Olivier BARROT présente l'ouvrage d'Andréi NAKOV consacré à Kasimir MALEVITCH. La présentation est illustrée par des uvres du peintre.
Pour des raisons inhérentes à sa nature romanesque, mais avant tout pour sauver son existence menacée par le régime stalinien, dès la fin des années vingt, l'artiste entreprit lui-même l'édification mystificatrice d'une biographie qui se devait d'être socialement «utile». Ainsi, au milieu des années soixante-dix, lors des conversations avec l'auteur, sa plus jeune soeur Victoria Zajceva (1896-1984) se rappelait comment, lors d'une dernière réunion familiale qui eut lieu chez elle à Kiev à la fin des années vingt, Kazimir et son frère Mieczyslaw se mirent d'accord sur une version «idéologiquement correcte», c'est-à-dire socialement acceptable du passé familial.
Longtemps sujette à affabulations culturelles, la biographie de Malewicz a souffert d'infinies déformations. Dès le milieu des années vingt, sa mise au goût du jour n'a cessé de suivre le baromètre de la censure socioculturelle. Elle a évolué tout au long de la vie de l'artiste et de nouveau au cours des années cinquante, soixante et soixante-dix, années qui précèdent sa récente redécouverte russe... Cette dernière fit resurgir, à son tour, une floraison de stéréotypes ethnoculturels, dont l'atavisme nationaliste (russe et ukrainien) déforme parfois dangereusement la lecture de l'oeuvre.
Plonger aujourd'hui dans la vie de l'artiste nécessite encore la manipulation de nombreux filtres de lecture, la connaissance intime, et non seulement statistique, de l'histoire des minorités nationales, implantées dans le territoire de la Russie méridionale (Koursk) et de l'Ukraine, pays qui, au cours des années trente, a particulièrement souffert de la répression stalinienne.
À ce moment, marqué par une nouvelle escalade des purges «de classe» staliniennes, fut élaboré le mythe du «père-ouvrier», façade populiste qui connut d'innombrables avatars au cours des années cinquante et soixante et dont les séquelles sont encore largement répandues dans la littérature russe et occidentale.
Cette mise au goût du jour culturelle coïncide avec la reprise par Malewicz de la rédaction de son récit autobiographique, texte de nature bucolique, mais où il serait vain de chercher trop de développements véridiques consacrés au milieu social et culturel de l'artiste.
Je n'ai pas écrit une hagiographie de Vroubel, mais la biographie artistique d'un peintre. Ainsi les faits de sa vie ont été utilisés dans la mesure où ils étaient utiles pour éclairer sa création.
N. Taraboukine, Vroubel (vers 1930), Moscou, 1974.
Ne jamais oublier que, dans la vie d'un poète, l'oeuvre tient autant de place que l'événement.
A. Maurois, Olympio ou la vie de Victor Hugo, Paris, 1954