Andrew O’Hagan

Le devoir l’emporte sur le rêve.

Devant la bibliothèque publique de New-York, je vis deux papillons tournoyer autour de la tête d'un lion en pierre. Ils se posèrent sur l'arête de son nez avant de danser au-dessus des marches et de s'arrêter sur un arbuste au bord du trottoir. La femelle était brune et le mâle bleu, hormis ses chevrons orange. Je sortis la tête par la fenêtre ouverte pour les écouter. Le soir s'acheminait vers un crépuscule langoureux, mais je voyais distinctement les papillons, qui parlaient à la manière de Nabokov. "Translucide ami, je suis nauséeux de désir. J'admire vos ailes couleur de saphir et votre souffle délicat, le ballet de vos mouvements dans l'air pensif.

  -Venez, dit l'autre. Allons épier le long des haies.

  - Nous trouverons une tonnelle couverte de fleurs flamboyantes.

  - Demain. Oui.

  - Il y aura des peupliers, des pommes...

  - Un dimanche de banlieue.

  - Oui.

  - Il y a de petites maisons. Des jardins moites.

  - Allons là-bas."

   Ils s'envolèrent et le bleu croisa mon regard lorsqu'ils passèrent juste au-dessus de ma tête. "Prends soin d'elle; mon brave, dit-il.

  - Oui, répondis-je. J'essaierai."

   Sur quoi les papillons partirent en méandres au-dessus des taxis jusqu'à se fondre dans la masse argentée des immeubles. Jusque-là, tout allait bien pour ces azurés perdus dans le ciel de Manhattan.

   La dernière partie du trajet fut ennuyeuse. Marilyn jeta un œil à son roman russe, le reposa sur le siège entre nous et sortit son miroir pour remettre du rouge à lèvres et appliquer une noisette de crème autour de ses anxyeux, comme j'appelais ses yeux bleus inquiets. Alors je profitai de l'attente dans les bouchons pour réfléchir à mon palmarès des Dix Meilleurs Chiens De Tous Les Temps. La liste évolue de semaine en semaine en fonction de la qualité qui occupe le premier rang de mes pensées - la fidélité sera-t-elle la vertu de la semaine ou plutôt l'intelligence, le courage, les dons athlétiques ou, ma préférée de longue date, la bonté à l'état pur ?

Voilà ce que font les humains. Ils vous parlent. Disent des sottises. Ils vous parlent à vous et ils parlent pour vous. Et ce faisant, ils vous inventent une personnalité définie par leur façon de vous mimer. A chaque instant où ils sont avec vous, ils vous construisent selon leurs désirs, compagnon, petit homme, ami à poil qui ne peut aimer sa maîtresse qu'à cause de son langage maternant.

les gens font comme ça avec leurs animaux, ils les étreignent, ils les serrent, mais en réalité c’est eux-mêmes qu’ils étreignent.

Cela prend une éternité d’oublier le passé. Et plus longtemps encore pour percevoir qu’oublier le passé est une illusion tenace.

- Ça va peut-être changer", dit Luke. Elle le regarda et sut qu'elle le regardait avec tout l'amour qu'elle avait.
Béni soit-il, songea-t-elle, de penser que la vie est une chose qu'on résout.

Certains d'entre nous n'ont pas besoin d'être regonflés et ne veulent pas d'estime personnelle : ils veulent juste la paix et le silence le week-end et que le passé reste le passé.

Un mariage raté peut foutre en l'air une vie pour des années. On n'a pas réellement vécu tant qu'on ne s'est pas fait entuber par quelqu'un qui prétendait vous aimer. Certains ont leur compte avant leurs vingt ans. Mais la plupart d'entre nous ne se le prennent qu'à quarante ou quarante-cinq ans, l'accès de démence, le désir forcené de vous démolir. Ça vous chasse de chez vous et ça prétend que vous les avez quittés.

« Nous laissons toujours l’histoire des humains occuper le centre de la scène : c’est ce qui fait du chien l’ami idéal.

L’amour n’est pas une affaire de choix mais un état de fait devant lequel il est impossible de ne pas rendre les armes.