Metellus, Isabelle Gracian, Jena-Claude Charles et Marie-Céline Lafontaine.
J'enchante ma blessure
avec un chant de terroir
venu des hautes époques
où l'amour était chute dans le soleil
Depuis il a fait froid et noir
je résiste avec la pâleur du diamant
Je tiens tête aux figures du néant
J'imagine un retour brûlant
des sangs qui ne sont qu'enfouis
dans la tourbe les racines les vents
Et attendent l'heure pour qu'à nouveau
sur Terre il fasse beau temps
entre hermine et renard de givre
dans la pleine lumière du vivre.
(" Un temps à s'ouvrir les veines ")
Si j'écris c'est pour que ma voix vous parvienne
voix de chaux et sang voix d'ailes et de fureurs
goutte de soleil, ou d'ombre dans laquelle palpitent nos sentiments
si j'écris c'est pour que ma voix où roulent souvent des torrents de blessures
s'enracine dans vos paumes vivantes , couvre les poitrines
d'une fraîcheur de jardin
" Comme une blessure rapprochée du soleil" in " C'était hier et c'est demain, anthologie"

Ne me demande pas pourquoi j’écris
ne me demande pas pourquoi tête la première
je plonge dans le tumulte volcanique des syllabes
que le passage de mon corps réveille
Ne me demande pas pourquoi au lieu de dormir
comme font les honnêtes gens
je cloue à minuit des papillons de couleurs et de sons
sur le ciel des solitudes
Ne me demande pas pourquoi je saigne auprès des lampes
ne me demande pas pourquoi dans la rue
j’enlace le tronc d’un marronnier en pleurant les cheveux sur les yeux
pour ne pas être vu
Ne me demande pas pourquoi Lazare appelle et parle dans mes veines
pourquoi je bondis d’un espace à un autre
pourquoi j’enfonce les ongles dans la jacinthe brûlante des draps
alors que déchiré d’amour j’ai une respiration de fleuve entraîné par l’élan élémentaire
Ne me demande pas pourquoi ceci n’est pas vraiment un poème,
mais un feu de mots soudés par la salive le souffle
Ne me demande pas
Écoute. Regarde. Ouvre les mille pupilles sèches de ton sang
Tends l’oreille dans la direction de la rue de la terre sueurs et larmes
Écoute
Regarde :
Les géantes copulations de la clarté et du néant
le temps aux tempes des hommes. Les éclairs des famines.
Ne me demande pas.
Nous savons saluer l’aurore
nous sommes civilisés
nous faisons comme tous les peuples
l’amour la guerre des enfants
nous enrichissons les riches
avec notre sueur notre imagination notre sens de l’ouvrage bien fait
nous sommes de bons citoyens
on nous récompense royalement : exil migraine chômage rêves différés accidents du travail
Nous nous lavons les dents
avec des dentifrices célébrés dans les colonnes du Monde, de L’Humanité ou du Figaro
parfois nous attrapons la mauvaise fièvre gauchiste
les poux de la subversion nichent dans nos cheveux
nous parlons français. Avec l’accent. Longtemps nous avons tourné la tête
pour pleurer
quand le vieux parler irritait soudain nos paupières
Mais maintenant c’est fini
Nous savons saluer l’aurore
nous avons étudié l’économie
nous savons à quoi nous en tenir
nous sommes des êtres humains à part entière
nous savons à quoi nous en tenir
LA RÉVOLUTION OCCITANE fleurira bientôt en livres de
sang et foudre dans les vitrines des libraires du Quartier latin
Seuls les poètes qui prônent le désordre sont, à mes yeux, d'authentiques poètes.
Calmement j’annonce les temps neufs
Calmement j’annonce les revendications
De soleil et de chair du peuple
Calmement je vous crache à la gueule
si vous dites que tout ceci n’est pas de la poésie
Calmement j’écris ce qui précède
Et ce qui va suivre
En sachant bien que la langue
Doit coller à la vérité des hommes
Qu’elle doit se faire humble, salir ses mains
A l’huile des moteurs
Se vêtir de gros draps
Trainer dans les taudis et les hôpitaux
Visiter les solitaires les malades les angoissés les humiliés et offensés
Boire avec les ouvriers des trains du petit jour
Calmement je vous répète que je me fous
De savoir si les esthètes les branleurs du verbe
Auront ou n’auront pas la nausée
En lisant ces paroles absolument sincères qui ne cherchent pas l’absolu
Dernier poème
Ne comptez pas sur moi
je ne reviendrai jamais
je siège déjà là-haut
parmi les Elus
Près des astres froids
Ce que je quitte n’a pas de nom
Ce qui m’attend n’en a pas non plus
Du sombre au sombre j’ai fait
un chemin de pèlerin
Je m’éloigne totalement sans voix
Le vécu mille et une fois m’abuse, vaincu.
Moi le fils des Rois.
QUAND UNE LARME DE TROP.
Quand une larme de trop m’empêche de respirer m’empêche
réellement de respirer
– Alors je crie comme autrefois quand j’étais gamin aux terreurs nocturnes –
Je vais jeter des tonnes de violettes à la mer pour qu’avec elles
s’enfoncent dans l’oubli les maisons les enseignes
les rues et les statues des squares où mes doigts
approchèrent les secrets brûlants de l’amour
Les cerceaux et les autobus
Les chiens et les gares les horloges et les puces.
Quand une main de plomb me serre soudain à la gorge
et que je crois cracher toutes les planètes vertes du sang
– Alors j’écris mon testament et je lègue aux enfants
tous mes biens : mon stylo et mes bagues –
je vais jeter des brouettes de cris clameurs et chants de la mer
pour qu’elle embrase comme une foule bruyante
et joyeuse en route vers le matin des cerises.
CETTE CHOSE TRÈS DOUCE ET TRÈS TENDRE
Cette chose très douce et très tendre
faite d'odeurs et de linges brûlants
qu'on nomme la femme
et qu'il me faut meurtrir
d'une caresse à peine ébauchée
dans la clarté aveugle du désir
Elle est la source frêle
d'où monte encore plein de sang
Au milieu d'un grand cortège d'ailes
l'astre fugitif de l'oubli
la haute mer pacifiée l'été épanoui des sens
Dieu insaisissable dans toute sa magnificence.
ARRACHE-MOI DOUCEMENT
extrait 2
Arrache-moi doucement aux masques de la mort
Aux gargouilles de l'ennui qui ricanent dans le sommeil
Achève en moi enfin la créature qu'un dieu pâle a modelée
D'un peu de salive d'argile et d'imagination
Par le jeu savant des caresses et des baisers
Jette-moi en pâture aux lions du vertige
que plus rien ne demeure de l'ancienne fable
où j'errais comme un fantôme de fumée et de brume
oublie la terrible royauté des objets quotidiens
les chaînes de la morale nous serons libres
Voguant comme deux navires de haut bord
qui s'abîment avec lenteur sur les rivages du Soleil.

Poésie et vérité 1971
Extrait 2
Nous savons saluer l’aurore
nous sommes civilisés
nous faisons comme tous les peuples
l’amour la guerre des enfants
nous enrichissons les riches
avec notre sueur notre imagination notre sens de l’ouvrage
bien fait
nous sommes de bons citoyens
on nous récompense royalement : exil migraine chômage
rêves différés accidents du travail
Nous nous lavons les dents
avec des dentifrices célébrés dans les colonnes du Monde,
de L’Humanité ou du Figaro
parfois nous attrapons la mauvaise fièvre gauchiste
les poux de la subversion nichent dans nos cheveux
nous parlons français. Avec l’accent. Longtemps nous avons
tourné la tête pour pleurer
quand le vieux parler irritait soudain nos paupières
Mais maintenant c’est fini
Nous savons saluer l’aurore
nous avons étudié l’économie
nous savons à quoi nous en tenir
nous sommes des êtres humains à part entière
nous savons à quoi nous en tenir
LA RÉVOLUTION OCCITANE fleurira bientôt en livres de
sang et foudre dans les vitrines des libraires du Quartier latin.