Anita Desai : La claire lumière du jour
Olivier BARROT présente le livre d'
Anita DESAI : "La claire lumière du jour": un
roman sur l'Inde avec peu d'
action : l'épouse d'un diplomate revient dans sa maison en Inde ; mais sa "maison" est aussi l'Inde tout entière, "veuve" du Pakistan après la partition de 1953.
Mais l'instinct de détruire vient si naturellement, c'était cela qui était terrible.
Dressant sa petite tête rasée sur son cou mince et fragile, Rêka considéra les abricotiers, la véranda, Carignano. Elle écouta le vent siffler dans les pins et les cigales striduler inlassablement au soleil (...)se dit que c'était la première fois qu'elle entendait le bruit du silence. (p. 66)
Elle qui n'avait plus envie que de silence, il lui faudrait de nouveau parler, poser des questions, veiller au confort et à l'organisation de la vie d'un autre, rendre des comptes et en demander. (p. 36)

«Old Delhi ne change pas, mais il sombre dans la décadence. Mes étudiantes me disent que c'est un immense cimetière, que chaque maison est une tombe, qu'il n'y a plus que des tombeaux endormis. D'après elles, New Delhi est différent. C'est là que les choses se passent. À la façon dont elles en parlent, on a l'impression que c'est un nid de puces, un endroit où tout l émonde s'agite. Je n'y vais jamais. Baba non plus. Et ici, c'est le calme plat. S'il s'est jamais passé quelque chose, c'était il y a longtemps - du temps des Tughlaks, des Khiljis, du Sultanat, des Mogols - tous ces gens-là...»
Elle faisait claquer ses doigts au rythme de ses paroles.
«Et puis les Anglais ont construits New Delhi et y ont tout déménagé. On nous a laissé ici flotter sur des eaux stagnantes, nous sommes devenus de plus en plus ternes et incolores. Ceux qui ne sont ni ternes ni incolores s'en vont à New Delhi, en Angleterre, au Canada, au Moyen-Orient. Et ils ne reviennent pas.»
Rien n'aurait manqué à son bonheur si sa femme lui avait fait des confitures d'abricots. Mais elle ne voulait pas : elle le haïssait bien trop pour lui faire des confitures. (p. 17)
«Je pense que sur un plan ou un autre, c'est ce que nous faisons tous, dit-il enfin. Les individus, les pays. Si nous pensons à nos péchés, c'est un lourd fardeau que nous portons.» Il se gratta la tête. «C'est pour ça qu'ici les gens vont si volontiers à l'église - chaque jour, plusieurs fois par jour même, quand ils passent devant. Ils entrent, font le signe de croix, comme ça, disent une petit prière, allument un cierge et ressortent - pardonnés, prêts à se remettre en route.
- Et ceux d'entre nous qui ne sont pas croyants?»
André haussa les épaules. «Il faut peut-être que nous nous pardonnions à nous-mêmes.»

Plissant les yeux, Nanda Kaul prit connaissance des détails du voyage de son arrière-petite-fille. Puis elle replia les feuillets bleus et les glissa avec fermeté dans l’enveloppe, comme pour réprimer l’emballement de sa fille et sa fièvre de projets. Reposant la lettre sur ses genoux, elle leva les yeux et regarda les abricotiers, le chemin qui descendait vers l’entrée, les hortensias floconneux, les pins dans lesquels le vent sifflait en éparpillant les branches, et les toits rouges de Lawrence School sur les hauteurs verdoyantes de Sanawar. Animé d’un mouvement involontaire, un de ses doigts effilés explorait, tel un insecte, la lettre posée sur son giron tandis qu’elle luttait pour réprimer la colère, le dépit et le dégoût total que lui inspiraient les manigances et l’effronterie de sa fille, la faiblesse abjecte de sa petite-fille et l’arrivée imminente de son arrière-petite-fille à Carignano.
Elle s’efforça de chasser ces pensées en se concentrant sur le paysage familier au calme inaltérable. Elle tenta de retrouver le plaisir et le sentiment de plénitude qu’elle avait eus avant l’arrivée de la lettre. Mais elle était trop contrariée à présent.
Elle ne souhaitait qu’une chose : être seule chez elle, à une époque de sa vie où elle ne désirait plus que silence et repos.
Etre un arbre-ni plus ni moins : c'était bien la seule chose qu'elle acceptait encore d'entreprendre. (p.12)
Tout en marchant, Nanda Kaul se creusait la tête pour trouver un sujet de conversation susceptible d'intéresser l'enfant : au point qu'elle se surprit à serrer les poings derrière son dos. Il ne fallait pas que l'ennui ou la gêne fassent fuir la petite. Sans bien savoir pourquoi, elle ne pouvait supporter qu'elle s'en aille. On aurait dit que son indifférence agissait sur elle comme un stimulant, un défi. Réka était le poisson d'or, la proie merveilleuse et insaisissable. (p. 152-153)
Il croyait que les scientifiques étaient des gens fascinants : après tout, ils connaissaient mieux que personne l'être humain et le phénomène de la vie.