AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de RubisR


Avec mes clients, je prenais une feuille avec une belle marge, que je divisais en trois colonnes au crayon de papier. Première colonne : l’heure à laquelle je prenais le client, seconde colonne, le type de client, là, c’était le plus amusant, puisque je les comparais à des crustacés et fruits de mer avec les crevettes, les huîtres, les homards, les crabes, les éponges et les étoiles de mer. La troisième colonne correspondait à la somme encaissée, enfin la quatrième, ce que j’en ferai, le loyer, l’eau, tout indispensable, tout le futile, tout le plaisir, coiffure, manucure, massage-gommage, cette paire de chaussures vernies chez Dior.

Je vais donc détailler la seconde colonne, c’est-à-dire le type de client.
Les clients, les plus nombreux : les crevettes.

Les crevettes sont les plus tranquilles, presque toujours des hommes mariés, ils ont des sièges bébé, des problèmes de couple, et viennent chercher de la détente. Une foule de mignonnes crevettes roses, toutes identiques, toujours un peu affolées, toutes les mêmes. Besoin en eux de trouver une femme soumise, femme objet, femme désir.
Les crevettes ne savent pas comment se changer les idées, comment rêver, petits cerveaux, petites carapaces, et besoin d’une pute pour se sentir exister. C’est que ça parlait beaucoup, les crevettes, et il faut les écouter, les laisser parler, parler. Pas de filles à séduire, suffit de payer, pas d’efforts à faire, et hop, ça leur plaît aux crevettes. Fellation-sodo-éjaculation faciale, grand classique, que recherchent toutes les crevettes.

Seconde espèce, aux plus grosses carapaces, les homards, ou les crabes, avec leurs pinces qui font mal. Les homards et les crabes ont plus d’argent, et logiquement, ils exigent plus. Quand ils en deviennent tordus, et qu’ils fonctionnent de travers, je les appelle alors les crabes.
Ça fait mal un crabe qui pince. Ça dépend aussi beaucoup de mon état moral, de ma fatigue, une gentille crevette pouvait aussi devenir crabe, si je n’arrivais plus à la supporter.


Les homards, les crabes, ont tout et veulent tout. Ils ne s’expriment qu’à l’impératif, lancent, crient des ordres, tous destinés à me transformer en objet. Ils me tournent autour comme de grosses abeilles excitées face à trop de miel ; suffit d’attendre que ça passe, que leurs exigences s’écoulent, comme s’épuise leur l’argent. Ils veulent toujours me faire souffrir, me brûler avec des cigarettes, m’attacher, me frapper, m’insulter. Il y en a eu un qui voulait que je sois comme morte, faire l’amour avec un cadavre l’excitait. Un autre, encore, qui m’avait payée pour que je fasse l’amour avec un ami, sans rien le lui dire. Au début, oui, j’acceptais tout. L’argent parlait, le client payait et je faisais. Mais j’ai appris à repérer les tordus. Ils ont les yeux comme des cigares éteints, paf, ils deviennent d’un seul coup imprévisibles, ça déraille, ça emprunte des chemins non connus : tout devient possible. Violence, jouissance, plaisir de faire mal, de torturer. Leur jouissance va pousser sur un impossible à satisfaire, un impossible douloureux pour moi. Car le crabe a payé, alors il a le droit et il le fait. Un autre client, un homard encore, qui voulait que je me déguise en femme de chambre, petit tablier noir et blanc, afin de me prendre par-derrière. Désirs, envies robustes et tordues, que l’on ne peut avouer aux autres femmes normales, cela peut se comprendre aussi. Tout peut se comprendre, tout peut se faire à condition que l’on paie. Et ceux qui ont de l’argent le savent mieux que les autres.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}