Au commencement avait été Illiers, une petite ville aux confins de la Beauce et du Perche, où quelques Français se serraient autour d'une vieille église encapuchonnée sous son clocher ; où un enfant nerveux et sensible lisait, les beaux après-midi du dimanche, sous les marronniers du jardin, François le Champi ou le Moulin sur la Floss ; où il entrevoyait, à travers une haie d'aubépines roses, des allées bordées de jasmin, de pensées et de verveines, et restait là, immobile, à regarder, à respirer, à tâcher d'aller avec sa pensée au-delà de l'image ou de l'odeur. « Certes, quand ils étaient longuement contemplés par cet humble passant, par cet enfant qui rêvait, ce coin de nature, ce bout de chemin n'eussent pu penser que ce serait grâce à lui qu'ils seraient appelés à survivre en leurs particularités les plus éphémères », et pourtant c'est son exaltation qui a porté jusqu'à nous le parfum de ces aubépines mortes depuis tant d'années, et qui a permis à tant d'hommes et de femmes, qui n'ont jamais vu et ne verront jamais la France, de respirer en extase, à travers le bruit de la pluie, l'odeur d'invisibles et persistants lilas.
1968 - [p. 94/95]