La nef — car c’est bien d’une nef qu’il s’agissait — fendait la mer en un instant d’affectueuse harmonie des éléments, cependant que le soleil s’élevait vers ce point de la voûte céleste d’ou‘ la lumière tombe de telle sorte que les ombres s’amenuisent par degrés, jusqu’à devenir très brèves et à s’anéantir enfin presque entièrement. Et tandis que les passagers — que dis-je, les Argonautes — se remettaient languissamment des premières impressions aimables de l’aventure, le timonier, ou plutôt le nautonier, comme du fond d’un gros coquillage, faisait claquer les voiles sous une tempête de fureur et querellait bruyamment ses compagnons, avec des injures et des reproches, pour leur indolence et leur muflerie, disant qu’avec de pareilles manières et une pareille inertie, le moment ne tarderait pas à venir où tout Achille et tout Jason se retrouveraient enchaînés, ou à tout le moins entraves, cependant que seuls resteraient libres les quatre vents, sous les ordres du premier Ulysse, du premier Ojeda, ou Gonzalo Jiménez de Quesada - bref du premier, deuxième ou troisième aventurier venu, tandis que les galères pirates, depuis les rives de la Phénicie jusqu'aux confins extrêmes de l'Occident, pilleraient et opprimeraient les populations des villes côtières.
L'immense ballon, franc de tous liens et gracieux, paraissait animé d'une respiration paisible et régulière - semblable à une puissante déité de légende - dans son ascension continue et lyrique à travers l'éther.
Le but de notre vie c'est d'aimer. Le but de notre vie c'est d'accepter avec générosité notre vie et ses vœux en tout temps et en tout lieu suivant les ardeurs de nos pulsions existentielles. Le but de notre vie c'est le parchemin stigmatisé de notre existence même.
(p. 53)
L'ÉDREDON DE LA FÉLICITÉ
L'écart en la plaine de Roumanie jouira d'une pleine euphorie. Un jour dans ses palais pousseront d'arborescents platanes brandissant dans leurs paumes des glaives ou des javelots incandescents. L'indolent bélier qui gîte aujourd'hui en son église cathédrale sera remplacé par une femme en copulation perpétuelle et tout autour de la rue principale les prisonniers politiques joueront le divin mystère de la résurrection d'une tête tranchée avec l'accompagnement musical d'un célesta.
(p.55)
Alors les cachalots éternuèrent, tous les cétacés se mirent le ventre en l'air et les carcasses surannées sombrèrent corps et biens pour la renaissance du bonheur pour l'accomplissement des fins dernières pour la paix pour l'occultation et pour l'exaltation de la vérité pour la prédominance des roses et de l'araignée magique en cette année de joie pour le siècle des grands déferlements de lames par-dessus les bateaux bien portants.
(p. 25)
Tantôt c'est le frémissement d'une veine tantôt l'éclat d'une bataille très meurtrière tantôt les dons du destin mais les émigrants demeurent toujours stupéfaits et frémissants.
(p. 47)
La forme première de la femme fut l'enlacement des cols de deux dinosaures. […] Les époques changent et la femme de notre époque ressemble à une fente à mèche.
(p. 17)
.. Des heures et des heures passèrent et nous cherchions encore dans l’angoisse, avant de gagner notre navire (le schooner que nous avions armé), avant d’entamer notre voyage vers l’un ou l’autre rivage, l’une ou l’autre île, que nous voulions tous dans le Pacifique (sans doute à cause de toutes ces guerres où nous avions tant souffert) et où nous désirions être accueillis, dans la magie de l’équinoxe perpétuel, par les filles du Pacifique, les enfants paradisiaques — ô Herman Melville ! — du Pacifique, les ravissantes Fayaway, espérant aussi rencontrer, non pas en chasseurs, non pas en ennemis comme Achab, mais au contraire en amis sincères et ardents, le Souffle des océans à la crête liquide, la blanche et spermatique montagne flottante (salut à toi, salut, ô Moby Dick !), la Baleine Blanche, espérant trouver la reine des plus profondes abysses et de toute surface lumineuse, la Baleine Blanche, la blanche Aphrodite née de l’écume (Salut, ô Jaillissante, salut, salut, ô Bouillonnante !), vision divine, Souffle Premier, fille de l’absolue innocence, de l’absolue liberté, de l’absolue volupté — léviathan, ô léviathan qui toi seul, jusqu’à ce jour, conserves une trace des débuts du monde, à l’aube de la préhistoire, une trace de sa force authentique, de l’union absolue à la nature, une trace de la grandeur et des rythmes géants de cette époque sans mensonges des brontosaures et des tyrannosaures....
Oktàna c’est l’union absolue de l’esprit et de la matière.
Oktàna c’est le maintien du contact jusqu’aux points les plus lointains de l’évolution avec toute source qui constitue vraiment le réservoir sacré des archétypes de la vie.
Oktàna c’est ce qui combat la mort et partout et toujours défend la vie.
Oktàna c’est la liberté véritable, et non cette ironie terrible, qui donne le nom de liberté à ce qui évolue ou stagne dans les limites étroites laissées aux humains par les lois inhumaines des froussards, des aveugles ou des imbéciles.
Toute vibration est une cigale
Toute cigale est une vibration
Qui se développe s’élève et culmine
Tandis que suent les corps et les troncs d’arbres
Et la résine déborde des godets