Je rêve de la lumière nacrée, du soleil gris des Flandres, des Pays-Bas...
- Moi je suis en route vers le Sud ! Vers l'éclat doré de ton Italie !
Fanfreluches et diplomatie
Mes chers parents ,
(...)
Tiens, l'on me demande souvent quelle langue nous échangeons, la reine Isabel et moi. Curieusement, j'hésite souvent sur la réponse, je dis : " en musique" !
Bon, nous sommes bons mimes, et toutes les deux férues de langues étrangères. Nous favorisons le castillan, mais profitons l'une de l'autre pour perfectionner nos idiomes respectifs. Isabelle parle bien italien, c'est la langue de sa mère, Catherine de Médicis. Nous évitons l'anglais : j'aimerais bien le pratiquer, mais c'est la langue de feue la précédente épouse du roi Philippe, Marie Tudor, et je suis pas sûre qu'elle lui rappelle de bons souvenirs. En tous cas, nul besoin d'interprète.
( p.57)
J'ai longtemps ressenti, je ressens toujours le décalage entre le monde où je vis, le monde vers lequel penche mon coeur, et mon univers professionnel : je travaille uniquement pour le luxe.La broderie, la peinture, la sculpture...que de l'inutile ! Reste à savoir si la beauté est utile ou pas...
( p.48)
Nonnes et minium
(...)
Avant l'invention de l'imprimerie, les moines recopient les livres sacrées.Pour glorifier la parole divine et rendre sa lecture plus attrayante, ou par amour désintéressé de la beauté, ils l'"enluminaient", c'est-à-dire la paraient de lumière. Scènes bibliques illustrées, personnages, paysages, et les fameuses lettrines, ces lettres ornementées de début de pages ou de paragraphes. Leur rouge-orangé, particulièrement lumineux, était obtenu par le " minium", pigment à base d'oxyde de plomb.C'est ainsi que ces peintures furent nommées " miniatures".Les livres étant en général plus petits que les tableaux, l'appellation " miniature " se transmit à tout décor ou portrait de format réduit.
Préface d'Élise Fontenaille
Formée par Michel-Ange à Rome- excusez du peu.On la suit à la cour d'Espagne: peintre officielle de la cour à 27 ans !
J'avoue une faiblesse pour ses joueuses d'échecs, d'une grande fraîcheur : ses sœurs sous un arbre, par un matin d'été ( 1555) et aussi pour l'étonnant portrait de Marguerite de Savoie avec un nain...
J'ai été touchée par la rencontre de Sofonisba et d'Artémisia Gentileschi, l'une âgée, l'autre très jeune, et se peignant l'une l'autre...D ' ailleurs, elle encouragea les filles à peindre, et créa une école destinée aux femmes peintres. Quel beau personnage !
Orazio est souvent en mer. Entre deux retrouvailles passionnées, Sofonisba visite sa famille à Crémone, portraiture, tient salon : à gênes, république, on aime discuter de politique. Cette pratique s’épanouira au XVIIe, à Paris notamment. Dans ce domaine aussi, Sofonisba innove. Elle reçoit poètes, musiciens, théologiens et… astronomes, savants prisés en cette ville portuaire…
Les matières premières
La matière première ? Le morceau de bois, le tas de tôles froissées qui à sa manière me parle à l'esprit, au cœur, appelle ma main, mon travail..
Ou la broderie, mon premier amour, tortueuse, puissante sous sa finesse apparente, c'est peut-être elle qui choisit où se fixer, où s'amalgamer pour composer l'oeuvre ?
( p.115)
Escale à Naples
Artemisia approuve.Abusée à dix- huit ans par son maître, un ami de son père, elle a eu le culot de le dénoncer. La force de subir un procès, torture incluse **, l'humiliation de " fournir les preuves " demandées par la cour de justice.
Verdict : Agostino Tassi est reconnu coupable. Sentence : un an de prison et bannissement. Sentence appliquée ? Pas sûr. Mais bel exemple d'une victime qui a su ne pas se taire.Toute sa vie sera une proclamation de la dignité et de la grandeur des femmes.
***- Les sibili: on fait passer une corde autour des doigts du supplicié et on serre très fort.
( p.111)
Sincérité, simplicité, évidence
(...) quand une oeuvre est " donnée " à regarder, imprégnée de la pensée, des émotions, de la technique de l'artiste, elle est "recue" par l'oeil, la sensibilité, la culture, le vécu du destinataire.Qui parfois n'y comprend rien.Une preuve de qualité atteint la sensibilité universelle. On n'a jamais fini de la regarder, de la comprendre.On peut lui trouver des significations diverses.Les oeuvres beaucoup vues ne se ternissent pas, elles s'enrichissent de chaque nouveau regard.
( p.119)
Les jeunes filles ne travaillent pas dans l'atelier, réservé aux garçons, mais dans la cuisine. Elles apprennent la préparation des panneaux de bois ou même des toiles un nouveau support introduit par Raphaël ( Sa Madone Sixtine est la 1ère œuvre sur toile connue -1513-)
La méthode est la même : appliquer de fines couches de colle, de poudre de craie ou de gypse. Recouvrir d'une ou plusieurs couches épaisses d'un mélange de plomb blanc broyé dans de l'huile et dilué à l'essence de térébenthine.
La colle est extraite de la peau de lapin. L'huile, de lin ou de noix, cuite avec le plomb , sera conservée dans des flacons dûment scellés puis mélangée aux pigments.
- Quelle cuisine peu appétissante à base de l'huile noire ! Mais quelle joie de voir apparaître la couleur désirée.