Bruno Doucey et
Murielle Szac vous lisent un poème au coin du feu...
"Pas d'problème Poème de fête", par
Diane di Prima, traduit par
Annalisa Mari Pegrum &
Sébastien Gavignet. À retrouver dans l'anthologie "
Beat Attitude Femmes poètes de la Beat Generation".
La fissure dans le monde
extrait 3
C’est la vie qui poursuit la fissure dans le monde
Entre les mondes
Entre les pensées
Un souffle vide
Les mots ne suffisent pas
Ovule non fertilisé
L’homme ne l’a pas fait
Je me couvre de tous les imprévus
la méchante
ou la puritaine qui marche dans un monde fécond
Les mots me chantent l’effondrement de l’endomètre
Les mots descendent dans mon ventre
Mon dos se gonfle, pour rendre mon corps à la terre
C’est périodique
Ça arrive à la pleine lune
Laisse-moi hurler dans la nuit
Aucun homme ne doit me toucher
Ne sonde pas mon cœur ce soir, homme
Personne ne veut être près de cette usine,
de cette magnifique machine,
mais j’évite ta compagnie de toute façon
…
// Anna Waldman (1945 -)
/ Traduit de l’anglais par Annalisa Mari Pegrum et Sébastien Gavignet
La fissure dans le monde
extrait 2
Je vois la fissure dans le monde
Les pensées se croisent dans le corps
Il ne doit pas me réprimer
Laisse-moi aller seule de mon côté ce soir
Aucun homme ne doit me toucher
Une entaille en moi, je vois l’entaille dans le monde ce soir
Elle me garde entière, mais me divise à présent
Dehors, sur la terre, pour saigner
Dans la rue, pour saigner,
Dans la neige, du sang
C’est une chanson sud-américaine
Parfum de laurier-rose
ou c’est une chanson de cactus
Chantez une fleur de sang une rose dans l’entrejambe
Ô jambes qui se dérobent !
Mon corps m’a charmée
Mon corps m’a rendu folle
C’est l’endomètre qui mue
Je suis compressée sous la pression de mon cœur
…
// Anna Waldman (1945 -)
/ Traduit de l’anglais par Annalisa Mari Pegrum et Sébastien Gavignet
et donc jeunes femmes
voici le dilemme
qui est en soi une solution :
J'ai toujours été à la fois
suffisamment femme
pour être émue aux larmes
et suffisamment homme
pour conduire ma voiture
dans n'importe quelle direction.
(Hettie Jones)
She Said She Said
[...]
we are aliens come through
a hole in the sky
to make holes in the trees to make
holes in the earth
__________________________________
Dit-elle dit-elle
[...]
nous sommes des extraterrestres venus à travers
un trou dans le ciel
pour faire des trous dans les arbres pour faire
des trous dans la terre
Ici avant ce bleu d'aurore …
Ici avant ce bleu d'aurore & dans cette solitude
à toi : rentre à la maison. La lune est pleine sur les immeubles
matinaux, l'ombre de la solitude est sur ma main :
Rentre à la maison. Dans ce loft vide aux grandes fenêtres
l'ombre des stores s'estompe, et les gens sont arrivés ;
À toi : dans ce précoce silence entre nous qui EST,
profondément plié dans la nuit & le puits noir des sources
ici-bas est sorti pour rencontrer là-dedans, &
nous SOMMES liés par un son ou un geste ;
sous la distance, avant le temps, au pied de la
forêt silencieuse, retrouve-moi ici, je t'aime.
Un feu crépite, je me suis levé tôt
avant l'aube – amour combien j'ai
besoin de toi en tout ce que je ressens ; j'ignore
où tu es ou ce qui t'arrive, mais
c'est sûr les étoiles du matin éclaireront de leur lumière
des endroits désolés, et cela vient de moi
à la première heure du matin, amour.
paris, 18/ 1/ 65
p.141
//Texte de Janine Pommy Vega (1942-2010).
Regarde l'oiseau fait des projets
il parle aux hommes dans la pièce à l'étage
picore les miettes dans la cuisine
il utilise nos toilettes
& je m'inquiète de ses droits
Garde la maison
Moi je vais partir oiseau tu peux rester ici
(Joanne Kyger 1934-2017)
Cérémonie au peyotl pour Billy *
Un peu de magie compatissante
pour la vie de William Burroughs.Jr.
(mort le 3 mars 1981)
ne t’arrête pas, Billy il y a du mouvement
nous faisons la danse des sabots pour toi,
assiégés ou exaltés frondes en mouvement
ce système d’assistance respiratoire ces rivières qui chutent &
te traversent
qui loin d’ici loin loin loin loin pas assez d’espace pour les jambes pas possible
de s’asseoir ni de chuchoter
dans ton oreille Billy pas de nova Billy plus d’aliments
Billy nous t’envoyons ces étoiles brodées au point suisse
un gris exquis pour les sens voilà Billy prends-les Billy
prends ces étoiles Billy voilà Billy prends la fumée de bois
(bouge Billy bouge Billy bouge Billy ne t’arrête pas)
nous t’envoyons ces odeurs & le plaisir d’installer sa tente
une tente pour les nomades pour une âme nomade ton ombre perdue
voici un corps où tu pourras renaître Billy
& pour ton bien nous nous allongeons
sur un amas de nuages & pour toi nous mangeons cette médecine qui guérit
& la dégueulons encore j’ai vomi pour toi Billy & les 3 dernières années
me reviennent pour toi Billy ça me remue tu es toujours là pour nous Billy
nous trois moi Steven Reed
dans la nuit calme je ne peux pas rester calme je saute pour toi Billy
bouge bouge-toi ne t’arrête pas Bill
liqueur de maïs pour faire redescendre la magie
démodulation Billy
démon hypodermique Billy
corrigible Billy
le sceau de Salomon Billy
ça vacille Billy
corrélation Billy
immobile
indélébile
sang de jacinthe Billy
cartes sur table Billy
intensité dramatique et tu nous manques Billy
où t’étais p’tit Billy
on t’a cherché Billy
nous étudions ton jarret Billy
universalité Billy
laisse-toi aller
fais-le tourner
bouge ne t’arrête pas Billy ne t’arrête pas Billy bouge
ne t’arrête pas Billy Billy bouge ne t’arrête pas Billy
bouge ne t’arrête pas Billy bouge garde-le Bill
1978
// Anna Waldman (1945 -)
/ Traduit de l’anglais par Annalisa Mari Pegrum et Sébastien Gavignet
* William Seward Burroughs III (21 juillet 1947 - 3 mars 1981) est un romancier américain, également connu sous les noms de William S. Burroughs Jr. et Billy Burroughs.
Burroughs Jr. a subi une greffe du foie en 1976 après avoir développé une cirrhose. Il meurt en 1981, à l’âge de 33 ans, d’alcoolisme et d’insuffisance hépatique.
La fissure dans le monde
extrait 4
Mon corps flexible imagine la fissure
Un corps avec des vents
Vois la fissure dans l’univers
La malédiction glorieuse est sur moi
Ne viens pas chez moi
Ne m’attends pas à ta porte
Je porte mes fringues de célibat
Mon cœur anthropocentrique dit qu’il y a
une fissure dans le monde ce soir
C’est le corps d’une âme étirée
C’est une pause dans le cycle de la naissance & de la mort
C’est la prolifération rapide des cellules
qui montent en puissance pour mourir
Je construis le monde & je le tue encore & encore
J’offre mes entrailles à la lune
Ovule non fertilisé
L’architecture me hante
Jambes qui vous dérobez vous devez porter le monde
Toi éloigne-toi de moi
Toi garde tes distances
Je te maîtriserai avec mon parfum
de vie & de mort
Toi qui est arrivé à travers la fissure de mon monde
Vous autres les hommes qui êtes sortis de moi, arrière
Les mots sortent du ventre
Gémissant comme le monde est démoli
Le corps charmé pour ça
Le corps conçu comme ça
Le corps a pris la mesure de la femme
pour expliquer la férocité de ce temps
marchant sur la périphérie du monde.
// Anna Waldman (1945 -)
/ Traduit de l’anglais par Annalisa Mari Pegrum et Sébastien Gavignet
La fissure dans le monde
extrait 1
Je vois la fissure dans le monde
Mon corps la pense, il voit la fissure qui s’élargit dans le monde
Mon corps le fait pour que je voie
Le sang couler par la fissure du corps
Corps, envoie-moi tes rivières à la lune
Corps tord-moi vers la source de la lune
Ça me tord sous une vague
Ca installe la structure pour faire un bébé, pour après
la démolir encore
L’architecture du corps-utérus me hante
Il y a toujours quelqu’un qui regarde le flux ancestral
Il plie mon esprit en deux
Ovule non fertilisé
…
// Anna Waldman (1945 -)
/ Traduit de l’anglais par Annalisa Mari Pegrum et Sébastien Gavignet
The Elves
[...]
Their beauty sets them aside
from other men and from women
unless a woman has that cold fire in her
called poet: with that
she may see them and by its light
they know her and are not afraid
and silver tongues of love
flicker between them.
__________________________________
Les elfes
[...]
Leur beauté les sépare
des autres hommes et des femmes
à moins qu'une femme ait en elle ce feu froid
qu'on appelle poète: avec ça
elle peut les voir et par sa lumière
ils la reconnaissent et n'en ont pas peur
et des langues d'amour argentées
dansent entre eux.