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Nuits de cartons de Anick Roschi
Lelitteraire.com : Anick Roschi : la poésie sans fard L’être n’existe que par l’autre : encore faut-il à celui-là — comme à la poésie — la puissance de sortir du narcissisme qui n’est qu’une indifférence affective. Anick Roschi le prouve dans les « Clandestines » qui habitent la saga d’une des tragédies de notre époque et d’un monde schizophrénique : abondance d’un côté, misère de l’autre. Le poète (son nom pourrait être trompeur) nous confronte à tous ces émigrés qui fuyant la misère ou la guerre tentent de rejoindre les côtes italiennes, grecques ou espagnoles. Tout finit parfois par « de funestes / Rendez-vous ». En effet « Dans le repli / D’une vague argentée / De jeunes corps / S’échouent » avant d’avoir atteint ce qui pour eux auraient eu — du moins le rêvaient-ils ainsi — valeur de Graal. D’une misère ils sont passés directement à la mort sous le joug de prétendus passeurs d’écumes qui les ont livrés aux abysses de la mer. Le texte du poète franco-suisse est fidèle à son propos : fractal et sans la moindre fioriture afin que s’entende le cri des disparus. Il ramène l’humanité entière à sa plus terrible condition – mélange d’indifférence et d’égoïsme. La victime est donc ce semblable, ce frère qui « né quelque part » n’a pas eu la chance de voir le jour du bon côté de la Méditerranée. Cet autre au moment de trouver comme linceul la « vague argentée » est évoqué sans pathos. Roschi ne larmoie pas : reprenant une veine chère à Aimé Césaire, il évoque sans laïus humaniste de bonne conscience et sans la moindre illusion les « Déferlantes esclaves »- lâchées aux mains de sbires et de « rois maudits » que nous avons sacrés. Elles sont les victimes des Etats où l’argent des potentats compte plus que leurs citoyens. Mais ce monde de l’ignoble est aussi le nôtre : il est sans frontière et atemporel. Et les victimes seront — au mieux — des images pour les chaînes d’information. Anick Roschi rappelle simplement comment non seulement les « rois » mais les « Dieux », du moins ceux qui agitent leurs marionnettes, font le jeu de la catastrophe humaine. Rappelant toutes les victimes du monde : aux émigrés font échos les « Hagards » de la « Terre murée / Isolée /Niée / Encore abandonnée » de la Palestine. Toutefois, le poète à l’intelligence de ne jamais tomber dans le manichéisme qui partagerait très simplement le bien et le mal, les bons et des méchants. C’est là la grande force du livre : il témoigne des voyages sans arrivée. jean-paul gavard-perret http://www.lelitteraire.com/?p=15677 + Lire la suite |