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Citations de Anne-Frédérique Rochat (87)


Elle devait y croire, sinon qui le ferait pour elle? Elle travaillerait dur pour ça, accepterait de courir les castings, de vivre chichement, elle donnerait TOUT, toute sa vie, son temps, son énergie, ses espoirs, oui, elle se consacrerait entièrement à son art. Rien d’autre n'aurait d'importance. Elle voulait devenir quelqu'un. Et si elle n’y arrivait pas? Son reflet ricana.
— Chiara, tout va bien? demanda Raphaëlle de derrière la porte.
— Oui, oui, je te rejoins tout de suite. p. 108
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(Les premières pages du livre)
– Mets ta plus belle robe, lui avait dit sa mère.
Chiara avait hésité un moment. Quelle était sa plus belle robe ? Elle en avait essayé plusieurs, s’était observée dans le miroir avec attention, avant d’opter pour la bleu marine. Mais, lorsqu’elle était redescendue à la salle à manger, Maggy avait déclaré froidement que ça n’allait pas du tout, du tout, que cette robe était trop austère, qu’elle pensait plutôt à la verte avec les boutons en nacre.
– Tu es sûre ? avait demandé Chiara.
– Certaine. Fais-moi confiance.
Elle était remontée dans sa chambre et s’était changée. La verte faisait ressortir sa poitrine et dévoilait ses cuisses, ce qui l’embarrassait. Elle avait du mal à s’habituer aux regards de plus en plus insistants qui glissaient le long de son corps.
– Tu es prête ? cria sa mère depuis le bas de l’escalier.
Chiara voulut répondre que oui, mais ce qui sortit de sa bouche ressembla plus à une sorte de râle rauque. Une angoisse la saisit. S’était-elle enrouée en allant dans le jardin après le petit-déjeuner ? Doucement et avec inquiétude, elle commença à réciter le début de son texte, le texte qu’elle allait devoir recracher (au pis), interpréter (au mieux) l’après-midi même devant le réalisateur qui organisait l’audition. C’est toi qui as fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Mes yeux, mes cheveux, mes choix, mes peurs, mes pleurs, c’est à toi que je les dois. Personne d’autre. Par chance, les répliques jaillirent de sa bouche avec une clarté et une fluidité qui l’émerveillèrent. Sa voix était là, elle ne l’avait pas perdue, et ses cordes vocales vibraient avec sincérité et émotion sous l’impulsion des mots que sa mémoire faisait affluer sans effort. Elle avait beaucoup travaillé pour en arriver là. Elles avaient beaucoup travaillé, sa mère et elle, pour atteindre cette dextérité, cette liberté du verbe et de la pensée. Tu as transformé mon visage, mes rêves, mes goûts, tu es entré dans ma vie et tu as tout chamboulé, tu ne peux pas me laisser, c’est toi l’adulte, toi le grand, je ne suis qu’une fichue gamine, tu te rappelles…
– Qu’est-ce que tu fabriques ? On va être en retard, si tu continues de lambiner !
Maggy était dans l’encadrement de la porte, plus maquillée qu’à l’accoutumée. Elle avait quitté l’éternel training dans lequel elle faisait toutes ses activités. Conduire, jardiner, cuisiner, bricoler, laver, nettoyer, éduquer, écouter, aller en courses, dessiner et coudre ses poupées. Ah ! ses poupées ! Il y en avait partout, de la cave au grenier, des poupées, des poupées, des poupées. La mère de Chiara avait pour passion de donner vie à de vieux bouts de draps ou de tissus en les remplissant d’ouate, en y cousant des cheveux en laine, des yeux en boutons et en les habillant de petits vêtements confectionnés spécialement pour eux. Maggy avait même un site internet où elle essayait de les vendre, mais, hélas, ses poupées qui avaient l’air de sortir d’une autre époque n’intéressaient pas grand monde et continuaient d’envahir toute la maison. Les voisins chuchotaient en ricanant que le mari était parti quelques années auparavant à cause de l’invasion, dans son foyer, des poupées. Depuis, M. Mastrini payait à son ex-femme une pension généreuse qui lui permettait de se consacrer entièrement à l’éducation des filles et à la création de ses fameux poupons de chiffon. En dehors de cette somme d’argent qui tombait chaque mois sur le compte en banque de la mère, le père ne donnait plus grand-chose. Une nouvelle femme et des jumelles, nées de cette union, accaparaient toute son attention.
– Cette robe est parfaite, mais redonne-toi un coup de brosse, et puis mets une pince, qu’on voie tes yeux. C’est très important, les yeux, au cinéma. Oh ! je vais t’appliquer du mascara volumateur sur les cils, ça t’ouvrira le regard !
– Maman, je peux le faire.
– Non, je m’en occupe, il faut absolument éviter les paquets.
Dans le miroir de la salle de bains, Chiara eut du mal à se reconnaître : en plus des cils, sa mère avait coloré ses lèvres, ses paupières et ses joues avec insistance.
– Ce n’est pas un peu trop voyant ? demanda-t-elle.
– Mais non, c’est exactement ce qu’il faut ! Allez, on devrait déjà être parties ! Coiffe-toi et rejoins-moi dans la voiture, je t’attends devant la maison !
Ses cheveux ne se laissèrent pas dompter facilement, elle les avait lavés et il y avait toujours une bosse inesthétique sur le devant. Elle s’agaça un moment, avant d’accepter cette imperfection capillaire contre laquelle elle n’avait plus le temps de lutter. Lorsqu’elle descendit l’escalier – en se tenant à la rambarde pour ne pas trébucher avec ses chaussures à talon qu’elle portait rarement, préférant les baskets –, elle imagina des flashs, une foule criant son nom, réclamant un regard, un sourire. Peut-être bien que ça lui plairait de faire du cinéma, de devenir célèbre et d’être admirée, aimée par des gens qu’elle ne connaissait pas. C’était sa mère qui avait vu l’annonce dans le journal, quelques lignes qui disaient qu’on cherchait une jeune fille de quinze ans pour jouer un rôle important dans un long-métrage qui se tournerait dans la région l’automne suivant. Elle n’avait jamais joué la comédie, mais lorsque Maggy lui avait proposé de se présenter à l’audition, au casting, elle avait accepté sans hésitation. « Oh ! tu sais, moi, ça aurait été mon rêve, de faire du cinéma, lui avait-elle dit, mais je suis tombée enceinte de toi si rapidement, j’ai épousé ton père et il a fallu vite, vite trouver du travail. À l’époque, il ne gagnait pas ce qu’il gagne aujourd’hui. » Oui, c’était son rêve à elle aussi, maintenant ça lui apparaissait comme une évidence, c’était ce qu’elle souhaitait faire de sa vie : du cinéma. Dire des répliques qui ne lui appartenaient pas et tenter, à travers elles, de faire passer des sentiments pour émouvoir les gens.
– Dépêche-toi, c’est pas possible d’être aussi lente, c’est la chance de ta vie, ce casting (Maggy prononçait toujours ce mot avec une espèce de mauvais accent américain qui disait son rêve et sa méconnaissance de ce monde-là), tu t’en rends compte ?
Chiara acquiesça, entra dans la voiture, attacha sa ceinture de sécurité et plaça ses mains à plat sur sa robe verte. Elles étaient moites, elle les essuya discrètement sur le tissu.
Dehors, il faisait froid, et ce qu’elle portait sous son manteau d’hiver était une simple robe d’été. Elle essayait de se réchauffer en sautillant sur le trottoir.
– Tu sais, mon cœur, dans le cinéma c’est souvent comme ça, on joue qu’on a très chaud alors qu’en réalité il fait très froid, il faut savoir tricher, déclara sa mère en sortant de son sac le papier sur lequel elle avait noté l’adresse. On a rendez-vous au numéro 35, ce doit être là-bas, juste après la boulangerie.
Elles s’approchèrent de l’immeuble. C’était une vieille bâtisse qui aurait mérité un rafraîchissement. Chiara avait imaginé quelque chose de plus clinquant.
– Tu es sûre ?
– Oui, oui, c’est là! s’exclama Maggy.
Et elle poussa une lourde porte qui grinça. Mère et fille montèrent un escalier en marbre ébréché, il n’y avait pas d’ascenseur dans cette construction de 1900.
– C’est à quel étage ? demanda Chiara, craignant d’arriver transpirante à son audition.
Elle préférait le mot « audition » au mot « casting », sans savoir pourquoi.
– Au deuxième.
Elles continuèrent de grimper, au même rythme, avec solennité.
Dans un long couloir aux murs défraîchis, meublé de chaises en bois branlantes, des dizaines de jeunes filles attendaient – maquillées pour la plupart –, accompagnées ou non, que quelqu’un vienne les chercher.
– Tu crois qu’elles sont toutes ici pour le film? murmura Chiara à l’oreille de sa mère, oreille à l’intérieur de laquelle elle se serait volontiers réfugiée si elle avait été suffisamment petite, pour retrouver la chaleur rassurante qui l’avait enveloppée durant sa période in utero.
– J’imagine.
– Je ne savais pas qu’il y avait autant de filles de mon âge qui rêvaient de faire du cinéma.
Et toutes lui ressemblaient, alors comment faire la différence ? Comment se faire repérer (c’était un mot de Maggy, depuis qu’elle l’avait inscrite à l’audition, elle n’arrêtait pas de lui répéter que l’important était qu’elle se fasse repérer. Ce mot engendrait chez Chiara de drôles d’angoisses et donnait lieu à des rêves curieux où une sorte de laser rouge parcourait la ville à sa recherche). Son téléphone portable sonna, deux notes aiguës annonçant l’arrivée d’un message. Elle ouvrit la poche intérieure de son sac, sortit l’appareil et passa un doigt fébrile sur l’écran. Merde, comme on dit, pour ton casting, je t’aime grande sœur.
– C’est Lise, pour l’audition.
– Le casting, rectifia sa mère. Ah ! c’est bien, j’avais peur qu’elle oublie, elle a un gros test de math en fin de matinée.
Chiara renvoya un gentil message à sa sœur pour son test, puis mit son téléphone sous silence et le rangea.
Plus d’une heure s’écoula au milieu des odeurs de parfum mêlées à celles de transpiration, une transpiration âcre produite par la peur. Le front habituellement lisse des jeunes filles était marqué du sceau de l’inquiétude, ce qui les vieillissait de quelques années. Chiara sentait ses joues brûler. À croire qu’un feu consumait ses pommettes. Je dois être affreuse, toutes les autres filles doivent se rassurer en me regardant, songeant avec fierté qu’elles ont l’air mille fois plus fraîches et décontractées que moi.
– Il faut que j’aille au petit coin, dit-elle à voix basse.
– Profites-en pour te repoudrer, ordonna sa mère.
Ce qui donna à Chiara le désir de partir en courant et de se retrouver dans le parc d’à côté pour écouter les oiseaux, juste les oiseaux, parce qu’après tout qu’est-ce qu’elle en avait à fiche de faire du cinéma ? Oui, elle était rouge, écarlate même probablement, plus écarlate que personne ne l’avait jamais été, et alors ? Elle était assez grande pour s’en rendre compte, n’avait pas besoin des remarques aigrelettes
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L'existence paraissait toujours moins lourde à porter quand on avait la possibilité de s'en échapper. Et l'art était-il autre chose qu'une évasion ? Une ivresse délicieuse qui vous faisait oublier la violence de la réalité ou alors la sublimait, en vous donnant la sensation de la maîtriser ?
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La vie était une bataille, et elle était fatiguée. Á peine remportiez-vous un combat qu'un autre se présentait, et un autre, et un autre, juqu'à ce qu'enfin vous vous retrouviez là où vous devriez être : à terre.
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Une actrice sans projet était une actrice déprimée qui voyait sa mort (artistique) arriver à grand pas. Afin d'être capable de vivre sereinement ces prochains mois, il lui fallait cet emploi. Sans compter qu'elle respirait toujours mieux sur cette fichue terre lorsqu'elle avait le texte, les pensées, les mots d'une autre dans l'esprit.
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Par moment, elle avait l'impression de vivre à côté de sa vie ou au bord d'une immense piscine dans laquelle elle voyait les autres plonger, tandis qu'elle restait en retrait à les observer.
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Pourquoi ce qu'on avait aimé ne pouvait-il pas rester intact et garder une forme de pureté ?
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Elle avait appris à faire ça, chasser ce qui la perturbait, et c'était un sentiment de liberté et de puissance incroyable.
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Que n’aurait-elle pas donné pour rentrer chez elle, ret rouver sa chambre, ses posters d’animaux, sa mère et sa sœur avec ses faux airs de Mylène Farmer. Elle aimait ces deux êtres, et ces deux êtres l’aimaient, parfois avec des maladresses, des brusqueries, des étouffements, mais elle avait le sentiment, avec sa petite famille, de pouvoir être elle-même. Ça n’avait pas de prix. – Tu as peur quelquefois ? demanda subitement Raphaëlle. – Peur ? De quoi ? – De tout. De ce que la vie nous réserve, de l’amour, la sexualité, la mort.
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Elle était excitée et impatiente de découvrir s’il lui faisait toujours le même effet. Mais était-ce bien sa chambre ? Il y avait tant de portes dans ce long corridor, tant de portes identiques, comment la reconnaître avec certitude ?
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Chiara aurait volontiers proposé d’allumer le plafonnier ou n’importe quelle autre lumière, mais elle n’arrivait plus à articuler deux mots, quelque chose était coincé dans sa gorge, peut-être un hurlement, une envie de crier : « Laisse-moi tranquille, ne m’appelle plus jamais, je ne supporte pas ta façon de parler pleine de sous-entendus, fous-moi la paix, je n’ai rien fait ! » Et puis il y avait ce chocolat chaud qui l’avait brûlée et sur lequel flottaient toujours des petites bulles de salive, ce qui la dégoûta.
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Chiara n’aimait pas ces moments suspendus où des pensées désagréables s’immisçaient, elle savait qu’ils pouvaient être des portes vers une conversation plus intime. Elle porta son chocolat à ses lèvres, essaya d’en boire une gorgée, se brûla, recracha dans la tasse, se précipita vers l’évier et mit sa langue sous l’eau froide. – Je suis désolée, j’aurais dû t’avertir que c’était brûlant. Tu veux un glaçon ? Elle acquiesça.
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L’odeur de sa mère avait quelque chose de rassurant et d’écœurant à la fois, un arrière-fond de nourriture se mêlait à son parfum et à celui de la laque pour cheveux. Chiara déposa sur la joue de sa sœur un baiser.
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Boire seule engendrait chez elle une certaine mélancolie, lui rappelant l’absence de son mari (ex-mari). Le désir de Chiara la soulageait d’un poids.
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En s’allongeant, elle poussait toujours un soupir de satisfaction. Elle adorait ce moment, juste avant la chute, l’abandon, la perte de conscience, enfin. Ce moment où elle pouvait être elle-même sans crainte d’être jugée ou de décevoir quelqu’un. Le chien aux allures de fennec se balançant sous le rétroviseur lui revint à l’esprit.
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Après tout, un chat n’était qu’un chat, et tout le monde devait mourir un jour ou l’autre, alors un peu plus tôt ou un peu plus tard… Qu’est-ce que cela changeait dans le fond ?
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Certaines choses méritaient d’être recouvertes par l’obscurité.
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C’était une peur enfantine qu’elle enfouissait la plupart du temps mais qui, parfois, comme un poisson des abysses, remontait à la surface.
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Chiara eut l’impression d’être un morceau de viande cru et blafard dans la vitrine d’une bouchère. Elle se jura de ne plus faire aucun film après celui-là (si tant est qu’ils ne la virent pas pour prise de poids ), et de ne JAMAIS retravailler dans un domaine où le physique avait tant d’importance. Arrêtez de me regarder , suppliait-elle intérieurement, arrêtez .
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Elle chassait les unes après les autres les pensées anxiogènes qui affleuraient, en se convainquant qu’elle ne risquait pas grand-chose. Ce n’était pas comme si elle était atteinte d’une maladie grave ou qu’elle devait se faire opérer à cœur ouvert. Elle ne risquait rien, mis à part un sentiment d’impuissance et une humiliation publique.
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