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Citation de enkidu_


Les voix mouraient une à une le long du poème inachevé ; déjà, les enfants expirants plantaient leurs ongles dans les cuisses d’Ernie, en un suprême recours, et déjà l’étreinte de Golda se faisait plus molle, ses baisers s’estompaient, quand s’accrochant farouche au cou de l’aimé elle exhala en un souffle discordant :

– Je ne te reverrai donc plus jamais ? Plus jamais ?

Ernie parvint à rejeter l’aiguille de feu perçant sa gorge et cependant que le corps féminin s’affaissait contre lui, les yeux exorbités dans la nuit opaque, il criait tout contre l’oreille de Golda inanimée :

– Tout à l’heure, je te le jure !...

Puis il sut qu’il ne pouvait plus rien pour sa personne au monde, et dans l’éclair qui précéda son propre anéantissement, il se souvint avec bonheur de la légende de rabbi Chanina ben Teradion, telle que la rapportait joyeusement l’ancêtre : lorsque le doux rabbi, enveloppé dans le rouleau de la Thora, fut jeté par les Romains sur le bûcher pour avoir enseigné la Loi, et qu’on alluma les fagots aux branches vertes encore pour faire durer son supplice, les élèves lui dirent : Maître, que vois-tu ? Et rabbi Chanina répondit : – Je vois le parchemin qui brûle, mais les lettres s’envolent… Oh oui, sûrement, les lettres s’envolent, se répéta Ernie Lévy tandis que la flamme qui embrasait sa poitrine, d’un seul coup, envahit son cerveau. De ses bras moribonds, il étreignit le corps de Golda en un geste déjà inconscient de protection aimante, et c’est dans cette poste que les trouva une demi-heure plus tard l’équipe du Sonderkommando chargée de brûler les Juifs au four crématoire. Il en fut ainsi de millions, qui passèrent de l’état d Luftmensch à celui de Luft. Je ne traduirai pas. Ainsi donc, cette histoire ne s’achèvera pas sur quelque tombe à visiter en souvenir. Car la fumée qui sort des crématoires obéit tout comme une autre aux lois physiques : les particules s’assemblent et se dispersent au vent, qui les pousse ; le seul pèlerinage serait, estimable lecteur, de regarder parfois un ciel d’orage avec mélancolie. (pp. 424-425)
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