Anne-Marie ALBIACH Figurations de limage (France Culture, 2004)
Un extrait de lémission « Poésie sur parole », par André Velter, diffusée le 16 avril 2004 sur France Culture.
LE CHEMIN DE L'ERMITAGE
Cela se situe dans une mémoire immédiate.
Un enjeu traverse les positions, de part et d'autre
d’un reflet, alors qu’elle s’astreint à des mouvements
altérant cette immobilité.
Ils interrogent leurs regards. Ils ne sauraient dire
que ce qui avait été immobile le demeurerait ; et se
précipitent dans l’univers de l’instant qui porterait ce
masque d’un présent ludique.
Elles ne sauraient plus qui il est, lui dont le regard
donnait puissance d’entendre ces paroles étrangères
et qu’il ne tenait que d’une passion lacérée ou parfaite
― « mes lèvres sur tes lèvres » ― et une mutité
déjouée, cette irrépréhensible absence. La vélocité du
hasard dans la froideur d’une fièvre, l’éblouissement.
p.11
CETTE DOUCEUR [Extrait]
dans un temps immédiat
ce même souffle ascendant
élague nos gestes musicaux
une architecture sauvage
immémorielle
en deçà des perspectives d’une raison
Respiration, souffle dans ces univers parallèles
pour lesquels le passage est telle déchirure
d’un arbre qui éclate ses fruits la nuit
jusqu’au redressement de la pierre incessante
Silence de la mutité bleue
une ferveur parcourt les membres endoloris
sous les sarcasmes
Délinéation du désir
Discours, murmure récidivé
la représentation :
étendue insonore du vocabulaire
l'espace, une donnée matinale
le froid empreint les contours
le témoin donne le thème
face au discrédit
cette fraîcheur trouble à l'œil
Le simulacre ouvre la plaie
pesanteur
reniement, bestiaire
la paroi
où l'alphabet de l'enfance
sous le regard étranger
les parallèles du nombre leurs articulations
il s’avère
du verbe
une entaille
une duplicité attentive
la chute d'un corps fait défaut
altération des genres
le déplacement aléatoire
intervalle
: les objets
affluent sur la table à marée basse
p.38
HAIE INTERNE, 1966 (extrait)
[…]
saveur de la mémoire
haie interne du jardin
un serpent piqua entre les cuisses haut ouvertes
Tel[le] une lame qui retrouve son fourreau
les épines rose dru blessent le regard
sève de la mémoire encore ses mains sur mes hanches
et son sexe
dans ces fleurs pesantes
pluie sur le jardin
(tristesse)
un autre soleil renaît quelques secondes plus tard
dans une nouvelle lumière
ventre des marguerites arrondies comme un soleil
pétale du verre posé comme un des précipices
soudain la feuille morte depuis longtemps
dressée contre les pieds vifs
ceinture
chair de fer à la taille chaude
fraîcheur du persil tiède en un souffle qui rase la terre
sèche
au cil ras — sur la chute des reins le soleil couchant
avec le fardeau du mâle dans ses hanches
comme si dans un geste cambré elle portait le monde
vers le soir
Blancheur et sédiments
la voix distincte,
la voix mortelle parmi les sédiments – dans
les interstices vocaux une rumeur persiste.
Blancheur et le roc maintient l’ascendance –
la disponibilité de l’écrit : ce qui se dédit
a lieu. Dans une déperdition du sol, la terre
œuvre sur la page, s’élabore, se démultiplie
en une cécité seconde ou ternaire.
Telle rectitude dans les éclats : plusieurs
niveaux s’adonnent à une apparente répétition.
Le minéral cerne une réplique de l’incertain –
du « il » qui s’efface pour apparaître à nouveau.
Une courbe saisit la parole acquise et
réitère une absence corporelle – l’invocation
se fait matière, se révèle dans une mémoire
immédiate.
Épiant des formes lointaines, éblouissement
circonscrit ou aléatoire de la récidive et l’air
s’irradie : bouche fermée.
p.49
LA GRADIVA
Extrait 2
Remontent aux lèvres les répétitions anciennes du
dénuement. Une forme d’élaboration alternée : tout
ce qui se passe comme sur la scène d’un opéra dédou-
blé s’enfonce dans les coulisses, archives d’un acte
presque oublié, dont une blessure factice palpite sous
les bandages : ils jouent avec l’alternance des secondes
un jeu serré Un corps éclate se renverse sur la couche :
« la voix monte dans une tache qui se plaque sur la toile »
la nuque supporte la tombée des draperies sombres
Y a-t-il une réponse répètent-ils ? les bijoux ―
les bijoux qui gardent le corps symbolique le préservent
de la chute à travers la vitre. le chant Une cité élaborée
et ses colonnes stratifiées. D’elles sortent les pas d’une
Gradiva parée pour la rencontre seconde.
Dans les feuilles elles retournaient lentement à leur corps.
Elles pourraient courir sur des terrains glaireux, glisser la voix
s’est dédoublée, les bandages tombent. Ce mal qui le prenait
à la cheville ne l’empêche pas d’aller à sa rencontre
Une lumière va sourdre dans l’éveil de la mémoire mise à
mort et dans ce pan de couleurs
LA LIGNE LA PERTE
le récit serait aveugle
les spasmes de l’oracle structure
dans le travail des couleurs
la marge astreint le cercle
sur la terre les indices
dans une liquidité parfaite
où se dédit
la langue
le cœur au rythme de la dénégation
la lumière renoue avec la faiblesse
dans l’énoncé antérieur
le corps du délit s’abstrait à l’horizon
terme pris en défaut
accusation motrice de l’air empli de gestes
dédiés à l’étreinte
le sujet s’amenuise
le sommeil les porte dans la clairière
Dans les draperies écarlates
ils officiaient sur le thème
d’une absence
p.37
LA LIGNE LA PERTE
la conjoncture parabole
dans l’application du trait un signe de sécheresse mentale
tel un foyer
Caresse lenteur âcre
Le trièdre en suspens
très loin le sang aux poignets
la prairie le territoire à perte de vue
Allongés dans le neutre
sillage minutieux
les pas comptés
La vision s’alentit aux lisières
notion subversive
Une paralysie s’achemine et descend
dans l’égarement
un désordre succinct s’éprend de celui qui veille
tendu vers le point de rencontre
Un éclat dans la poitrine : elle ne prenait plus le hasard
à l’extrême ou l’usage
dans la versification
une obole en écart
le temps implose à l’issue du voisinage
à la lisière un doute insistant
l’arithmétique du désastre
acuité d’une expression tendresse immédiate
des allures au dessein ludique
la doublure nos regards
[...]
p.39
LA GRADIVA
Extrait 1
Elle tient ― une lignée vocale « Allongée » dans la charge
sombre des tentures. Une répétition d’eau mine les vitres :
tombe : surplombe la chute noire. Nuit. la voix. Elle extrait
le mythe de celle qui se jette un flambeau à la main dans la
verrière nocturne. Des personnages épient la montée du
thème. la voix se donne alternative et se reprend, tandis
que les larmes des acteurs simulent la disparition. elle subit
la torture des absences répétitives, et la voix redit les notes
de la rencontre et de la disparition.
l’absence dans la voix se joue plusieurs fois. Comme la
note dans la peinture déjoue la fixation de la couleur, à
plusieurs degrés. le blanc est mis à nu ; le corps pansé de
près de bandelettes odoriférantes « le lied perce un corps
nu que dévore une broderie » la menace perpétuelle os-
cille avec la nuit. Elle se tient dans le passage
LA NUDITÉ ET LE DÉMEMBREMENT
DE LA LETTRE
Le corps
Extrait 3
La voix de celui qui fait face à la page est isolée ; à l'intérieur du
corps c'est encore l'interrogation, et ce qui préexiste ou suit l'écri-
ture encore la menace dans un certain leurre : ce décalage de l'écri-
ture à l'écriture à travers le corps.