Vidéo de André Schwarz-Bart
Les statistiques montrent que le pourcentage de suicides, parmi les Juifs d'Allemagne, fut pratiquement nul durant les années qui précédèrent la fin... Cependant, dès l'année 1934, c'est par dizaines et dizaines que les petits écoliers juifs d'Allemagne se portèrent candidats au suicide ; et par dizaines qu'ils y furent admis (p. 237).
Ainsi donc cette histoire ne s'achèvera pas sur quelque tombe à visiter en souvenir. Car la fumée qui sort des crématoires obéit tout comme une autre aux lois physiques : les particules s'assemblent et se dispersent au vent, qui les pousse. Le seul pèlerinage serait, estimable lecteur, de regarder parfois le ciel d'orage avec mélancolie.....
Sais-tu bien, pour les Allemands nous sommes uniquement juifs, et pour les Français, uniquement Allemands. Peux-tu comprendre une chose pareille ? Nous sommes partout ce qu'il ne faut pas être : juifs ici, allemands là...
-...Et pauvres des deux côtés !
- Tu pleures du sang, dit soudain Golda étonnée.
- On ne pleure pas du sang, voyons dit Ernie.
Et essuyant les larmes de sang qui sillonnaient ses joues, Ernie se détourna de la jeune fille afin de lui cacher la mort du peuple juif inscrite, il le savait, dans toute la chair de son visage.
Sais-tu qui etait le Christ?Un simple juif comme ton pere,une sorte de Hasside.
-tu te moques de moi
-si,si,crois-moi,et je parie meme qu'il se serait bien entendu tous les deux,car c'etait vraiment un bon juif,dans le genre de Baal Chem Tov:un miséricordieux,un doux.Les chrétiens disent qu'ils l'aiment;mais moi je pense qu'ils le détestent sans le savoir;alors ils prennent la croix par l'autre bout,et ils font une epee,et ils nous frappent avec!Ils prennent la croix et ils la retournent,et ils la retournent.

Les voix mouraient une à une le long du poème inachevé ; déjà, les enfants expirants plantaient leurs ongles dans les cuisses d’Ernie, en un suprême recours, et déjà l’étreinte de Golda se faisait plus molle, ses baisers s’estompaient, quand s’accrochant farouche au cou de l’aimé elle exhala en un souffle discordant :
– Je ne te reverrai donc plus jamais ? Plus jamais ?
Ernie parvint à rejeter l’aiguille de feu perçant sa gorge et cependant que le corps féminin s’affaissait contre lui, les yeux exorbités dans la nuit opaque, il criait tout contre l’oreille de Golda inanimée :
– Tout à l’heure, je te le jure !...
Puis il sut qu’il ne pouvait plus rien pour sa personne au monde, et dans l’éclair qui précéda son propre anéantissement, il se souvint avec bonheur de la légende de rabbi Chanina ben Teradion, telle que la rapportait joyeusement l’ancêtre : lorsque le doux rabbi, enveloppé dans le rouleau de la Thora, fut jeté par les Romains sur le bûcher pour avoir enseigné la Loi, et qu’on alluma les fagots aux branches vertes encore pour faire durer son supplice, les élèves lui dirent : Maître, que vois-tu ? Et rabbi Chanina répondit : – Je vois le parchemin qui brûle, mais les lettres s’envolent… Oh oui, sûrement, les lettres s’envolent, se répéta Ernie Lévy tandis que la flamme qui embrasait sa poitrine, d’un seul coup, envahit son cerveau. De ses bras moribonds, il étreignit le corps de Golda en un geste déjà inconscient de protection aimante, et c’est dans cette poste que les trouva une demi-heure plus tard l’équipe du Sonderkommando chargée de brûler les Juifs au four crématoire. Il en fut ainsi de millions, qui passèrent de l’état d Luftmensch à celui de Luft. Je ne traduirai pas. Ainsi donc, cette histoire ne s’achèvera pas sur quelque tombe à visiter en souvenir. Car la fumée qui sort des crématoires obéit tout comme une autre aux lois physiques : les particules s’assemblent et se dispersent au vent, qui les pousse ; le seul pèlerinage serait, estimable lecteur, de regarder parfois un ciel d’orage avec mélancolie. (pp. 424-425)
À la naissance de Bayangumay, la grande ville des bords du fleuve, lieu d'ombre et de luxe, de tranquillité, portait encore le nom de Sigi qui signifie : Assieds-toi. Mais depuis qu'on y embarquait les esclaves, elle n'était plus connue que sous le nom de Sigi-Thyor : Assieds-toi et pleure. Et désormais, de proche en proche, des terres connues aux plus lointaines, qui vont au-delà du pays des Balantes, les peuples qui craignaient de devenir gibier se faisaient chasseurs, oubliant qu'une seule et même plaie s'ouvrait à leur flanc. (...) Une parole récente courait dans toute la région : Autrefois nous ne craignions que nos ennemis, aujourd'hui nous avons peur des amis et demain, nous lancerons la pique sur nos mères.
Quel feu ancestral et sévère s'était donc allumé au sein des tièdes âmes juives de Stillenstadt, assoupies depuis cent ans en cette calme province rhénane, et qui brusquement découvraient, avec la persécution, le sens vertigineux de la condition juive?
Malgré tous ses efforts, il n'avait pu atteindre une seule fois la personne de Dieu, dont il se sentait séparé, définitivement, par le mur de plaintes juives s'élevant jusqu'au ciel.
Le pauvre Jesuah,s'il revenait sur terre,et s'il voyait que les paiens ont fait de lui une epee contre ses freres et ses sœurs,il serait triste,mais triste a n'en plus finir.