Citations de Anne B. Ragde (457)
Nous ne pouvions pas aller plus loin sans croiser le 80° N, même en ralentissant l'allure. La presqu'île de Mossel bouchait la route vers l'ouest, et plus au sud s'étendait le Wilderfjord. On apercevait les sommets de Grahuken et de Velkomstpynten. Georg a demandé qu'on jette l'ancre flottante et qu'on coupe les moteurs.
Il y avait des phoques partout. Sur la banquise. Dans la mer. Georg laissait tomber du tabac tandis qu'il montrait du doigt. Il savait faire la différence entre les phoques: celui du Groenland, celui à capuchon et celui annelé, qu'il préférait appeler phoque marbré.
On ne peut pas vivre ici, pense-t-elle. Comment trouver de la chaleur? C'est un endroit où seuls les ours peuvent hiberner, en se recouvrant le museau avec la queue et en laissant la neige leur tenir chaud autour d'eux.
Des enfants. Il ne connaissait pas d'enfants, ne voyait jamais d'enfants, n'avait aucun rapport avec les enfants, en dehors des mannequins raides et froids de chez Benetton. Et la collection Swarovski qu'il était en train de contempler - il serait obligé de faire creuser des douves autour du meuble et d'y mettre de jeunes crocodiles vivants. Les enfants et le crocodiles apprendraient à grandir ensemble, c'était bon pour les enfants d'être élevés avec des animaux avait-il entendu dire.
Il était sale et négligé, tombé plus bas que terre. Heureusement que Krumme n'assistait pas à ça! Son grand frère. On aurait dit un mendiant et il puait l'ancien temps oublié. (P. 240)
- Les Norvégiens adorent tout ce qui est pisseux. Ils sont bouche bée devant la pauvreté, se complaisent dans leur propre objectivité. Ils ont honte de rire tout haut, honte s'ils apprécient la bonne chère ou cultivent un peu l'opulence ou la joie de vivre.
-Je crois qu'il y a peut- être pas mal de Norvégiens qui ne pensent pas comme ça. Toi, par exemple.
- Mais je suis Danois. Devenu Danois.
Elle n'est que le fruit (...) de notre enfance (p.223)
C'est une consolation qu'ils aient déjà deux enfants, si cynique que cela puisse paraître, dit comme ça. Car ils sont ainsi obligés de prendre sur eux, ils ne peuvent pas se laisser aller et sombrer dans une obscurité totale où l'on rejette tout et tout le monde, ils sont obligés de se comporter comme d'habitude vis-à-vis de leurs deux autres enfants. les tâches quotidiennes sont d'une grande aide, elles poussent le temps vers l'avant.
Après avoir refermé la porte de la porcherie derrière lui, il en voulut longtemps au vieux qui était à l'origine de tout çà, à force de réclamer qu'on l'envoie en maison de retraite. Mais ici, au moins, il pouvait venir, pas son père. Celui-ci ne faisait plus que s'occuper du bois et, ces derniers temps, il ne s'acquittait de ce labeur que plus rarement. C'était assez compréhensible , malgré tout, couper du bois était un travail pénible. Il avait beau être débité, il fallait encore le fendre. En fait, Tor était même étonné que le père y soit parvenu si longtemps. Il l'imagina, levant la bûche au dessus de sa tête pour l'envoyer sur le billot, puis la faire voler en éclats. Il l'avait peut être sous-estimé. Ou surestimé, laissant trop de choses reposer sur les épaules d'un vieillard comme lui. A l'avenir, il l'aiderait un peu pour le bois.
Mais un paysage que je portais dorénavant aussi en moi, parce que j'en faisais partie à présent, je baignais moi aussi dans cette lumière qui me donnait envie de peindre avec des peintures à l'huile et non plus avec un feutre noir.
J'avais perdu la faculté de peindre la beauté. Impossible de fixer sur le papier ce panorama. Quelque chose de l'ordre du soleil couchant sur le désert de Gobi ou de l'arc-en-ciel au-dessus des chutes du Niagara, quelque chose d'absolument unique qui portait en lui-même sa propre finalité.
Quelle vue splendide! ai-je pensé. Trois mots creux en comparaison du paysage qui s'offrait à mes yeux.
On avait la terre ferme à tribord et le grand large à bâbord. Le soleil bas jetait des éclats rose et turquoise sur la glace flottante, la lumière se voilait à l'approche de la surface de l'eau.
Les fulmars boréals s'écartaient pour nous laisser passer.
la lumière surnaturelle, d'un jaune gris, qui sortait du brouillard, le silence impressionnant, les oiseaux qui dormaient sur la surface paisible de l'eau... je n'avais jamais vu quelque chose de semblable, jamais vu une telle lumière qui écrasait les ombres. Puis au loin, là-bas, j'ai aperçu la terre ferme. Une plage noire et une montagne qui disparaissait dans les nuages.
Autour de nous, les fulmars dormaient sur les flots, le premier à quelques mètres de moi. Ils avaient la tête glissée sous leur plumage et se balançaient doucement au gré des mouvements de l'eau, réduits à de petits tas de plumes.
J'ai jeté un rapide coup d'oeil par le hublot, la beauté du paysage m'a saisie : le soleil était caché derrière un brouillard nocturne jaune qui s'arrêtait à quelques hauteurs de bateaux au-dessus de la surface de la mer. Pas la moindre vague. Nous étions dans une sorte de couloir doré entre eau et brouillard.
Tant d'hommes ont été estampillés courageux, uniquement parce que leur intelligence était rudimentaire.
Prise de claustrophobie, j'ai ouvert le hublot et reçu une giclée d'eau salée à la figure. Ca m'a fait du bien. Je me suis léché les lèvres, au bon goût d'eau de mer.
La mousse était souple sous mes pieds, sentait bon quand j'enfonçais mes doigts dedans. Même si on était en août, et que, d'après l'agence de voyages, la floraison était presque finie, j'ai découvert plein de touffes de fleurs minuscules aux couleurs ravissantes. J'ai arraché une tige qui ne mesurait que deux centimètres. Dans ce pays, visiblement, on ne pouvait pas faire cavalier seul et prendre racine de manière isolée. En groupe, on pouvait à la rigueur survivre. Sinon, c'était la mort assurée.
Il me disait que c'était triste de se promener tout seul et qu'il fallait être à deux pour ressentir une émotion et pouvoir la partager ensuite.
C'est vrai qu'un beau paysage s'apprécie parfois mieux à plusieurs.