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Citations de Stuart Calvo (21)


Dans l’avenue Trump, le ballet des bus autonomes et des voitures sans chauffeur chorégraphiait une forme de silence. Le ciel était couleur de mood board gothique sous un filtre Rothko mal codé. S’y décalquaient mal la nuée triste des drones s’autoévitant, lesquels erraient dans le vide, aussi frénétiques et tracés, aussi paumés que moi dans ce brouillard brownien d’insectes en plastique qui volaient de boîtes en balcons comme je volais de boîtes en missions. Pour qui au juste, pour quoi ? L’atmosphère grésillait désagréablement. Où étaient les oiseaux ?
Serf-Made-Man ? Ou la créativité discutable de Nolan Peskine, de Alain Damasio
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Les cendres se déposent sur nous en un fin duvet. Nous en respirons. Nous en avalons. Elles n'ont pas toutes le même goût. Certaines sont plus sucrées que d'autres. Nous émergeons de ces repos brefs et fragiles avec l'impression d'avoir abandonné un peu de nous-même sur nos litières. Nous sommes des particules qui nous désagrégeons chaque jour davantage. Nous sommes une promesse de cendres. Le souffle de l'Empereur nous oppose à celui du vent et nous exhorte à pousser.
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Quand Martha entre, les gémissements cessent. L’enfant est en bout de table. Une table sans angle, poncée. On ne blesse pas. C’est la première règle.
Les aliments sont tièdes. Martha les humecte avant de les fourrer dans la bouche aux dents si équarries qu’elle semble une bouche sans dents, seulement pavée de cailloux blancs.
Elle engrosse l’enfant docile, enregistre la composition nutritive du repas puis se retire, la faim au ventre.
Dehors, on a protégé les cerisiers des corneilles, geais et autres pies par des filets aux mailles noires. Ne rien perdre. C’est la deuxième règle. Martha chemine sous le linceul rapiécé. Le soleil est absent de l’allée. Martha salive par réflexe, mais n’envisage plus de grimper aux troncs malingres pour cueillir un fruit.
Ne rien partager.
Quelques cueilleuses cueillent, juchées sur des sièges aéroporteurs jaunis par les ans, rosis par le jus. Leurs doigts lestes comme s’ils racontaient la Bible à un sourd. Martha les regarde un moment.
Un long moment.
Enfin, on lui notifie un cinquième enfant.
Il est plus grand et maigre que les autres. Ses gémissements cessent lorsqu’elle entre. Martha vérifie sa notification. Est-ce un enfant ? N’y a-t-il pas d’erreur ?
(luvan, « Miroirs »)
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Un cauchemar réveille Alyn et reste présent un long moment après qu’elle a ouvert les yeux dans le noir : tous les servants de la ligne ont disparu. Les servants humains, bien sûr, parce que les machines continuent à pousser, vibrer et tirer, les élévateurs tournent et se rassemblent comme de grosses fourmis idiotes, le Main Display affiche un état absurde, effrayant et risible, 147 rouge, elle se surprend à penser que même au plus fort de la Grande Grippe on n’est pas arrivé à un tel niveau de déviance. Elle sait bien que ce n’est qu’un rêve angoissant, mais elle ne parvient pas à s’en dégager tout à fait malgré la présence de Ioulia tout contre elle, l’odeur de sa peau et de ses cheveux longs. Alyn perçoit tout en vue panoptique, comme au travers de la supervision générale, mais sans filtre, avec le sentiment de pouvoir tendre la main et toucher les dégâts qui s’accumulent. D’abord les longues boîtes vides, venant les unes contre les autres avec chacune son état, sa classification, son espérance, s’entassant dans le hall d’accueil, empilées par les élévateurs suivant les règles compliquées de la Priorité.
(L.L. Kloetzer, « La fabrique de cercueils »)
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– J’ai tout compris, soupira Evette en tapotant sur son écran. Je suis une déesse de la poisse. La poisse m’aime, tu vois ? Elle m’adore. Elle me trace, elle me comble, elle me couve.
– Hm, compatit Adzo. Allongé à côté d’Evette sur le futon fatigué, il tapotait aussi.
– Déjà, je décroche mon bac + 6 en intermédiation grand-européenne la veille du démembrement de la Grande Europe, c’est quand même une preuve solide, non ?
-… court en bouche mais solidement charpenté, marmonna Adzo.
– Depuis, comme 360 millions de couillons d’ex-grands-européens, je seekfind – je trime chaque jour comme une réfugiée climatique tout en cherchant un autre travail pour le lendemain. Et tu sais comment l’Académie française veut nous appeler ?
– Ça existe encore, ce truc-là ?
– Des postuvailleurs. Qui postuvaillent. Elle vient d’inventer le verbe postuvailler pour remplacer seekfinder, l’Académie française. Postuvailler ! [néol.] Mot-valise signifiant le fait de postuler en travaillant.
– … une belle robe framboisée et un nez très tanin…
– Tu fais quoi ?
– Je farcis le site wines.biz d’avis dithyrambiques sur le nouveau beaujolais nouveau, cette pisse d’âne. Dix euros les trente. Et toi ?
– Des captchas pour Europeana. Vingt euros les cinq cents signes parce que c’est du cyrillique d’avant 1917. Je savais que le russe me servirait un jour.
(Catherine Dufour, « Pâles mâles »)
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« Incotable ! fit le palembarq.
– Ah, c’est que, s’enchanta Locq, Monsieur Ore est une figure locale, un excentrique ! Un ancien de la finance, je crois.
– Du négoce, précisa Ganz.
– Un peu… marginal. On peut dire ça, Ganz ?
– Mais incotable ? persista l’embarqué comme s’il était tombé sur un poilu de la Première Guerre. Vous êtes sociophobe ? Un datactiviste ? »
Cocktail d’un soupçon de mépris et d’un quart de menace, lot banal de l’invective. Les gens suivaient leurs changements. Ne pas évoluer leur semblait une sorte de crime.
Et de fait, rien n’avait plus été pareil depuis le Grand Reflux des années 30, la vague de désemploi qui avait recouvert les cartes les mieux éclairées du monde. Presque trois décennies de Ressource Universelle d’Existence (mais tout le monde disait la RUE) et quinze ans de cotation globale : les esprits avaient mué. Ils étaient devenus plus impénétrants encore que par le passé, aveugles aux brèches, réticents à la marge. Alors ! Qu’un ancien négociant en pétroles devienne un SDF trader, un vendeur d’actions à la petite semaine ! Et par-dessus le marché, non cotable. Impossible à évaluer. Ça n’entrait pas dans le cadre. Ganz Ore prenait un malin plaisir à l’étonnement des autres. En réalité, il n’était pas tout à fait certain de comprendre ses propres raisons. Peut-être simplement que le monde n’avait plus besoin de lui.
(Norbert Merjagnan, « coÊve 2051 »)
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« C'est de plus en plus petit chez toi, râla-t-il en retournant son long corps osseux sur le futon.
– Bah. Qui a besoin de dix mètres carrés là où neuf coûtent moins cher ? »
Evette éplucha les tomates – la peau était si chargée en métaux lourds qu'elle s'enlevait toute seule –, les coupa en dés, battit une vinaigrette et remplit deux bols.
« Le syndic t'a prévenue, cette fois, avant de reculer la cloison ?
– Pas plus que la fois d'avant, et je n'avais de toute façon pas les moyens de m'y opposer. Bon appétit. »
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Toute création doit être éphémère. Parce qu’une création qui perdure est une histoire. L’histoire n’est pas souhaitable, car elle est le témoin d’une évolution. Elle prouve que le changement permet à une société d’évoluer. Or, un système parfait ne peut évoluer. Nous n’avons pas d’histoire, parce que ce monde est parfait…
Nous vivons tous dans un monde meilleur, de Karim Berrouka
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J'essayais en vain de découvrir d'où lui venait cette idée et l'informai qu'un geste sans but précis tenait plus de l'art que du travail, suite à quoi elle demanda " l'art, c'est pas du travail ? " et je m'embrouillai dans mon propre aplomb d'adulte.
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« Si vous êtes ici, aux portes de The Doors, pour ce stage prestigieux, où on a vous a choisi parmi trois mille diplômés, c’est que vous êtes uniques ! Et ça, je kiffe vraiment ! C’est ce qu’on cherche ici : des singularités ! Des briseurs de moule ! Des profils issus du système mais qui retournent le système ! Le prennent à quatre pattes, par derrière. Des cerveaux neufs qui deep-fuckent la norme pour lui faire des petits ! Chacun de vous trois ici, chacun dans votre style, vous êtes des punks ! Vous fabriquez le futur, déjà, sans le savoir – juste parce que vous n’avez pas peur d’être qui vous êtes : des hapax ! Des Out-of-the-Box ! Il n’y a pas d’autres occurrences de vous sur cette planète ! Rien qu’on puisse copier ou automatiser de vous. Vous en êtes conscients ? »
(Alain Damasio, « Serf-made man ? ou la créativité discutable de Nolan Peskine »)
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Il croit. Il ne pense pas. Comme tout le monde, il juge en fonction de ce qu'il a compris d'une situation et il s'accroche à cette illusion. À partir du moment où il se sera décidé, il sera très difficile de le détromper. Confronté à l'ambiguïté, un être humain se comporte comme une balance, il penche forcément d'un côté ou de l'autre. Une croyance permet de faire des choix, elle invalide d'emblée toutes les informations en contradiction avec le système de valeurs en cours.
Le profil/ Li-Cam
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Quand vous coupez cette pomme pour une Tatin, madame, vous coupez en deux un être vivant, de part en part. Cette pomme, elle est née de la terre. Elle est née de la pluie. Elle a poussé tout au bout d'une branche avec de la sève qui a traversé la pluie, la terre et le tronc pour venir nourrir son noyau. Lui donner une chair. Quand je la coupe, je pense à ça. Et quand j'allume le feu sur mon piano, le gaz bleu qui sort, je sais qu'il vient aussi de la terre, des végétaux qui ont reposé, qui ont pourri et qui sont devenus ce feu magnifique qui va cuire ma pomme. La faire fondre. La caraméliser pleine chair. Et c'est ça ensuite que vous allez manger, vous. Moi. Vos clients. Et ça va vous rendre heureux. Et ça va vous rendre un peu plus vivant.
"Serf-made-man ? Ou la créativité discutable de Nolan Peskine", Alain Damasio.
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Tu vois ? Une idée, elle claque entre plein de pôles métalliques placés loin, le plus loin possible les uns des autres, pour que l'éclair soit ample et parce que l'air est chargé. C'est toi qui charges l'air, bien sûr, par ta concentration, gazeuse, dispersée. Ensuite, ça claque puisque tu traverses soudain au milieu des pôles - et que ça reste la meilleure façon de finir électrocuté. Par l'idée. Le reste... Le reste, c'est du storytelling : tout le monde en est capable.
"Serf-made-man ? Ou la créativité discutable de Nolan Peskine", Alain Damasio.
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« Si vous êtes ici, aux portes de The Doors, pour ce stage prestigieux, où on vous a choisi parmi trois mille diplômés, c’est que vous êtes uniques. Et ça, je kiffe vraiment ! C’est ce qu’on cherche ici : des singularités ! Des briseurs de moule ! Des profils issus du système mais qui retournent le système ! Le prennent à quatre pattes, par derrière. Des cerveaux neufs qui deep-fuckent la norme pour lui faire des petits ! Chacun de vous trois ici, chacun dans votre style, vous êtes des punks ! Vous fabriquez le futur, déjà, sans le savoir – juste parce que vous n’avez pas peur d’être qui vous êtes : des hapax ! Des Out-of-the-Box ! Il n’y a pas d’autres occurrences de vous sur cette planète ! Rien qu’on puisse copier ou automatiser de vous. Vous en êtes conscients ? »
Serf-Made-Man ? Ou la créativité discutable de Nolan Peskine, de Alain Damasio
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L’invention dont parlait Vera était une idée simple, de ces idées qui émergeaient d’elles-mêmes, mues par des pentes invisibles au long de chemins cachés comme une source jaillissant de la pierre là où il n’y avait rien, à la faveur des pluies.
coÊve 2051, de Norbert Merjagnan
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Le temps est un gouffre abyssal. Nous n’en ressentons que certains effluves méphitiques. Il nous rote parfois un écho putride en plein visage. Nous ébouriffe de souvenirs abscons. Des éclats de couleurs surgis de l’anéantissement révèlent à nos yeux éteints l’infini des possibles.
Vertigeo, de Emmanuel Delporte
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L’oisiveté est telle la peste. Le Système tolère les divertissements, quand ils sont appropriés. Le Système ne tolère jamais l’oisiveté. Elle est le chemin qui mène à l’insubordination. L’oisiveté est le premier pas vers le syndicalisme. Le syndicalisme, c’est la servitude, la négation du lien social, c’est le retour à l’âge du chaos.
Nous vivons tous dans un monde meilleur, de Karim Berrouka
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Karl avait raison. Cette bonne vieille aliénation est toujours à l’œuvre, à une nuance près : avec les nouvelles technologies, le potentiel aliénant devient délirant de possibilités.
Pire encore, l’aliénation peut venir à présent de nous-mêmes, comme si nous étions tout à la fois l’employeur et l’employé, l’exploiteur et l’exploité.
Postface, de Sophie Hiet
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Nous sommes faits pour travailler. Nous sommes le travail. Il est notre vie, nos espoirs, notre moyen de nous réaliser, de devenir meilleurs. Nos rêves sont faits de travail. Nos avenirs se construisent de notre investissement dans le travail. Nous sommes poussés à n'être que cela. Pas parce que cela nous rend meilleurs, mais parce qu'en nous focalisant ainsi sur le travail, le Système prévient toute esquisse de réflexion. Un monde qui ne réfléchit pas ne remet en cause ni son fonctionnement ni sa légitimité. La Cité est une imposture. Son essence est notre soumission.
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Le monde est la Cité, et la Cité est le monde. Et son âme est le travail.
Sans travail, nous n'existons pas.
Sans le travail, nous sommes des bêtes.
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