Citations de Anne Calife (97)
De l’hiver lorrain on émerge avec un regard neuf. On n’a jamais vu de printemps aussi beau. Devant les cerisiers, pommiers, mirabelliers en fleurs, tous on attendra je ne sais quoi. On se dira que tout peut encore arriver.
" D'une ville, on croit tout savoir, connaître, comprendre du haut de sa fenêtre. Pourtant, existent d'autre êtres mal connus: ni rats, ni algues mais humains, ils vivent à mi- chemin entre l'algue, le rat et le vol du canard sauvage. Ce sont eux. Ceux de la rue."
"Et la Guerre est comme ce Printemps , cette herbe qui sort partout. Une femme, une trop belle femme, tournoyant sur elle - même, ivre d'air et de mouvement.
Dans sa robe de velours, elle tourbillonne, tournoie, gorge en arrière , bras écartés , tête renversée, deux lèvres rouges, ouvertes sur ses dents blanches- ces dents que Paul ne possède pas encore.
La violence est une reine dans un manteau de velours émeraude.Bien trop belle. Qui aura toujours raison.
Les nuages dessinaient une masse noire contre le rouge du couchant- si fort qu'il semblait suspendu en l'air comme un cri.
Puis le disque rouge disparut.
Comme si toutes les Guerres étaient combattues"
Arrêter les images n’aurait jamais arrêté la Guerre. Car tout était Guerre. Le mois de mars avec les bourgeons visqueux qui éclataient de toutes parts. Elever un enfant, le baigner, l’habiller, travailler pour le nourrir en était encore une autre, de Guerre.
Mon père me manque. La cavité grandit en moi. Le trou s'étire, prend toute la place nécessaire à son épanouissement.
Je me remplis de vide.
Je suis du vide avec de la peau autour.
Je me rends compte que plus je décris les progrès de Paul, plus je me rapproche du cadavre. Comme les sépales a présent vides de leurs pétales, les bourgeons de leurs feuilles. La maternité à ceci de lucide et déroutant qu'elle permet de constater - rose sur rose - la brièveté de son existence.
A cet endroit du texte, je me rends compte que j’emploie l’article défini « elle » pour désigner le chat. Je l’ai corrigé puis rétabli. Le "il" ne sonne pas. Le Chat était devenu féminin, non par une logique de reproduction, mais en raison de sa division, de son hésitation.
Dissociée, divisée, elle relevait de la Mère : partagée entre soi et d’autres êtres.
Donc, j'ai mon papier à lettres, son mail. Je le connais déjà par coeur. lui, possède aussi le mien. Question : qui doit écrire en premier à l'autre? Quelles sont les nouvelles règles de politesse mailienne?
[...]Je commence. Je me lance vers cet inconnu. C'est un homme qui me fait "aller vers". Moi qui appelle, écris ; lui qui disparaît, qui raccroche.
Je clique "envoyer". Le mail s'envole comme un oiseau par la fenêtre.
Se prostituer, c’est avant tout une philosophie, un art de vivre, une ouverture vers les autres, vers le plaisir. Une pute, c’est l’abondance. De matières, de sensations, de sentiments. Du cuir, de la fourrure. Une pute, c’est des cris de plaisir, des chéris, c’est bon ; des encore encore, encore, toujours.
En Lorraine, on entre en hiver comme dans une grotte, une caverne, en pèlerinage : en baissant la tête et courbant le dos. Suffit juste de trouver la bonne position, se pelotonner. Et de bien se mettre en boule, parce qu’ici, l’hiver dure, dure.
Peu importe la quantité de Nourriture. Seul compte l'instant. Que la Nourriture soit toujours avec moi, qu'Elle ne me quitte plus, que je ne La quitte plus. Que je L'étreigne, La baise à chaque seconde de mon existence. Tant pis si le baiser est mortel.
- Tu en as mis du temps, Lucille.
Qui m'a parlé ? Qui est-ce ? Je ferme les yeux. Je souffre tellement que je ne sens plus rien. Que je peux même jouer : cela s'appelle le cynisme.
Parler, se livrer ? Ils en ont de belles ceux qui n'ont jamais souffert. Comme si c'était facile d'exhiber ces parties sombres. D'ailleurs, ça tombe bien: ma mémoire refuse de livrer ces instants Elle ne veut pas. Elle ne veut plus qu'on touche à ses plaies.
« -Paul ! dis-je. Sa figure se fend en abricot, il remue dix doigts, entraînant autant de fossettes. Puis il retourne à sa principale occupation : retirer ses chaussettes ou arracher des brins d'herbe. Le Chat que j'appelle avec toujours la même intonation de la voix, tourne aussi la tête vers moi d'un air un peu distrait, orientant les oreilles dans ma direction. Il lève un début de queue pour montrer que, oui, il m’a repérée, puis fixe passionnément, parmi les hautes herbes, un éphémère, un papillon jaune – enfin, quelque chose que je ne vois pas. »
La mort n'est rien d'autre que le passage à l’horizontale ; rien d’autre que des choses horizontales, toujours horizontales. Moi, je voudrais n’être ni verticale, ni horizontale, j’aimerais juste être oblique.
Ma vie fut lamentable, ma mort sera magnifique.
Juste après fleurit le cerisier. Il se couvre de légères petites choses roses, comme celles que les hommes ont envie d’enlever aux belles femmes.
La rue, on commence à la toucher par les pieds, d’abord. Parce qu’il faut marcher sans cesse.
Rues, ruelles parcourues forment un seul fil, qui se déroule sous mes pas douloureux, un fil qui se dévide sans fin, comme ce fleuve qui coulera toujours dans le même sens.
Le sang cogne dans le cuir, dans les chaussures. Mes pieds grossissent, grossissent, paraissent aussi gros que les genoux, que les cuisses, prenant plus de place que tout le reste.
Il ne se rend pas compte que je saigne, moi aussi ? Que ça suinte, dégouline partout depuis que l'on m'a arraché mon fils, ma chair ?
Et toi, tu ne saignerais pas, aussi ?