Aussi, comment pourrais-je écrire sur le mode doctrinal un traité bien léché, parfaitement exhaustif, en étouffant mon inquiétude, le vif-argent de mes sentiments dans la raideur mortuaire des méthodes et sous la laine des pédantes et minutieuses analyses? Je veux, au contraire, tisser un livre selon mon caprice: un conglomérat d'émerveillements, d'anecdotes, de qualités excentriques, de brefs rajouts et de folles rallonges : et je serais heureux si, à la différence de toute la canaille qui imprime, je n'étais pas gouverné par la médiocrité.
Aujourd'hui encore, toutes les nuits, à cinq heures, Franz Kafka rentre chez lui rue Celetna (Zeltnergasse) coiffé d'un chapeau melon et vêtu de noir. Aujourd'hui encore, toutes les nuits, Jaroslav Hasek proclame dans une taverne à ses compagnons de bouteille que le radicalisme est nuisible et que seule l'obéissance permet d'atteindre le vrai progrès. Prague vit encore sous le signe de ces deux écrivains qui, mieux que quiconque, ont exprimé son inéluctable condamnation, et par conséquent son malaise, sa mauvaise humeur, les expédients de sa ruse, ses mensonges, son ironie carcérale.
"Je ne veux améliorer personne. Ni les insectes ni l'homme. Je me contente de regarder". (citation de Josef Capek, Scènes de la vie des insectes).
... sournoisement elle s'insinue dans l'âme, usant de charmes et de secrets dont elle seule a la clé. Prague ne lâche aucun de ceux qu'elle a capturés.
Les voyageurs étrangers ont toujours été frappés par le délabrement de cette ville sans joie, éternellement maussade, par sa passivité désolée et désarmante qui vous prend à la gorge, par sa majesté solitaire de souveraine déposée, et en même temps par la pâleur intense, la résignation profonde de ses passants engouffrés dans l'étranglement des rues où flotte la déliquescente présence des gloires anciennes.
Maintenant que j'en suis loin, pour toujours peut-être, je me demande si Prague existe ailleurs que dans mon imagination.