Andria Williams

-parfois j'ai besoin de sortir J 'aimerais pouvoir me satisfaire de ce que j'ai comme tout le monde, vous savez être heureuse là ou je suis (...)je me sens comme un bibelot dans une vitrine

- J'aurais tendance à penser que le Groenland est beau.
- Putain, non, dit Mitch. Est-ce qu'un glaçon est beau ?

Être loin de chez lui était probablement la seule occasion qui lui permettait d'apprécier sa famille.

Elle écouta la radio tout en rangeant la cuisine: les Everly Brothers, les Five Satins qui lui brisaient le coeur avec leurs chansons. Pourquoi la musique était-elle toujours si douce et les paroles si tristes ? Elle essuya le plan de travail à l'aide d'un torchon et accompagna Toni Fisher qui se languissait de son homme.
Tandis qu'elle se couchait seule, si seule, le vent souleva les rideaux au-dessus du lit. Si ses calculs étaient bons, elle était enceinte de vingt-sept semaines. Paul serait de retour dans quinze semaines. Deux nombres qu'elle se répétait la nuit, des petits repères dans son cerveau.

"Mitch et moi sommes mariés depuis longtemps, maintenant. A l'époque, personne ne parlait de l'Idaho. C'était pendant la guerre.
_ La guerre de Corée ?
_ Non répliqua Jeannie, quelque peu froissée, la Seconde Guerre mondiale.
_ La seconde Guerre mondiale ?! s'écria Estelle, comme si Jeannie venait d'évoquer un souvenir qui remontait à l'Antiquité.
_ Nous étions très jeunes.
_ J'espère que notre mariage, à Eddie et moi durera aussi longtemps que le vôtre. J'espère que nous résisterons à l'épreuve du temps."
Que Jeannie plaisante au sujet de son âge, c'était une chose; mais c'en était une autre de voir qu'Estelle semblait croire sérieusement que Jeannie avait un million d'années. Elle aurait dû paraître choquée à l'idée que Jeannie puisse être plus vieille qu'elle, ne serait-ce même que d'un jour. Apparemment, Estelle ne connaissait rien aux codes ni aux convenances.

"Je ne peux pas, dit-il en hoquetant et en moulinant des bras et des jambes. Je ne sais pas bien nager". Il avait l'impression d'être percé à jour, dans ses travers les plus humiliants, lui qui avait grandi dans un milieu si pauvre qu'il n'avait jamais appris à nager, il ne connaissait rien de ce qu'était la jeunesse oisive. Il échouait lamentablement devant elle. Il reprit son souffle. Mais il sut, à son grand désespoir, que, pour lui, la soirée était finie. Il retournerait sur la plage tout seul et prendrait une cuite mémorable en espérant, le lendemain matin, avoir oublié qu'il avait gâché ses chances auprès de cette belle et douce fille.

"Fais attention, mon chéri, lui dit-elle. Des femmes comme Nat Collier, des femmes seules car leur mari a été muté loin de chez lui, j'en ai vu des centaines. Elle est tellement adorable, et elle a un tel besoin d'affection -le cow-boy ouvrit grand les yeux-, mais à la seconde même où le mari sera de retour, elle se pâmera devant lui comme s'il était le chef de file du monde libre.
_ Madame, avec tout le respect que je vous dois, je pense que vous faites fausse route.
_ Non, mon chéri, c'est toi qui fais fausse route.
_ Madame...
_ Tu sais quoi ? Oublie ça. Laisse tomber les gouttières. Après tout pourquoi je m'en occuperais, alors que Mitch s'en fout ? Tiens, prends ça, cinq dollars.
_ C'est beaucoup trop Madame...
_ Pour vous autres, ce n'est pas du luxe. J'ai presque envie de pleurer chaque fois que je vous vois tous autant que vous êtes."

C'était agréable d'être remarqués, comme Paul l'avait imaginé. Ils n'étaient que de passage, jeunes, en permission, fascinants dans leur insouciante masculinité. Nous n'étions plus en temps de guerre, il n'y avait plus cette urgence qui, fut un temps, faisait succomber les femmes; maintenant flirter avec des soldats était un jeu, sans que l'on sache qui serait le gagnant, et c'était donc plus excitant. Les filles pouvaient s'amuser un peu avec eux.

Quand ils ont construit ce réacteur, expliqua Franks, les ingénieurs ont oublié de mettre du bore à l'intérieur du coeur et ils se sont donc rattrapés à l'extérieur. Ils ont dû penser que ça ferait l'affaire mais ce n'est pas le cas.
Soulever les barres de contrôle jusqu'en haut n'a fait qu'aggraver l'usure. Et donc, pour éviter que le réacteur ne chauffe trop en permanence, Harbaugh et Richards ont décidé qu'il n'y aurait plus d'inspection jusqu'à ce que nous recevions un nouveau coeur pour le réacteur.
_ Et ils peuvent prendre une telle décision ?
_ J'imagine qu'ils ont expliqué le problème aux ingénieurs et que les ingénieurs étaient d'accord.
_ Mais pourquoi ?
_ Tu sais très bien pourquoi. Parce que ces têtes d'oeuf ont honte d'avoir merdé.

Que Jeannie plaisante au sujet de son âge, c’était une chose, mais c’en était une autre de voir qu’Estelle semblait croire sérieusement que Jeannie avait un million d’années.

Je me sens comme un bibelot dans une vitrine, vous comprenez ? Comme si je restais là, sans bouger, en attendant que quelque chose m’arrive. Comme si je n’avais pas pris l’air depuis des années.

Sois sage, Nat. C’est ainsi que sa mère mettait fin à leurs échanges depuis des temps immémoriaux. Nat avait toujours pensé qu’elle était sage – ou, tout au moins, assez sage ; il lui revint en mémoire une période floue où tout le monde disait qu’elle était sage, l’époque où elle était une enfant choyée, adorée, soulevée dans les airs par son père, ou restant patiemment assise, tandis que sa mère la coiffait à l’aide du fer à friser. Ses frères, de douze et treize ans plus vieux qu’elle, fringants, la peau gorgée de soleil, les muscles dessinés, l’appelaient Princesse, et, devant leurs petites amies, lui réclamaient des baisers, comme si l’affection toute féminine que leur accordait Nat était le gage qu’ils mériteraient plus tard l’admiration des femmes. Mais quand Nat eut onze ou douze ans, elle sentit un changement d’attitude de la part de ses parents à son égard ; ils semblaient la considérer avec suspicion. Avaient-ils toujours été sur leurs gardes, ou bien la regardaient-ils vraiment comme une nouvelle personne, une pâle copie, peu digne de confiance, de leur innocente petite fille qui avait mystérieusement disparu ?