Défier la raison, contredire le fait, est une attitude sans probité intellectuelle ; mais il est possible d'y trouver son divertissement, voire son compte.
Si un appétit de logique et de loyauté spirituelle nous domine, nous écarterons des batelages aussi vains et stériles que les révoltes de l'enfant contre le coin de table où il se cogne.
Celui-là est fou qui dans son esprit veut concentrer les terreurs du passé, les souffrances du présent et les inquiétudes de l'avenir. Aujourd'hui seul est à toi.
Je puis refuser de vivre.
Si je vis, je ne puis vivre que selon l'étincelle de la raison qui est en moi.
Éclairons notre désert et notre nuit des seules clarté qu'elle nous laisse entrevoir.
Tout le mystère de l'existence nous demeure impénétrable.
Mais parmi l'Espace et le Temps, elles m'indiquent comment vivre et mourir dans moins de misère morale, d'horreur physique et de confusion intellectuelle.
… Ne refusons pas le bâton de l'aveugle...
Sous peine d'inintelligence, de laideur et d'impiété, éclairons et précisons en nous la conscience de notre race. Sachons vivre, agir et mourir avec elle. Ainsi vivre, agir et mourir avec elle. Ainsi subsisterai-je sur la terre moins misérable et moins perdu. Ainsi la mort me sera moins atroce et moins complètement, ayant, au-delà de moi, de quoi satisfaire ou tromper (mais qu'importe ?) mon besoin d'aimer et ma hantise d'éternité.
Il y a, insondable, le prodige que quelque chose existe. Entre le gouffre du passé et le gouffre de l'avenir, sur la goutte de boue terrestre, l'homme émerge une seconde, éperdu, ahuri, parmi les mystères impénétrables du Temps, de l'Espace, de la Matière, des Causes et des Fins.
Éphémère atome d'atome, il étreint l'universel des aspirations de son cœur et de son cerveau. Il est aussi incapable de déchiffrer un coin de l'énigme où il est compris que le moucheron de s'élever d'un battement d'ailes au-dessus de l'atmosphère qui le contient. Desservi par ses sens imparfaits, il perçoit des choses que des impressions partielles et falotes. Elles suscitent en lui des images baroques d'où s'engendrent des conceptions erronées qu'il est incapable de transmettre sans les travestir.
Avant la Guerre, de ce que les graves blessures nous faisaient désespérer de la patrie, des intellectuels, volontiers, mettaient un orgueil anarchique à se désolidariser d'elle en des jeux d'esprit acrobatiques et anormaux.
Ces jeux ont leurs avantages.
Telle manière de s'élever au-dessus de la mêlée confère à l'égoïsme des alibis commodes qui peuvent paraître élégants.
Il est parfaitement loisible à la taupe de nier l'Himalaya et au sophiste de nier la patrie, voire même la gravitation universelle.
Chacun de nous est séquestré dans le cachot de son propre moi. D'infranchissables barrières nous isolent de notre plus proche. Chacune de nos pensées ne nous appartient que tant que nous l'enfermons en nous. Sitôt formulée et extériorisée, elle se rétracte, se déforme et nous devient étrangère. Nous sommes compris pour ne ce nous n'avons jamais conçu, aimés ou haïs pour ce que nous ne sommes pas. Personne ne me connaît. Je ne connais personne. L'amant qui, une seconde croit se fondre en celle qu'il l'aime, est aussi fou que le génie qui prétend de son lumignon montrer une voie à l'humanité.
Quand il s'agit de la vie tous, la vie de chacun est peu de chose.
Un de ces soirs-là, d'hiver naissant, maman a pris Trott sur ses genoux, l'a beaucoup embrassé et lui a dit :
- Trott, est-ce que tu serais content d'avoir un petit frère ?
Trott était en train de jouer avec la chaîne de montre de sa maman. Il a réfléchi un moment, puis il a répondu :
- Non, merci. Si c'est pour me faire plaisir, j'aimerais mieux que vous m'achetiez une tortue vivante.
Il ne point de victoire qui ne coûte du sang. Les animaux-rois ont vaincu la mort : s'il convient de célébrer ceux qui succombèrent, il ne convient pas de s’affliger de leur destin.