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Critiques de Anna Janko (9)
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Une si petite extermination





Je tiens tout d'abord à remercier Denis Guastella des Éditions Noir sur Blanc, ainsi que Babelio, pour l'aimable envoi de cet ouvrage.



Le titre en Français de l'original polonais est une traduction fidèle : "mała" petite et "zagłada" extermination. Un titre qui fait froncer les sourcils, car une extermination ne constitue jamais une "petite" affaire ! Tout est relatif bien sûr. Avant d'entamer proprement la lecture, j'ai tout de même jeté un coup d'oeil sur la bibliographie en fin de volume et j'ai été rassuré, d'y découvrir, à côté d'auteurs polonais inconnus chez nous, des noms familiers comme Svetlana Alexievitch, Timothy Snyder, Daniel Jonah Goldhagen et Christopher Hale.



À l'aube du 1er juin 1943, les troupes allemandes envahissent le paisible petit village de Sochy en Pologne de l'Est, à 80 km au sud de Lublin et 230 km au sud-est de Varsovie. Un village rural, qui en 2017, ne compte même pas 400 habitants.



La mère de l'auteure, Teresa, surnommée Renia, a 9 ans et flanquée de son petit frère, Jaś, 5 ans, voit la peste brune tuer sa mère Józia et son père Wladek Ferenc, l'épicier du bled. La bambine Kropka de 3 ans, que sa mère portait dans ses bras, a la vie sauvée parce qu'un Boche, un peu moins cruel que les autres, a détourné le fusil de son compagnon, qui s'apprêtait à achever la môme. Suit une scène épouvantable où l'on voit la pauvre Renia tenant à chaque main frère et soeur quitter le hameau en passant devant le corps inerte de leur père, 33 ans.



Aujourd'hui on peut visiter le cimetière de Sochy où les quelque 200 victimes de ce jour fatidique ont été enterrées.

Anna Janko donne une description précise de ce qui est arrivé aux voisins des Ferenc, parmi lesquels beaucoup de leur famille, presque maison par maison des 88 qu'en comptait Sochy à l'époque.



Maintenant, je comprends un peu mieux le titre de l'ouvrage "Une si petite extermination". Les troupes nazies se sont, en fait, "contentées" d'une simple opération militaire : évacuer le village pour faire de la place aux futurs émigrés Chleuhs. Sans qu'il y ait eu des viols ou tortures et en un temps-record, après quoi ils ont mis le feu aux petites maisons au toit de chaume, trop minables pour "das Herrenvolk" ou la race supérieure !



L'auteure, Anna Janko, ensemble avec sa mère Renia et des témoignages recueillis lors d'une visite à cet endroit d'horreur en 1998, reconstruit quasiment comme dans un scénario de film ces abominables événements, qui remontent à trois quarts de siècle. Son récit est très émouvant, écrit dans un style sans fioritures, ce qui produit un effet d'effroi sur le lecteur. J'ai mis la couverture de l'édition originale sur Babelio, qui nous montre une photo de Renia et Jaś, prise à peine 3 mois après la "pacification" de Sochy et qui illustre avec d'autres photos cet ouvrage.

En post-scriptum, l'auteure fait un inventaire du massacre.



Anna Janko est née en Silésie en 1957 et est l'auteure de nombreuses oeuvres, parmi lesquelles il convient de citer "La fille aux allumettes" et "La passion selon sainte Hanka", romans parus chez les Éditions Noir sur Blanc.

Elle a écrit également beaucoup de poèmes et de critiques littéraires. Elle est, en outre, active sur la radio polonaise.



La montre que l'on voit sur la couverture de la version française de l'ouvrage, traduit par Agnès Wisniewski, constitue le seul objet qui leur reste de leurs aïeux. "Symbole du temps qui leur a été ravi...." (page 209).



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Une si petite extermination

Moi aussi, je dois « aller dans un centre commercial pour m’acheter une couverture légère, douillette, oui, il me la faut cette couverture, mes pieds sont glacés lorsque je lis toutes ces choses sur mon canapé. Et peut être aussi un pull. J’ai étrangement froid quand je fais toutes ces lectures… »



Une si petite extermination.

Une si dévastatrice commotion pour Ania (Anna Janko) après le calvaire de Renia, sa mère pour qui la vie a marqué le pas à ses 9 ans.

Sinistres et sanglants « pas de l’oie » martelés dans les basses-cours des fermes polonaises du village de Sochy en 1942.

Tant de souffrances, de supplices, de calvaires endurés par les polonais écrasés par l’Allemagne nazi d’un côté et la Russie de Staline de l’autre. C’est à peine concevable.



Pas de fioriture. Juste du vécu avec les mots appropriés. Juste les faits du mal qui rongent les têtes et les cœurs et qui enlèvent les enluminures aux belles phrases.

Un récit sans concession. Émouvant, touchant, glaçant.

Les formules tellement fortes aspirent votre réflexion, ainsi s’efface l’environnement où ne subsiste alors qu’un halo cotonneux autour de votre tête pleine d’horreur.



Ania écrit un livre d’archives pétri d’inhumanité à la rédaction en noir et blanc, comme à la télé dans les documentaires chiffonnés de cadavres et de décombres. La couleur revient par flash quand le présent d’Ania vient adoucir à peine ce récit vraiment sombre.



« …Puisque j’ai décidé d’enfiler les mots pour les faire passer par les sépultures de mes ancêtres, je le dois et je ne fais plus ma délicate…Il est important pour toi au moment où tu commences à oublier, mais aussi pour mes enfants au cas où ils me poseraient des questions. »



Ce livre est un exutoire, un passage obligé dans la reconstruction d’Ania pour s’éloigner de cette mère dont elle a été la mère, la sœur, si peu la fille.

Pour accepter sa condition, pour ne plus vivre dans ce passé dévastateur.

C’est un livre d’horreur à digérer pour avancer, intime, profond.

Pour endiguer la barbarie, pour essayer de comprendre, Ania nous entraîne dans une approche psychologique de la peur, de la mort. Ils parlent de « vide », de l’addiction de donner la mort…Plus que le franc-parler, le franc-écrit laisse pantois, démuni devant tant de haine.



Ce recueil est un cercueil universel. Ania nous rappelle que la machine à exterminer n’a épargné aucun pays, aucune ethnie. D’Hiroshima à l’Arménie, des cambodgiens aux hutus, en passant par la minuscule Sochy où la cruauté a figé à jamais la vie de Renia.

« Ainsi ton histoire, maman, s’est faufilée dans la doublure de ma vie depuis le tout début et je l’ai toujours ressentie comme un petit couteau piquant dans ma poche intérieure. »



Un livre qu’elle n’aurait jamais du avoir à écrire mais qui lui a été impossible de ne pas rédiger. « Dans un certain sens, les allemands sont les coauteurs de mon destin, ils ont donné une direction et une forme à ma vie en arrachant mes ancêtres à leur orbite. »



Parce qu’il faut que vous sachiez, impensable de passer à côté.

Une si petite extermination, une si forte détermination.



(Merci infiniment aux éditions « Noir sur Blanc » et à Babelio de cet envoi)

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Une si petite extermination

Il est rare de lire un livre qui porte une charge de souffrance et d'horreur aussi puissante. Il n'a jamais été question que j'abandonne sa lecture, par respect envers l'auteure, mais m'accrocher n'a vraiment pas été facile. Pourtant, l'auteure n'a pas vécu elle-même l'horreur qu'elle raconte dans les détails : c'est sa mère qui y a été confrontée, à l'âge de neuf ans. C'est sa mère qui, petite fille, a assisté au massacre de son village, de ses parents, sous ses yeux, et en a réchappé avec ses jeunes frère et sœur, mais dans quelles conditions... Cet indicible auquel a été confrontée sa mère a tellement marqué l'enfance de sa fille que cette dernière a éprouvé le besoin de la décrire tout au long de très longues pages qui n'épargnent aucun détail sordide, que lui ont relatés les survivants qu'elle a sollicités.



Les scènes qu'elle rapporte ont abîmé sa mère, l'ont abîmée elle aussi, et abîment toute personne qui lit ces pages. Pourtant, je ne regrette pas de les avoir lues. Elles témoignent d'une sidération, d'une paralysie, qui ont figé la pensée de nombreuses personnes et ont produit une sorte d'arrêt du cours du temps dans leur psychisme. Mais elles témoignent aussi d'un effort de recherche des mots qui pourraient permettre de surmonter quand même. Dire l'indicible, c'est exactement le paradoxe, l'impossible autour duquel le livre tourne ; si les pages reviennent encore et toujours sur le même massacre, sur la même date du 1er juin 1943 à Sochy, l'Oradour-sur-Glane polonais, c'est parce qu'au fur et à mesure que les mots sont couchés sur le papier, l'auteure arrive à en trouver d'autres qui donnent lentement son sens à son entreprise.



Alors quels sont ces mots ? Pourquoi a-t-elle écrit cela ? Pour qui ?



Pour elle, d'abord. Parce que son enfance a été envahie par l'histoire de sa mère, sans que celle-ci ne la lui raconte... justement parce qu'elle ne la lui racontait pas, mais redevenait trop souvent une petite fille de neuf ans terrorisée.



Pour sa mère, donc. Pour lui dire qu'elle pouvait lâcher prise maintenant que ses souvenirs étaient consignés dans un livre et ne disparaîtraient pas avec elle. De nombreux passages sont écrits à la deuxième personne car ils s'adressent directement à cette mère.



Pour ses descendants, aussi. Parce que ses enfants ne veulent pas de cette histoire, dit-elle : elle les encombre. Mais nous savons bien qu'en matière de traumatismes, c'est la double peine qui prévaut : une génération est traumatisée et n'a pas de mots pour le dire, la génération suivante grandit sans mots mais en sachant qu'il y a eu un traumatisme, et la troisième génération grandit à la fois sans mots et sans certitude, mais sur un arrière-plan de souffrance sans nom, si bien qu'elle peut sombrer dans les dépressions ou les folies les plus incompréhensibles (en apparence). Alors cette génération doit savoir...



Et enfin, pour nous tous. Pourtant, si j'ai accepté la lecture de ce livre dans le cadre d'une masse critique individuelle de Babelio (que je remercie au passage, ainsi que les éditions Noir sur blanc), c'était parce que je pensais que ce serait cet impact sur la troisième génération que le livre explorerait, et non pas la brutalité sans filtre du traumatisme originel. Mais je ne regrette rien. Oui, il faut que de tels livres existent et que nous y soyons confrontés, car sinon, il est simple d'oublier que l'im-pensable et l'in-nommable peuvent pourtant exister et dévaster des vies à l'infini. Je n'ose rien écrire de plus. Il y a des mots qui brûlent... ne passez pas votre chemin. Lisez-les dans ce livre.
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Une si petite extermination

Je tiens à remercier Denis Guastella des éditions Noir sur Blanc et Babelio pour cette opération "Masse Critique exceptionnelle".

" Une si petite extermination " est un titre bien paradoxal tant le récit d' Anna Janko y est emplit d'horreurs et de souffrances ! Publié en cette année 2018, l'auteure a réalisé un travail de reconstitution mémorielle, en devenant la narratrice du film de la vie de sa mère, Rénia, alors âgée de neuf ans...

Anna Janko (1957) est écrivaine, poétesse, chroniqueuse et critique littéraire. Finaliste de nombreux prix littéraires, dont le prix Niké et le prix Angelus, pour ses deux précédents romans (La Fille aux allumettes et La Passion selon sainte Hanka), elle collabore à plusieurs journaux et émissions de radio en Pologne.

p. 15 : " Je me souviens de ce jour ; tes cauchemars ont coulé dans mes veines alors que j'étais lovée dans ton ventre, reliée à toi par le cordon ombilical. Ils hantaient constamment ton sommeil, seul moyen pour toi d'évacuer ce trop-plein d'horreurs : le sang répandu, le crépitement des flammes, les cris humains absorbés par les yeux et les oreilles de la petite fille de neuf ans que tu étais et qui prenait part à l'apocalypse. "

Car oui, il s'agit bien d'apocalypse ! En ce 1er juin 1943, à Sochy en Pologne,  les Allemands  ont incendié le village, tuant deux cents personnes, dont les parents de Rénia, sous ses yeux. Elle se souvient encore des paroles de sa propre mère juste avant le drame...

p. 25 : " Réveille-toi, Rénia, habille les enfants. Il faut sortir, les Allemands sont dans le village. Ils brûlent les maisons, ils attrapent les gens. "

De ce traumatisme de la barbarie nazie, naîtra un malaise permanent chez Renia, transmis inconsciemment à sa fille - la narratrice - Anna, comme pour tant d'autres victimes...

Les photographies personnelles qui ponctuent le récit sont autant de visages sur des noms, une manière pour le lecteur de s'imprégner émotionnellement.

p. 52 : " Tous ces prénoms sont de vrais prénoms. Tous ces enfants sont de vrais enfants. "

Et même lorsque la narratrice tente, non pas d'excuser, mais d'expliquer que ces hommes n'ont fait que se soumettre à des ordres, il n'en reste pas moins que des faits. Inqualifiables.

p. 54 : " Lorsque l'auteur du crime s'en va, libre, le cycle ne se referme pas et la victime ne se libère pas de la souffrance. Voilà comment fonctionne le mécanisme selon les psychologues. "

En effet, les documents attestent que dès les années 1930, bolcheviks et hitlériens ne cessent d'améliorer leurs techniques de mise à mort. Aussi terrifiantes qu'inhumaines, la liste des atrocités commises est inimaginable. Déjà insoutenable pour le lecteur.

p. 45 : " Hitler avait ordonné aux soldats de bannir la pitié de leurs cœurs et d'agir avec brutalité. "

Un passif héréditaire lourd de souffrances et dont Anna Janko tente de soulager sa propre mère. En mettant des mots sur ces douloureux souvenirs, elle s'imprègne de son histoire personnelle.

p. 168 : " Ainsi ton histoire, maman, s'est faufilée dans la doublure de ma vie depuis le tout début et je l'ai toujours ressentie comme un petit couteau piquant dans ma poche intérieure. "

Aussi poétique soit l'écriture, la lecture de ce récit n'en reste pas moins difficile.

p. 86 : " Une berceuse ne chante pas à rebours. "

Je ne pense pas que je serais allée de moi-même vers ce livre s'il ne m'avait pas été proposé via l'opération "masse critique" de Babelio. Aujourd'hui, même si ce récit m'a profondément marqué, je ne le regrette pas, loin de là. Il m'a fallu du temps pour le lire, et pour digérer chaque mot, chaque phrase. Ce témoignage est puissant, et il est de notre devoir non seulement de le lire, mais aussi de le transmettre à notre tour... peut-être pour que plus jamais un autre enfant ne soit témoin de telles horreurs.
Lien : https://missbook85.wordpress..
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Une si petite extermination

Enfant, la mère d’Anna Janko a vu des soldats allemands tuer ses parents, un jour de juillet 1943 où il saccageaient son village de Sochy, en Pologne. Un traumatisme terrible. Qui se transmet à la génération suivante, celle d’Anna Janko, qui livre ici un texte très fort et d’une richesse remarquable, tant pour les sentiments qu’elle y exprime que pour l’analyse qu’elle livre de la situation. Si je devais conseiller un seul livre de témoignage sur les atrocités de la Seconde guerre, c’est assurément celui-là que je conseillerais !



Je remercie énormément les éditions Noir sur Blanc de m’avoir fait découvrir ce joyaux, dans le cadre une Masse critique spéciale de Babelio. Ce livre m’a profondément marqué. Il mériterait une ou plusieurs relectures d’approfondissement tant son contenu est riche. Anna Janko y fait témoigner sa mère, Renia, qui a survécu, avec son frère et sa soeur, au massacre de ses parents lors du saccage de leur village en 1943. Les nazis voulaient chasser les habitants de cette partie de la Pologne pour y installer des Allemands (je ne connaissais pas ce terrible épisode de l’Histoire).



Renia est devenue elle-même maman mais elle est restée une enfant, marquant sa fille Anna Janko par le souvenir de ce qu’elle avait vécu. Alors Anna témoigne. Malgré toutes les émotions qu’elle fait passer, son ton reste assez froid, ce qui, à mon sens, ajoute de la force à ses propos. J’ai surtout ressenti de la colère, plus forte que ce qu’auraient fait ressentir des plaintes larmoyantes ou des appels à la vengeance.



Anna Janko fait passer les émotions d’un enfant qui perd ses parents dans de pareilles circonstances, mais aussi les émotions des autres habitants du village, et puis ses émotions à elle. Et puis toute la place que cela a fini par prendre dans son esprit. On sent qu’elle a abordé ces événements dans toutes leurs dimensions. Elle s’est posé toutes les questions: que peuvent ressentir les victimes ? que peuvent ressentir les bourreaux ? comment peut-on tuer un enfant ? quelle était la personnalité d’Hitler pour qu’il en arrive à commander cela ? et pourquoi d’autres massacres ont-ils recommencé (au Rwanda, par exemple) ? Et j’en passe…



Je ne peux que recommander ce livre. Je vous le recommanderais même si vous ne vous vous intéressez pas spécialement à ces événements car même s’il s’agissait d’une fiction, la force littéraire du texte serait une raison suffisante pour en entamer la lecture.
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Une si petite extermination

Un livre à lire,... dont le titre dit tout, et plus encore avec son titre français qu’avec son litre original polonais «Mała Zagłada», textuellement Petit holocauste, qui n’a pas la même connotation qu'en français.

On connait Auschwitz, Oradour, Lidice, mais Sochy, en Pologne, près de Lublin, avec seulement 88 maisons au toit de chaume, incendiées le 1er juin 1943 à 5 heures du matin tandis qu’on massacrait la population, qui en a entendu parler? Outre les Juifs et les Tsiganes, la Pologne a aussi trinqué, dépecée par les deux moustachus qui concluent le pacte germano-soviétique pour se la partager. Le 11 juillet, un mois après Sochy, ce fut le massacre de Volnhynie, puis celui de Wywloczka, autre village de ces Polonais, ces «sous-hommes». Auparavant, du côté allemand, il y avait eu l’opération Tannenberg (plus de 20.000 morts) et du côté soviétique du butin, les massacres de Katyń et quelques autres (22.000 exécutés et 60.000 déportés). Alors, c’est vrai, à côté, c’est une très petite extermination.

Les documents attestent que dès les années 1930, «bolcheviks et hitlériens ne cessent d’améliorer leurs techniques de mise à mort. On se rend visite, on partage les résultats de ces expériences... Les Russes vendent ainsi aux Allemands leur trouvaille d’asphyxie par les gaz d’échappement, procédé qui sera perfectionné par les seconds. Les rencontres entre le NKVD et la Gestapo ressemblent à nos conférences d’aujourd’hui...» (p. 177).

Le livre est écrit par Ania Janko, née en 1957. Elle aligne des faits, précis, froids, journalistiques, effrayants, avec des photos. Le livre s’adresse à sa mère, Renia, qui avait 9 ans en 1943, a survécu dans trois orphelinats successifs, et a «transmis». Elle habitait la maison 57. Le livre commence ainsi:

«Réfléchis, maman, ce que tu as connu n’est pas le pire. Juste un carnage et un incendie. Ni sévices, ni cruauté, ni maltraitance. Pas même un viol. Ils avançaient et tuaient dans la foulée. N’importe comment. S’ils rataient leur cible, ils tiraient à nouveau... ton père n’a souffert qu’un instant et ta mère pas du tout. Un quart de seconde et pfft, elle n’était plus de ce monde. Tes parents n’ont même pas vu brûler votre nouvelle maison... Une chance».

Le livre témoigne. Il est plein des prénoms et des noms d’adultes et d’enfants, ceux des maisons N° 1 à 88,... évoqués une par une, sauvées de l’oubli. Exemple: «Maison N° 88 appartenant à la famille Skóra Mikhailowski. Entièrement détruite par le feu. Le père, la mère et les trois enfants sont tués. Seul le petit Lencio survit». Le bilan des autres maisons figurent de même, avec les noms. L’auteure en avait déjà rendu compte dans un autre livre, «La Destruction des petits».

Avant l’auteure, Bronka, sa cousine, avait mis des numéros sur toutes les maisons incendiées pour les décrire une à une dans un poème sur Sochy. Bronka avait 9 ans. En 2018, elle en a 88.

Ceux qui n’étaient pas sortis ont été brûlés dans leur maison. Il y eut le procès de Nuremberg, et quelques procès locaux, mais les bourreaux de Sochy n’ont jamais été punis. Ce n’étaient pas des nazis mais des «Allemands ordinaires, trop vieux... heureux d’être à Zamosc plutôt qu’à Stalingrad. Lorsqu’ils ne tuent pas, ils mènent une vie normale. Ils vont au cinéma, au café, ils écrivent des lettres à leur famille».

Il y avait même quelques bons Allemands, auxquels le souvenir se raccroche, comme cet Allemand anonyme qui n’a pas pu tuer un enfant. Ou cet autre qui avait dit à au père de l’auteure de fuir.

Il fallait expulser 200.000 Polonais aptes au travail forcé, de la région de Zamosc, pour y implanter des Allemands. Pour ceux qui n’étaient pas aptes ou qui n’avaient pas les yeux bleus (passeport pour l’adoption), c’était le terminus. Ceux aux cheveux clairs, les Nordiques, on les privera de leur identité en les germanisant s’ils survivent au transport.

«Les nouveaux propriétaires prenaient possession des maisons laissées béantes... Ils nourrissaient les animaux des autres et se couchaient dans les lits auxquels on avait arraché les autres pendant la nuit».

L’auteure témoigne, mais n’oublie pas les autres génocides: l’URSS, les Anglais, les Etats-Unis, l’Australie, les Hutus, les Turcs en Arménie, la Chine de Mao, le Cambodge «démocratique» de Pol Pot où périt 1/5ème de la population, les quatre sœurs de Freud qui ont péri dans les camps. Sochy à côté,... «une si petite extermination». L’auteure fait un rapprochement et se rappelle un souvenir d’enfance où il fallait exterminer les taupes.

Le seul objet familial qui ait échappé au massacre et à l’incendie, c’est une montre, qui figure en couverture du livre comme un effrayant symbole du temps. Il lui a fallu des années pour retourner à Sochy et pour témoigner. Le village existe à nouveau. Cela fait penser à «Regain» de Giono mais dans un tout autre contexte.

Quelques autres citations:

«L’Allemand tire dans la tête de papa, puis dans celle d’Antoni ainsi que dans celle de Janina toujours allongée, tous les enfants voient que la balle ressort par l’œil».

«Le sort des enfants de Sochy n’était pas fixé d’avance. Ceux qui périrent, ce fut par hasard ou selon le bon plaisir d’un soldat ou d’un policier allemand».

«Ils ont chargé les enfants dans un train et les cheminots s’en défaisaient comme cela venait».

«Les garçons de la Hitlerjugend, eux au moins, s’étaient exercés sur des chiens».

«En plus, c’était une erreur géographique, c’était un autre Oradour qui était visé, Oradour-sur-Vayres, situé à proximité... Ils ont massacré 642 personnes et réduit en cendres leurs demeures, tout ça parce qu’ils ne savaient pas lire une carte».

«Je ne vois en toi [la mère de l’auteure] que la fillette dont on a tué les parents, l’un après l’autre, devant ses yeux. Et qui a pris son petit frère et sa petite sœur par la main».

«Dans les magasins d’Auschwitz, il y avait... entre autres 115.063 vêtements d’enfants... inventoriés avant d’être expédiés par train, en Allemagne, un pays dans le besoin. Les poussettes pour enfants sont parties aussi. Vides».

Un jour de novembre 1943, on «avait fusillé 18.400 personnes, des Juifs... Ils tuaient par couches. Il parait que c’est plus rapide ainsi».

«On lui fera une injection de phénol dans le cœur... C’est le SS Hans Nierzwicki qui la tuera... Un médecin allemand aurait jeté son enfant devant elle dans un four en marche... Pour ressentir quelque chose et ne pas s’arrêter à un nombre, il faudrait aussi connaitre leurs prénoms et les entendre appeler Maman, juste avant l’injection».

«Le commandant du camp s’appelait Artur Schütz. C’était un ancien boxeur. Il tuait les enfants d’un seul coup de poing».

«On lui a pendu son père (nous l’avons pendu, nous Polonais). Ils ont dû (nous avons dû) s’y reprendre (nous y reprendre) par trois fois, car la chute du corps n’était pas assez brutale».

«Du balcon de sa villa, Amon s’exerçait à tuer d’un seul coup les mères tenant des enfants dans les bras. Il fallait que la même balle touche la mère et l’enfant. Affaire d’adresse».

«Nous avons été vendus aux Soviétiques, à Yalta, par les Alliés».

«J'ai décidé d'enfiler les mots pour les faire passer par les sépultures de mes ancêtres».

Merci de l’envoi de ce livre par Babélio et par les éditions Noir sur Blanc, maison helvético-polonaise qui traduit notamment des textes polonais en français et dont le but est de "faire connaître au public francophone la production intellectuelle de l'autre Europe". J’espère que ce témoignage sera largement diffusé, car il n’y a pas, et il n'y aura jamais de "petite extermination".

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Une si petite extermination

Dans ce livre, Anna Janko raconte le drame vécut par sa mère Renia, le 1er juin 1943, à Sochy. À 5 heures du matin ce jour-là, les troupes allemandes sont entrées dans le petit village polonais pour l'incendier et massacrer la population. Renia a vu ses parents mourir sous ses yeux. Elle avait neuf ans.



Une si petite extermination est très loin du genre de mes lectures habituelles. J'aime l'histoire, mais je lis surtout des fictions, des histoires romancées, qu'elles soient basées sur des faits réels ou totalement fictives. Ce livre est plus proche d'un essai.

Il est construit comme un dialogue entre Anna, la fille et Renia, sa mère. Mais c'est surtout Anna qui parle. Elles reviennent sur cette matinée sanglante de Sochy, mais pas seulement. Les deux femmes parlent du peuple polonais, de la vie sous l'occupation allemande, des autres villages détruits, du sort des juifs, des déportations, des camps, Auschwitz, Birchenau, Madjanek... On passe d'un sujet à l'autre au gré de la conversation, de manière organique.



Anna Janko met un point d'honneur à rendre leur identité aux victimes. Dès qu'elle le peut, elle donne leur nom et leur prénom, raconte leur vie avant le moment fatal. Elle raconte de nombreuses anecdotes collectées au long d'une enquête qu'on devine longue et fastidieuse. Elle raconte également le sort des survivants, qu'ils soient de sa famille, de ses amis, ou d'illustres inconnus. En ces temps, ne pas mourir n'était pas toujours une bénédiction.



L'auteur prend un chapitre entier pour décrire quelques exemples de bonté chez les soldats ennemis, pour rappeler que tous les allemands n'étaient pas maléfiques. Elle essaye de comprendre ce qui peut mener les hommes à de tels actes. Des parallèles sont faits avec d'autres guerres, plus anciennes ou plus proches, pour tenter de comprendre. À ces moments, le texte devient plus abstrait, le propos plus global. Mais Anna Janko finit toujours par revenir vers l'individu, via une anecdote plus intime.



Le texte est écrit simplement, comme sur le ton de la conversation. Les fioritures sont inutiles. Au contraire, ce style direct rend avec justesse le caractère poignant, horrible, voire absurde de la seconde guerre mondiale en Pologne, au travers d'une succession d'anecdotes et de portraits.



Maintenant que j'ai terminé de le lire, je me rend compte à quel point le titre et la couverture sont parfaitement choisis.

Le titre est un terrible euphémisme pour décrire un drame tombé dans l'oubli. Tout le monde se rappelle de l'Holocauste et des grandes déportations, mais personne ne semble vouloir se rappeler du massacre de Sochy.

Quant à la couverture, que j'avais d'abord pris pour une illustration, c'est la photo d'une montre à gousset en argent, seul héritage restant du grand-père de Renia. Elle illustre parfaitement le contenu du livre : à la fois un dernier souvenir et un petit morceau de temps.



Une si petite extermination traite un sujet difficile avec beaucoup de justesse. Il est écrit avec l'âme, il fait réfléchir avec le cœur.
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Une si petite extermination

Certains sujets sont écrasants. Traiter de la Shoah, de l'esclavage ou du racisme entraînent un décalage de la critique. Soit elle se fait plus indulgente en regard de la gravité de l'objet traité, soit plus incisive toujours pour la même raison, cette gravité nécessitant un traitement plus fin, plus subtil.



La Liste de Schindler est l'exemple idoine. La plupart des critiques se sont félicitées de la mise à disposition de la notoriété et du savoir faire Spielbergien. D'autres, plus rares, ont déploré une dramatisation outrancière, un suspense indécent.



Je pensais me trouver quelque peu face au même dilemme une fois ce livre reposé.



Finalement...



Anna Janko est une archéologue du trauma. Elle exhume les strates du massacre qui a anéanti ses grands parents et traumatisé définitivement sa mère.



Ce qui marque à la lecture de cet ouvrage, c'est le (juste) ton, la parfaite distance de la plume d'Anna Janko. S'éloignant d'une impartialité universitaire illusoire, Anna Janko assume une colère froide, elle porte un fardeau, une enfance à côtoyer des spectres, les parents de sa mère qui ne combla jamais la fêlure béante ouverte par la pillage, la mise à sac de Sochi.



On a pu reprocher à Anna Janko une vision partiale de l'histoire, une exonération des Polonais et de leur antisémitisme conquérant. Outre que nous Français pouvons difficilement donner des leçons (si l'on excepte les zélateurs d'un Zemmourisme révisionniste), je ne vois guère en quoi les habitants de Sochi ne sont pas des victimes. Anna Janko se montre aussi très factuelle dans son livre, elle donne chiffres et faits avérés, elle les interprète en un sens polono-centré. Il s'agit de son pays après tout. De sa famille. De son passé.



Une petite extermination, oui, un nettoyage anodin, presque en passant, au sein de l'industrialisation des tueries de masses. Des vies brisées, détruites, à l'image de cette montre arrêtée, symbole du temps dérobé.



Anna Janko alterne, au fil de courts chapitres rageurs et terribles, tragédies familiales et réflexions historiques voire philosophiques, toujours avec cette plume acérée, qui fouaille, qui gratte, qui grince...



Anna Janko ne lâche rien.



Merci infiniment à Babelio et aux Editions Noir Sur Blanc pour cette lecture...
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Une si petite extermination

Un livre dur, tranchant et sans concession. L’auteure tente par l’écriture de transcrire l’indicible en termes d’horreur, de mort dans tous les sens du terme, si efficacement que la lecture en est douloureuse. Pour autant le but du récit ne s’arrête pas là, il explore les sillons du mal en profondeur et sous bien des formes avec une franchise et une honnêteté assez déroutantes et apporte qui plus est au lecteur beaucoup de renseignements historiques sur cette partie de l’Europe dont on parle peu.
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Vous aimez les poètes et la poésie ?

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage Ou comme cestuy là qui conquit la toison

Pierre Ronsard
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Théodoe Agrippa d'Aubigné

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