Extrait de "L'homme qui savait la langue des serpents" d'Andrus Kivirähk lu par Emmanuel Dekoninck.
Editions Audiolib. Parution le 3 juillet 2019.
Pour en savoir plus : https://www.audiolib.fr/livre-audio/lhomme-qui-savait-la-langue-des-serpents-9782367629377
Le monde va à vau-l'eau, et même la source a un goût amer.
Il se contenant de hausser les épaules.
"Il y en a qui croient aux génies et fréquentent les bois sacrés, et puis d'autres qui croient en Jésus et qui vont à l'église. C'est juste une question de mode. Il n'y a rien d'utile à tirer de tous ces dieux, c'est comme des broches et des perles, c'est pour faire joli. Rien que des breloques pour s'accrocher au cou pour faire joujou."
"S'il n'y avait que cela......Vous trompez le monde! Les gens viennent vous regarder et ils découvrent que le monde n'est pas du tout comme ils l'avaient imaginé jusqu'alors, que l'amour peut-être plus fort que la mort -ridicule! -, que les méchants sont toujours punis, et je ne sais quoi d'autre ! De quel droit vos payez-vous ainsi la tête de ces malheureux? Ils ont leur vie toute tracée, ils naissent, travaillent, font des enfants, meurent, sans autre issue à espérer, pas comme Othello, ce type qui n'existe même pas, et qui se fiche un coup de poignard soir après soir, comme si mourir était aussi banal que boire une tasse de café et pouvait se répéter à loisir, pour peu que l'envie vous en prenne. Eux, votre public, ils ne peuvent pas se permettre une chose pareille. Ils perdent à tous les coups.....ils n'ont aucune chance.Pouquoi les tromper ainsi?
-Nous leur donnons de l'espoir , répondis-je." p.129
… j’ai grandi dans une maison tellement envahie de principes qu’il ne me restait plus de place pour respirer. Je hais les principes. Je veux être heureuse. (p.304)
Ce sont de vieilles légendes, les gens ne les ont inventées que parce qu’ils ont besoin de trouver des solutions simples à tous les problèmes compliqués : nul ne veut connaître ses limites.

Tout cela, c’est Oncle Vootele qui me l’a raconté. Moi, mon père, je ne m’en souviens plus. Et maman n’aimait pas parler de lui : à chaque fois, elle se raidissait et elle changeait de sujet. Je crois que jusqu’au bout elle s’est tenue pour responsable de sa mort, et peut-être bien qu’elle avait raison. Elle s’ennuyait au village, vu qu’elle ne s’intéressait pas aux travaux des champs ; pendant que son mari allait labourer, tout faraud, elle traînait dans les bonnes vieilles forêts qu’elle connaissait bien, et c’est ainsi qu’elle fit la connaissance d’un ours. La suite est claire comme de l’eau de roche, c’est d’une telle banalité. Bien peu de femmes leur résistent, ils sont si grands, si tendres, si gauches, si velus. Et puis ce sont des séducteurs nés, les femmes les attirent à ce point qu’ils ne perdent jamais une occasion de s’approcher de l’une d’entre elles pour leur grogner quelque chose à l’oreille. Dans le temps, lorsque notre peuple vivait encore en majorité dans la forêt, il y avait sans arrêt des histoires de femmes qui s’acoquinaient avec des plantigrades, jusqu’à ce que le mari tombe sur les amoureux et chasse le grand brun.
Bref, le galant se mit à nous rendre visite, toujours à l’heure où mon père était aux champs. C’était une créature fort amicale – Salme, qui a cinq ans de plus que moi, se souvient de lui et m’a raconté qu’il lui apportait toujours du miel. Comme tous ses congénères en ce temps-là, il parlait un petit peu, car ce sont les moins bêtes des animaux, à part les serpents bien entendu, qui sont nos frères. Les ours, bien sûr, ils ne disaient pas grand-chose, et ce qu’ils disaient n’était pas particulièrement intelligent – mais un amoureux a-t-il besoin d’être brillant ? Et pour les choses de tous les jours, cela suffisait largement.
Après moi, elle disparaîtrait, car ce dont nul ne sait rien, ce que nul n'a vu, n'existe plus vraiment.
Toutes les âmes n'avaient pas une ferme où les attendait, ni une étuve bien chaude où l'on avait placé pour elles un bon repas et les meilleures fascinés de bouleau. Il y avait des âmes solitaires et sans famille, dont les maisons avaient brûlé et dont tous les parents étaient morts. Elles erraient tristement entre les maisons étrangères ou se morfondaient avec leur famille sous le rebord d'un toit, serrées comme des vers. Certaines allaient chercher refuge et compagnie dans une étable, et l'on entendait ici et là le mugissement effrayé des vaches lorsque les morts les trayaient avec leurs doigts froids.

-Est-ce que ces braillements vont se terminer un jour ? On aura jamais la paix, il passe son temps à ouvrir tout grand la gueule et à hurler comme un loup !
-Cher vieux voisin, répondit le moine paisiblement, ce genre de musique est aujourd'hui fort en vogue dans la jeunesse. Tu es âgé, tu as d'autres goûts, mais tu devrais comprendre que le temps va de l'avant et que ce qui ne te plaît pas peut procurer du plaisir à la jeune génération qui prend exemple sur Jésus-Christ.
-C'est ce type qui t'a appris à chanter comme ça ? cria le petit homme trapu.
-Bien sûr que c'est le Christ. C'est l'idole des jeunes. De telles mélodies sont celles qu'entonnent les anges au paradis et les cardinaux en la sainte ville de Rome. Pourquoi devrai-je m'abstenir de les chanter si tout le monde chrétien les entonne ?
-Chez moi, c'est pas le monde chrétien, coupa le Sage des Vents. Pardonne-nous de t'avoir déranger, tu devais être en train de faire la sieste.
-Bien sûr que je faisais la sieste ! Et juste au moment où je dormais le mieux, voilà ta charogne de fils que se met à pleurnicher comme si la merde était venue lui boucher le trou du cul !
Tandis que sur les champs de bataille, les soldats tombaient, déchiquetés par les bombes, chez nous Arbénine empoisonnait Nina avec une créme glacée, et le public voyait que la mort peut aussi être belle. Et quand à la fin du spectacle, Nina venait saluer devant le rideau, il comprenait qu'elle n'est pas définitive-qu'elle peut être aussi un simple jeu. p. 75