découvert lors de la généreuse opération Masse Critique de Babelio, grâce à la précieuse contribution des éditions Cairn qui "bénéficient du soutien de la DRAC et de la Région Nouvelle Aquitaine" pour publier "au rythme d'une trentaine de titres par an, des ouvrages qui portent haut et fort l'Histoire, la Mémoire, la culture et le patrimoine des Pyrénées et du Sud-Ouest".
c'est un ouvrage dense de 318 pages en petits caractères comme autant de pierres que bergers, montagnards et randonneurs se plaisent à empiler en point de repère.
dans ce roman d'André Valéry, forestier de père en fils de générations en générations, il s'agit bien d'activité humaine, des Hommes, peu de femmes (pauvre Mayalène!), essentiellement des hommes, des Basques, Espagnols, Parisiens et Italiens dans les villages, la montagne et principalement en forêt dans les Pyrénées des années 50. la forêt de montagne, son atmosphère, sa flore, sa faune, ses délimitations terriennes, sa commercialisation.
en lisant les descriptions de la forêt, je me surprends à entendre les bruissements du vent dans le feuillage, sentir l'odeur des champignons, souvenirs de balades à travers bois en tournant les pages tel on écarte les branches sur son passage, écrasant le tapis des aiguilles des résineux tombées à terre, adoucies par le piétinement, me réjouissant d'apercevoir les rayons du soleil comme autant de projecteurs orientés sur d'autres animaux, râlant en devant suivre des délimitations annoncées par des panneaux "propriétés privées" ou "chasse gardée", me retenant ou prenant appui sur les arbres marquant les chemins balisés par les conservatoires naturels à l'aide de formes jaunes, blanches et rouges et d'autres traces d'activité humaine, ces numéros peints en rouge ou en vert sur les arbres encore debout, d'autres signes, à la bombe de peinture, fluos sur des troncs couchés alignés marqués par leur propriétaire et destinés à la vente, imaginant alors le bruit d'une tronçonneuse.
André Valéry explique ces différentes activités forestières que je n'imaginais pas si nombreuses : marquage, élagage, abattage, tronçonnage, brasage, tensionnage, planage, griffage, empilage, montage du câble, martelage, marquage et surtout les plus difficiles, d'autant plus sans équipements mécaniques, écorçage et lançage des bûches.
il nous confie les détails de la pénibilité du travail forestier, les conditions de travail, les particularités du travail en plein air, les imprévus, impondérables et déconvenues, contraintes climatiques et physiques.
"Chaque traverse de chemin de fer pèse en moyenne cent kilos et il leur arrivait d'en fabriquer deux cents dans la journée.
Les deux manoeuvres en amont qui préparaient les grumes et les roulaient jusqu'au chariot pour les griffer, le scieur, le manoeuvre "derrière la scie", et les deux autres en aval qui poussaient le wagonnet et montaient les traverses à la pile, manipulaient ainsi, chacun, dans les grosses journées, jusqu'à vingt tonnes de bois."
les accidents de chantier sont racontés avec leur lot de blessés, de convalescents et de morts.
des hommes s'activent dans cette forêt. bûcherons, contratistas, péones, limeur, scieur, manoeuvres, réceptionnaire, les hommes-liges (maître-bûcheron, téléphériste, câbliste-lasso), les camionneurs, les forestiers, les câblistes, le pinche, les mûletiers, les lanceurs, les charbonniers, le ranchero et son pinche, les contrebandiers, les passeurs, les abatteurs, les exploitants forestiers, le garde-champêtre.
ils descendent dans le village et l'animent en fréquentant les commerces, l'auberge et vivent dans les baraquements. ils construisent aussi des hangars à bois, creusent la fosse à sciure et installent la scierie en un "exercice" dont "chaque homme connaît son rôle", "[montée] comme un cirque".
des hommes qui côtoient des animaux, heureuses rencontres fortuites en forêt, les sauvages (perdreaux, coqs de bruyère, sangliers, écureuils, putois, isards et le fameux ours des Pyrénées!) ou les domestiques utilisés au quotidien en bêtes de somme et auxiliaires indispensables (vaches, mulets, ânes, boeufs et même canards !)
tous s'activent à la solde de grands groupes (SNCF, usine de pâte à papier du centre de la France, Sopabor) ou dépêchés par l'Etat (Eaux et forêts, Office national d'Immigration).
et en ces lieux, pour faire respecter l'ordre et la loi, "les salamandres", le brigadier des Eaux et forêts, le garde forestier, le Grand Maître Enquêteur, le Général Réformateur des Eaux et forêts, les douaniers, guardia civil et carabineros veillent alors que l'ingénieur général des Eaux et forêts et le directeur commercial de la SNCF décident de la coupe des arbres.
chênes, sapins, hêtres, frênes sont débités en billes de bois, grumes, rondins, bûches, stères, sciures et autres produits accidentels comme matière première pour la pâte à papier, le bois de chauffage, les madriers, la charpente, les voliges et bardeaux pour les toitures, le parquet, les meubles, les charrettes, les outils, les sabots, la poudre à canon, la flotte de guerre, les forges, les traverses de chemin de fer.
tout ce bois doit être manipulé et acheminé. un téléphérique verra le jour. son tracé est rendu possible par des tractations avec les propriétaires des parcelles traversées par la ligne du futur "câble". que de subterfuges employés pour s'attirer les sympathies et de manigances forestières!
les familles installées devront s'accommoder d'une nature morcelée en propriétés privées (panneaux rougeoyants frustrant aussi le randonneur).
ces familles qui coulent leur propre vin (qu'elles seules peuvent nommer tel quel) participent aux diverses traditions et usages, se livrant à la jonchée, s'amusant de bandas et corrida et préparant avec ardeur été comme hiver les fêtes villageoises telles que les grandes férias et la Mascarade souletine.
ces familles aux "antiques droits d'usage sur le bois" dont les pratiques seront interdites en forêt communale selon le Code forestier appliqué par l'Administration des Eaux et Forêts.
les règles sont bien établies et le sort des lots est scellé lors de séance d'adjudication, dont le déroulé est détaillé sur la vingtaine de pages du chapitre VII.
le système a établi des règles mais des ententes s'établissent en amont lors des coupes de montagne.
le système a établi des règles mais l'activité est ralentie et rendue difficile par l'hiver qui s'installe. les colères (inter)professionnelles grondent (Guerre des Demoiselles et la Grève des Abruzzesi) et l'économie parallèle bat son plein avec la contrebande de part et d'autre de la frontière franco-espagnole. le climat social politique est tendu. les Espagnols aspirent aux conja pia, les Italiens ne s'habituent pas aux conditions climatiques. le contexte économique et le secteur concurrentiel forcent les grands groupes à la diversification d'activité (menace de l'utilisation des traverses des chemins de fer en béton à la place du bois, la fermeture des forges).
l'aspect social et économique de l'exploitation forestière est abordée, l'ingénierie n'est pas en reste. le fonctionnement des mécanismes et le rôle des équipements sont expliqués (le tri-câble forestier, poulie de renvoi, câble-rail, la "grenouille", le sapic, câble-lasso), leur dangerosité est détaillée, la nature est contemplée, la Forêt racontée dans toute sa splendeur.
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