« Elle est assise sur sa mobylette devant un HLM de quatre étages. À ses côtés, un jeune homme d'une vingtaine d'années. Ils discutent sous la lumière blafarde du hall d'entrée. Il est tard dans la nuit. Au moment de partir, elle lui demande s'il vient samedi. Pas de réponse. Une bise, elle met son casque, démarre et s'en va. La jeune fille descend la rue, longeant les immeubles, tous identiques. C'est désert. À sa gauche, un bois, elle bifurque, les chemins sont goudronnés. Le parcours est accidenté, montées, descentes, la mobylette tressaute. Ses longs cheveux dépassent du casque, elle lève les fesses pour passer les bosses. À la lueur de son phare, elle distingue le bas des troncs d'arbres, à quelques mètres devant. Elle connaît parfaitement son chemin. Un petit halo de lumière éclaire son visage poupin. Tout autour, la forêt, le grand noir. Elle sillonne gaiement. La mobylette débouche de la forêt dans une rue de banlieue parisienne et reprend sa course, le long des pavillons, des maison. Elle ne croise aucune voiture. Pas de lumière aux fenêtres, sauf une, toujours la même, au fond d'une impasse. La jeune fille ralentit, regarde et passe son chemin. Arrivée devant un portail en fer, dans l'ombre du soir, une grande maison et son jardin. Elle coupe le moteur, pousse en silence la mobylette sur l'allée de gravillons et disparaît dans le noir. Elle s'appelle Fanon, elle a quatorze ans. »
« Chaque jour comme un siècle, chaque jour à des kilomètres, son esprit gommera petit à petit leurs visages, elle oubliera leurs voix. Trop de douleurs à se souvenir. Sa fuite sera complète, absolue, jusqu'à ce qu'ils la retrouvent. Malgré sa culpabilité, elle remettra toujours au lendemain le geste de poster la carte postale qui leur disait : JE NE SUIS PAS MORTE. Tant pis pour moi, tant pis pour