La chanteuse Angélique Kidjo a choisi la voix de l'engagement. Education des enfants, droits des femmes, lutte contre l'esclavage... elle nous parle de ses combats dans "Je chemine avec Angélique Kidjo" (Seuil, 08/04/2021).
"Le changement ne vient pas forcément de millions de personnes, mais de l'engagement et de la sincérité de chacun."
"C'est dans ces moments que l'on se rend compte de la magie de la musique. Tout le monde adore cet album : il y a une alchimie entre ces musiciens qui ne parlent pas la même langue, mais communiquent juste avec la musique. La musique force à parler."
"Pour moi, l'être humain est comme la pâte à modeler : il se transforme tout le temps. Les événements arrivent, la nature change, on change avec, on n'a pas le choix, on s'adapte."
D’une certaine manière ce qu’on appelle musique traditionnelle n’est pas figé, dans la mesure où elle évolue au cours du temps, s’adaptant à son époque et s’enrichissant au fil des années. Si elle ne s’était pas modernisée de la sorte, elle aurait tout simplement disparu. J’ai toujours un problème avec les gens qui se considèrent comme des puristes de la musique africaine, et me parlent de la musique traditionnelle sans être le moins du monde conscients de son évolution. Ils ont l’image idéalisée d’un art figé dans le temps, fossilisé, qui doit être préservé comme une pièce de musée. C’est une façon de voir les choses plutôt rigide et sectaire, comme si l’Afrique était une entité exotique qui ne pouvait ou ne devait pas évoluer. Il s’agit d’un fantasme occidental ; d’une croyance en une terre primitive imaginaire qui n’aurait pas changé depuis que l’Homo Sapiens a quitté l’Afrique.
Trop souvent, les gens dépeignent mon continent sous un jour négatif, ne l’évoquant que pour dénombrer ses multiples problèmes. À les entendre, il s’agirait d’un autre monde, d’un endroit affreux. Ils oublient que nous sommes tous africains, que nous faisons tous partie de la mémoire commune de l’humanité.
Les femmes m'ont vu arriver, elles ont senti que je n'étais pas dans mon état normal, et elles ont commencé à chanter. Mes larmes ont séché, j'ai chanté et dansé avec elles. Mon mari a pris son téléphone et il a filmé ce moment musical magique. C'était le début d'Eve : il fallait montrer au monde qui sont les femmes africaines. Arrêter de ne mettre en avant que les violences et la pauvreté. (...) Elles avaient cette fierté, cette force, cette beauté, qui dépassent tout et que je voulais célébrer dans mon album ! Pour moi, c'est toujours un rappel de ce que j'ai connu enfant. J'ai vu les luttes de ma mère pour élever dix enfants avec un unique salaire. Nos mères sont des magiciennes.
-Comment ça se fait que tu sois si bien éduquée et si éloquente alors que tu viens d’Afrique ? Quand je lui ai demandé ce qu’il voulait dire par là, il m’a expliqué qu’à l’école, on lui montrait des livres d’histoires où les Africains étaient présentés comme des sauvages, avec des photos où on les voyait avec un os dans le nez. Cela, lui avait-on enseigné, était l’Afrique.
Au fil de notre conversation, il a pris conscience que sa génération avait été dupée. Justifier l’esclavage en dénigrant les Africains – Vous voyez, on vous a sauvés : sans nous, vous seriez comme ces sauvages – est doublement ignoble.
La plupart du temps, les médias sous-estiment l’Afrique, sa beauté et sa richesse culturelle et historique. Des raisons politiques et économiques sont avancées pour justifier cette présentation critique de mon continent, comme s’il était à la traîne du reste du monde. Ce regard sur l’Afrique trouve son origine aux temps sombres de la traite des Noirs et de la colonisation, lorsque l’égalité des être humains et de leur contribution à l’humanité était ignorée ou niée. À partir du moment où on a compris ça, on doit s’interroger sur ce qu’on fait pour changer les choses.
Si tu méprises le peuple qui t’as élu, tu n’as rien à faire au pouvoir.
Pour que la vie des Africains changent vraiment, il faut qu’ils soient eux-mêmes impliqués dans ce changement. Ce n’est peut-être pas si difficile à faire mais il faut une vraie relation humaine et personnelle. Si vous apprenez à vous connaître mutuellement, si grâce à la musique et les arts vous commencez à connaître la culture de celui que vous voulez aider ou de celui qui vous aide, alors seulement, l’heure du vrai changement pourra sonner.